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Frais d’acquisition de titres : quand la société qui les supporte n’est pas l’acquéreur…

Le Conseil d’Etat a admis qu’une société holding récupère la TVA afférente aux frais d’acquisition qu’elle a engagés alors même que l’acquisition était réalisée par une de ses filiales : analyse de la décision et prolongements en matière d’impôt sur les sociétés.

Le Conseil d’Etat a récemment rendu une décision qui ouvre la possibilité, pour une société holding, de récupérer la TVA d’amont grevant des dépenses préparatoires à l’acquisition d’une société alors même que les titres de cette société seront portés non par elle-même mais par une filiale (CE, 24 juin 2013, n°350588, société L’Air Liquide).

Pour apprécier concrètement les perspectives qu’offre cette décision, il est nécessaire, d’une part, d’examiner les conditions exactes dont le Conseil d’Etat paraît assortir la solution et, d’autre part, de s’interroger sur les hypothèses dans lesquelles elle pourrait trouver à s’appliquer. On s’interrogera également sur la transposition du raisonnement en matière d’impôt sur les sociétés.

I. Une solution expressément admise en TVA

En l’espèce, la société L’Air Liquide avait supporté des frais d’études dans le cadre d’un projet d’acquisition de plusieurs sociétés. A l’issue de ces études, plusieurs sociétés – mais pas toutes – ont été acquises par une filiale patrimoniale et non par L’Air Liquide.

L’Air Liquide a néanmoins déduit la TVA grevant les frais d’études concernés sans pour autant les refacturer à la filiale détentrice des titres.

C’est la contestation de cette déduction par l’administration qui est à l’origine du contentieux porté devant le Conseil d’Etat, sans que l’on sache en revanche précisément le sort réservé aux dépenses en cause pour la détermination du résultat passible de l’impôt sur les sociétés.

Un intérêt de groupe ?

Le Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion de juger que l’intérêt du groupe ne justifie pas la déduction de la taxe grevant les dépenses supportées en vue de l’acquisition de titres par l’une de ses filiales (CE, 6 octobre 2008, n°299265, sté Axa). En l’espèce, la requérante fondait principalement son argumentation sur son pouvoir de décision et d’orientation de la stratégie du groupe dans le cadre de laquelle s’inscrivait l’acquisition de titres pour laquelle les dépenses avaient été engagées.

Dans l’affaire L’Air Liquide en revanche, la société revendiquait un intérêt propre à supporter les dépenses dans la perspective du développement de son activité économique constituée des prestations de services rendues à l’ensemble des filiales. C’est dans ce contexte que le Conseil d’Etat a estimé que la TVA ayant grevé les dépenses préparatoires à l’acquisition supportées par la société holding n’est pas exclue de tout droit à déduction au seul motif que, l’acquisition ayant été réalisée par la filiale et non directement par la société holding, ces dépenses ne pourraient être regardées comme ayant été exposées par la société holding dans le cadre de sa propre exploitation et pour les besoins de son activité. Le Conseil d’Etat casse en conséquence l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles qui a commis une erreur de droit en n’examinant pas les arguments avancés par la société pour établir que, du fait de l’acquisition, elle allait développer sa propre activité de prestations de services aux filiales du groupe.

La haute juridiction juge en effet qu’à la condition de produire des pièces justificatives établissant que, compte tenu de l’organisation du groupe, elle seule effectuera au profit des sous-filiales des prestations de services donnant lieu à des opérations caractérisant une activité économique et soumises à la TVA, la société holding peut déduire ces dépenses préparatoires qui doivent être regardées comme faisant partie de ses frais généraux et entretiennent un lien direct et immédiat avec l’ensemble de son activité économique. Comme l’indique le rapporteur public, c’est la perspective de développement de son propre chiffre d’affaires qui est susceptible de justifier la déduction de la taxe grevant le coût des frais d’étude.

Le Conseil d’Etat précise logiquement que lorsque ces conditions sont réunies mais que l’acquisition au titre de laquelle les dépenses sont supportées ne se réalise pas, ces dernières sont également réputées faire partie des frais généraux.

Portée de l’arrêt en matière de TVA

La portée de cet arrêt doit être appréciée avec prudence.

Il n’est en effet pas établi que le lien entre les dépenses préparatoires à l’acquisition des titres et l’activité économique de la société holding pourrait être reconnu dans l’hypothèse où la filiale porteuse des titres réalise elle aussi une activité économique susceptible d’être accrue du fait de l’acquisition de la filiale. De même, la circonstance que la société holding assure seule la réalisation des services de gestion administrative pour l’ensemble des sociétés du groupe paraît constituer une condition nécessaire au rattachement des dépenses à cette activité économique.

Il n’en reste pas moins que la solution dégagée par le Conseil d’Etat est très favorable en matière de TVA puisqu’elle permet la récupération de la taxe alors que la société patrimoniale n’aurait pu en profiter elle-même. Dans quelle mesure cette solution peut-elle trouver des prolongements en matière d’IS ?

II. Un raisonnement encore ambigu en matière d’impôt sur les sociétés.

Les entreprises qui auront récupéré la TVA afférente aux frais d’acquisition des titres acquis par leur filiale seront très certainement tentées de déduire ces mêmes frais de leur base imposable à l’IS. Examinons les arguments dont elles disposent à cette fin.

On sait que l’article 209 VII du CGI prévoit que lorsqu’une société soumise à l’IS acquiert des titres de participation, les frais d’acquisition des immobilisations ne sont pas déductibles au titre de leur exercice d’engagement mais sont incorporés au prix de revient de ces titres avec la possibilité d’amortir ces frais sur 5 ans. Cette règle ne nous semble toutefois pas applicable lorsque les frais sont engagés pour permettre à une filiale d’acquérir des titres.

Il faut donc en revenir au droit commun fixé par l’article 39-1-1° du CGI qui pose comme principe général que les frais généraux doivent notamment, pour être déductibles, se rattacher à la gestion normale de l’entreprise et être exposés dans l’intérêt de l’exploitation.

Il résulte de ce principe que la société qui supporte les dépenses doit pouvoir démontrer que celles-ci ont bien été engagées dans son intérêt propre, et non dans l’intérêt de la filiale acquéreuse. Peu importe alors que ces dépenses aient aussi profité à d’autres qu’elle (au cas particulier la filiale acquéreuse) puisque selon une très ancienne jurisprudence du Conseil d’Etat du 29 mars 1978 (n°4062), reprise en dernier lieu par un jugement du tribunal administratif de Montreuil du 3 février 2011 (n°096114), une dépense engagée dans l’intérêt de l’entreprise n’est pas remise en cause sous prétexte qu’elle bénéficie aussi à d’autres personnes.

Il convient en outre que la société puisse prouver, comme dans l’affaire Air Liquide, que l’intérêt qu’elle trouve dans l’opération est de nature commerciale et se rattache au développement de son chiffre d’affaires. C’est à cette condition que la prise en charge des frais d’acquisition pourra échapper à la qualification d’aide non déductible. On sait en effet que l’article 39. 12 du CGI interdit désormais la déduction des aides de toute nature consenties à une autre entreprise, à l’exception des aides à caractère commercial.

Notons enfin qu’il existe un intéressant précédent pour guider la réflexion. Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 5 octobre 2006 (n°02LY02106), une société française avait créé une société de droit canadien dont elle détenait 100% des parts. Cette filiale avait créé une sous-filiale dans le but d’acquérir les titres d’un laboratoire canadien. Une partie des commissions versées au titre d’honoraires à des intermédiaires auxquels il a été fait appel pour la prise de contrôle des laboratoires et la création des filiales et sous-filiales canadiennes avait été supportée par la société française et déduite de sa base imposable. La Cour confirme la légitimité de cette déduction et retient en particulier deux arguments : la synergie de groupe à l’échelle internationale et le fait que la prise de contrôle a permis une augmentation considérable du chiffre d’affaires de la société française. Le troisième argument retenu par la Cour est moins exploitable car la Cour note le caractère transparent et l’absence de substance réelle des personnes morales canadiennes en cause dont la création avait pour unique but la prise de contrôle des laboratoires. Même si ce troisième argument ne pourra être repris que dans des cas exceptionnels, il est intéressant de constater que la Cour, si elle ne reconnaît pas un intérêt de groupe, n’hésite pas à tenir compte de la structuration du groupe, et admet, comme le fait le Conseil d’Etat dans la décision L’Air Liquide, que l’acquisition d’une immobilisation par une filiale peut être réalisée pour permettre d’augmenter l’activité de la société mère, ce qui justifie pleinement que cette dernière engage et déduise les frais afférents à cette acquisition.

 

A propos des auteurs

Elisabeth Ashworth, avocat associé, est responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale.

Emmanuelle Féna-Lagueny, avocat. Elle traite des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale. En étroite relation avec les avocats du Cabinet intervenant dans ce domaine, elle suit et analyse les évolutions du droit fiscal pour formuler des conseils pratiques.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 28 octobre 2013

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