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De l’avantage individuel acquis au maintien de la rémunération

De l’avantage individuel acquis au maintien de la rémunération

Un accord collectif n’a pas vocation à l’éternité. Il doit pouvoir être révisé ou prendre fin lorsqu’il ne correspond plus aux besoins et attentes de l’entreprise et des salariés ou que l’évolution de l’entreprise le remet en cause. Soucieux d’éviter les ruptures brutales, le législateur avait jusqu’ici multiplié les précautions lorsqu’il n’est pas possible de parvenir à un accord de révision ou de substitution. Au préavis succède une période de survie d’un an. Et, même au terme de celle-ci, il fallait encore compter avec le maintien des avantages individuels acquis devenu selon J.F.Combrexelle «une des notions les plus mystérieuses du droit du travail».

La loi du 8 août 2016

La loi du 8 août 2016 a rompu avec ce dispositif du maintien des avantages individuels acquis pour le remplacer par une logique de conservation de la rémunération versée.

Le nouveau dispositif, est ainsi formulé (art L.2261-13 et 14) : «les salariés des entreprises concernées conservent, en application de la convention ou de l’accord (dénoncé ou mis en cause), une rémunération dont le montant annuel, pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail, ne peut être inférieur à la rémunération versée lors des douze derniers mois. Cette rémunération s’entend au sens de l’article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale, à l’exception de la première phrase du deuxième alinéa du même article L. 242- 1» (rabais sur le prix d’acquisition des stock-options).

Il faut souligner que cette disposition est d’application immédiate «à compter de la date où les accords ou conventions dénoncés ou mis en cause cessent de produire leurs effets». La loi précise expressément qu’elle peut même s’appliquer à des accords ou conventions dénoncés ou mis en cause avant sa publication, dès lors que le délai de survie était encore en cours au 10 août 2016. Cela pourra mériter attention …

C’est incontestablement une simplification, puisque les entreprises n’auront plus à se poser l’épineuse question de savoir si tel ou tel avantage, notamment en matière de temps de travail, ou de congés, doit être considéré comme individuel et acquis. Chacun admettait qu’il y avait là un foyer d’insécurité juridique.

Mais les praticiens savent qu’une réforme peut substituer des problèmes nouveaux à des problèmes connus. Et la mise en oeuvre du maintien de la rémunération versée pourrait, si l’on n’y prend garde, illustrer cet adage.

Divergences d’interprétation

En renvoyant à la définition de la rémunération retenue pour l’assiette des cotisations de sécurité sociale, le législateur a ratissé large et ce n’est pas sur ce point que l’on peut attendre le plus de difficultés.

La question se pose plutôt de préciser le mécanisme de ce maintien et les termes de comparaison.

Lisant le nouveau dispositif «à la lumière» des solutions antérieures, certains considèrent que les salariés doivent conserver chacun des avantages en termes de rémunération dont ils bénéficiaient en application de la convention ou de l’accord (dénoncé ou mis en cause). Dès lors, ces avantages ne pourraient être compensés que par de nouveaux avantages ayant spécifiquement et expressément cet objet. Une telle position aboutirait concrètement à figer les avantages antérieurs.

Sans préjuger de l’issue du débat judiciaire, cette lecture paraît cependant peu conforme à la lettre et à l’esprit du texte.

Elle repose en effet sur une approche en termes d’avantages, point par point, qui n’est précisément pas celle de la nouvelle loi qui n’emploie plus ce terme et repose sur une approche globale par référence à la rémunération versée lors des douze derniers mois.

Le maintien du pouvoir d’achat

De la lecture du texte et des travaux préparatoires se déduit une autre lecture. La réforme, excluant toute analyse avantage par avantage :

  • a mis fin aux rigidités imposées par l’exigence jurisprudentielle antérieure du maintien de la structure de la rémunération, ce qui permettra, le cas échéant, l’intégration de primes prévues par un accord antérieur dans une nouvelle rémunération globale ;
  • implique une comparaison globale, en euros, de la rémunération perçue par le passé et dans le futur. Comme l’indiquait la Ministre lors des débats en commission : «Autrement dit, tous les salariés conserveront leur pouvoir d’achat si un accord est dénoncé. Je précise que la base de cette rémunération est large : elle sera la même que celle des cotisations sociales et inclura toutes les rémunérations perçues par le salarié pendant l’année qui précède la fin de l’accord. Le salarié gardera donc le montant équivalent au salaire et à toutes les primes.».

Si un salarié a perçu une rémunération globale de 13 fois 2 000 euros sur les douze derniers mois avant la disparition du 13e mois conventionnel, la question se résume donc à savoir si sa rémunération de l’année suivante est ou non inférieure à 26 000 euros. A défaut, même si le texte ne le dit pas expressément, il a droit à une sorte d’indemnité différentielle.

L’approche la plus simple et la plus cohérente serait de considérer que tous les éléments de rémunération doivent être pris en considération dans cette comparaison, sous réserve d’une exception qui se déduirait expressément ou implicitement du texte. Ce principe fournit une ligne d’interprétation permettant de résoudre la plupart des cas particuliers qui ne manqueront pas d’être posés. Ainsi :

  • la suppression de repos et congés peut-elle aboutir à ce que les salariés travaillent plus pour une même rémunération globale : une réponse positive s’impose, dès lors que ces congés ne sont plus acquis, que la durée de travail contractuelle demeure inchangée et que la rémunération des douze derniers mois est maintenue comme l’exige désormais l’article L.2261-13 ;
  • que se passe-t-il si la rémunération des douze derniers mois a été réduite, du fait d’une absence de longue durée ou d’une entrée en cours de période : en pareil cas, le calcul prorata temporis fournit une solution implicite mais logique ;
  • faut-il tenir compte des heures supplémentaires accomplies par le passé ou dans le futur : une réponse négative pourrait se déduire de la formulation pour une durée de travail équivalente à celle prévue par leur contrat de travail ;
  • quid du salaire variable ? Il pourrait y avoir là une vraie difficulté. Mais celui-ci est généralement d’origine contractuelle et pas conventionnelle. Or la réforme n’a pas pour objet de maintenir des avantages contractuels, a fortiori s’ils sont variables ! ;
  • de même, en cas de baisse ultérieure du salaire ou de la rémunération variable, de dénonciation d’un usage accordant un avantage de rémunération, le dispositif n’a pas pour objet de maintenir la rémunération découlant de ces sources non conventionnelles ;
  • et si le salaire contractuel ou d’autres éléments de rémunération varient à la hausse pour une durée de travail équivalente ? En pareil cas, la loi ne fait pas de distinction et tous ces éléments ont vocation à être pris en compte pour vérifier que le maintien de la rémunération a bien été assuré ;
  • on notera que dans certains cas, notamment pour les commerciaux ou cadres dont la rémunération variable est importante, l’employeur peut cependant choisir de verser une indemnité différentielle pour compenser l’avantage conventionnel dénoncé, pour continuer de faire application des modalités de détermination du variable sans interférence du dispositif légal du maintien de la rémunération perçue.

Espérons pour conclure que, dans le débat qui s’engage, chacun et d’abord les pouvoirs publics et les juges s’inscriront dans une logique qui permette de mettre pleinement en oeuvre les objectifs de simplification et de sécurité juridique que la Loi s’est expressément fixés.

 

Auteurs

Nicolas Callies, avocat associé en droit social

Paul-Henri Mousseron, consultant knowledge manager, département social

De l’avantage individuel acquis au maintien de la rémunération – Article paru dans Les Echos Business le 31 Octobre 2016
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