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Emission internationale de titres financiers : quelles règles de compétence dans l’espace européen ?

Emission internationale de titres financiers : quelles règles de compétence dans l’espace européen ?

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu, le 28 janvier dernier, une décision de toute première importance, tant d’un point de vue technique que par ses implications pratiques considérables (aff. C-375/13).


Le débat a porté sur la question de savoir devant quelle juridiction un investisseur déçu, qui reprochait à la banque émettrice de titres financiers complexes un certain nombre de manquements, pouvait agir. Il s’agissait en l’occurrence d’un ressortissant autrichien qui avait acquis par l’intermédiaire d’une banque autrichienne des titres financiers complexes, des «certificats», émis par une banque anglaise. La particularité de cet investissement résidait en ceci que les titres en question avaient été acquis par la société mère allemande de la banque autrichienne auprès de la banque émettrice anglaise. Seconde particularité importante, la banque autrichienne avait exécuté l’ordre d’achat «en dépôt» ; par quoi il faut comprendre que ces certificats étaient conservés par la banque autrichienne en son nom propre et pour le compte de ses clients, de telle sorte que l’investisseur final pouvait uniquement réclamer la livraison des certificats à hauteur de la part détenue dans le fonds de couverture, sans que ceux-ci ne puissent être transférés à son nom.

Les certificats ayant perdu toute valeur, l’investisseur a cherché à mettre en cause la responsabilité de la banque émettrice en saisissant le tribunal le plus proche de son domicile. Pour établir cette compétence, dérogeant à la règle de principe (compétence du domicile du défendeur, ici localisé au Royaume-Uni), trois règles pouvaient être invoquées sur la base du règlement européen n°44/2001 du 22 déc. 2000, dit Bruxelles I (texte remanié par un règl. n°1215/2012 du 12 déc. 2012, entré en vigueur le 10 janvier 2015, mais les solutions ici énoncées demeureront pertinentes).

La première permet à un consommateur, c’est-à-dire à une personne qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, de saisir le tribunal du lieu où il est domicilié (règl. n°44/2001, art. 16). La Cour considère que l’investisseur pouvait effectivement être qualifié de consommateur. Elle juge toutefois que la règle de l’article 16 n’est pas applicable. En effet, il n’existait aucun contrat conclu entre l’investisseur et la banque émettrice, puisque les titres avaient été acquis auprès d’un tiers (la banque autrichienne). Les magistrats ne retiennent pas l’argument de l’investisseur qui plaidait que l’objectif de protection des consommateurs, sur lequel repose le texte, impose d’adopter une lecture économique de la situation et de conclure à l’existence d’un tel contrat.

Pour la même raison, celle de l’absence de contrat, la CJUE estime que la compétence dérogatoire de l’article 5, 1, a du règlement, qui concerne la «matière contractuelle» ne peut être retenue.

Restait alors à examiner un troisième chef possible de compétence susceptible de valider la compétence des juges autrichiens : celui prévu à l’article 5, 3 qui permet de retenir la compétence des juridictions du domicile du demandeur en tant que lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.

Reprenant une solution déjà énoncée à plusieurs reprises, la CJUE rappelle que la «matière délictuelle», au sens de l’article 5, 3 comprend toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la «matière contractuelle» (CJCE 27 sept. 1988, Kalfelis ; CJUE 13 mars 2014, Brogsitter). L’action engagée se rattachait bien à la matière délictuelle. Mais encore fallait-il localiser le fait dommageable. Pour la CJUE, le seul fait que des conséquences financières affectent le demandeur ne justifie pas automatiquement l’attribution de compétence aux juridictions du domicile de ce dernier (CJCE 10 juin 2004, Kronhofer). Appliquant ce principe, la Cour de cassation française a récemment considéré que, dans le cas d’un détournement de fonds au préjudice d’investisseurs, le lieu où le dommage est survenu est celui où l’appropriation indue par le dépositaire des fonds s’est produite et non celui où les fonds avaient été placés1.

Au cas particulier, la Cour considère que si l’événement causal (la prétendue violation par la banque de ses obligations légales d’information des investisseurs) ne peut être localisé en Autriche, il en va différemment de la «matérialisation du dommage». Les juridictions autrichiennes du domicile du demandeur sont compétentes, parce que le dommage s’est réalisé directement sur un compte bancaire de ce demandeur ouvert auprès d’une banque établie en Autriche. L’explication donnée est que l’émetteur d’un certificat doit, lorsqu’il décide de faire notifier le prospectus relatif à ce certificat dans d’autres États membres, s’attendre à ce que des opérateurs insuffisamment informés, domiciliés dans ces États membres, investissent dans ce certificat et subissent le dommage. Or, le prospectus de base avait notamment été diffusé en Autriche.

Note

1. Voir «Action en responsabilité délictuelle exercée contre une banque» d’Elisabeth Flaicher-Maneval – Option Finance du 16 février 2015

 

Auteur

Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.

 

*Emission internationale de titres financiers : quelles règles de compétence dans l’espace européen ?* – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 16 mars 2015

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