Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Inconstitutionnalité des dispositions ISF de la Loi sur les Trusts: la saga continue?

Inconstitutionnalité des dispositions ISF de la Loi sur les Trusts: la saga continue?

Par décisions QPC du 25 septembre 20171, le Conseil d’État a choisi de renvoyer au Conseil constitutionnel la question soulevée devant lui en matière d’ISF tout en se réservant le soin de clarifier les questions qui lui étaient posées en matière de prélèvement sui generis.

Le trust, concept de droit anglo-saxon longtemps appréhendé de manière inappropriée par le droit français, est un véhicule juridique permettant un démembrement du droit de propriété dans lequel un constituant confie au trustee la gestion de biens ou de droits pour le compte de bénéficiaires ayant été désignés lors de la constitution du trust.

Compte tenu du supposé risque d’évasion fiscale pouvant résulter du recours à ce type de véhicule juridique selon le législateur, ce dernier a souhaité établir un cadre légal au trust en adoptant un ensemble de dispositions fiscales depuis la loi de finances rectificatives pour 2011 (loi n°2001-900 du 29 juillet 2011). Certaines dispositions qui lui sont applicables en matière d’impôt de solidarité sur la fortune (article 885 G ter du CGI) et de prélèvement sui generis de 1,50% (article 990 J du CGI) suscitent toutefois un certain nombre d’interrogations sous l’angle du droit constitutionnel.

Rappelons que l’article 885 G ter du CGI prévoit que les biens ou droits placés dans un trust ainsi que les produits qui y sont capitalisés sont compris, pour leur valeur vénale nette au 1er janvier de l’année d’imposition, selon le cas, dans le patrimoine du constituant ou dans celui du bénéficiaire réputé constituant.

L’article 990 J du CGI institue quant à lui un prélèvement de 1,5% à la charge du constituant ou bénéficiaire d’un trust assis sur la valeur des actifs de ce trust sauf si ces biens, droits ou produits capitalisés ont été inclus dans le patrimoine déclaré à l’ISF du constituant ou déclarés dans le cadre des obligations déclaratives des trusts (article 1649 AB du CGI) dans le patrimoine d’un constituant ou bénéficiaire réputé constituant. L’article 990 J du CGI prévoit également qu’à défaut de versement de l’imposition par l’administrateur du trust au plus tard le 15 juin de chaque année, le constituant, les bénéficiaires ou leurs héritiers sont solidairement responsables du paiement du prélèvement, à l’exception de ceux qui ont régulièrement souscrit une déclaration ou ne sont pas assujettis à l’ISF.

Dans le cadre de recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la doctrine administrative (Bofip), le Conseil d’État a été chargé d’examiner deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) pour décider s’il devait transmettre devant les Sages du Conseil constitutionnel la question de la conformité à la Constitution de l’article 885 G ter et des alinéas 4, 5 et 8 du III de l’article 990 J du CGI précités.

Nous examinons plus particulièrement ci-après l’analyse retenue par le Conseil d’État dans ses décisions n°412024 et 412031 du 25 septembre 2017.

1. Sur le rattachement systématique des actifs placés dans un trust dans le patrimoine soumis à l’ISF du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant

La question soulevée devant le Conseil d’État, et renvoyée devant le Conseil constitutionnel, porte sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 885 G ter du CGI qui prévoit que les biens ou droits placés dans un trust et les produits capitalisés sont inclus dans l’assiette de l’ISF du constituant ou du bénéficiaire réputé constituant, sans tenir compte des caractéristiques particulières prévues dans l’acte constitutif du trust et des droits effectifs que l’acte confère au constituant sur ces actifs.

Rappelons à cette occasion que la jurisprudence constante du Conseil constitutionnel en matière d’ISF considère que l’assiette imposable n’est pas le patrimoine lui-même (à la différence des droits de mutation à titre gratuits) mais la capacité contributive effective qu’il confère au contribuable.

En effet, dans l’hypothèse d’un trust irrévocable dans lequel le constituant n’a plus la propriété légale ou la libre disposition des actifs et il ne pourra plus en percevoir les fruits – hypothèse très souvent rencontrée en pratique – on comprend aisément que les biens et droits placés dans le trust ne puissent plus être considérés comme conférant une capacité contributive effective à ce constituant.

Le Conseil constitutionnel devra apprécier si cette mesure destinée à prévenir la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales ne porte pas atteinte au principe d’égalité devant les charges publiques en ce qu’elle prévoit une présomption de propriété irréfragable, sans possibilité de preuve contraire pour le contribuable et sans considération des modalités de constitution du trust.

Le Conseil constitutionnel devra ainsi se prononcer sur la constitutionnalité de ce dispositif d’ici la fin de l’année 2017. En cas de remise en cause de l’article 885 G ter du CGI, on retomberait alors sous le coup de la jurisprudence antérieure obligeant à tenir compte des caractéristiques particulières de chaque trust ? Le Conseil constitutionnel peut, s’il le souhaite, limiter les effets de son éventuelle décision de non-conformité pour le passé2.

Il ne peut être exclu que le législateur adopte rapidement un nouveau dispositif tenant compte des différentes situations selon la nature du trust, dans un contexte où seuls les biens ou droits immobiliers placés dans le trust seraient assujettis à l’IFI à compter du 1er janvier 2018.

2. Sur l’application simultanée de l’ISF et du prélèvement sui generis de 1,50%

La question ici posée concernait les alinéas 4 et 5 du III de l’article 990 J du CGI et plus précisément la question de l’assujettissement simultané à l’ISF et au prélèvement de 1,50% des constituants ou bénéficiaires réputés constituants n’ayant pas régulièrement déclaré au titre de l’ISF les biens ou droits placés dans un trust. Cette application simultanée a pu être mise en œuvre par le passé par l’administration fiscale dans certains de ses redressements.

Sur cette question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil d’État fait usage de son rôle de filtre en choisissant de ne pas transmettre la question devant le Conseil constitutionnel. Il indique qu’il résulte du texte, éclairé par les travaux parlementaires, que le prélèvement se substitue à l’ISF en l’absence de déclaration régulière. Les deux impositions sont donc indépendantes et ne peuvent se cumuler.

3. Sur la solidarité de paiement en matière de prélèvement sui generis

La dernière question soulevée devant le Conseil d’État concernait la solidarité de paiement instituée par l’alinéa 8 du III de l’article 990 J du CGI qui prévoit qu’en l’absence de paiement du prélèvement sui generis par l’administrateur du trust, le constituant et les bénéficiaires ou leurs héritiers sont solidairement responsables pour le paiement de ce prélèvement.

Contrairement à l’interprétation retenue par les praticiens et par la doctrine administrative qui considéraient que le terme « bénéficiaire » mentionné à l’article 990 J du CGI visait le « bénéficiaire réputé constituant »3, le Conseil d’État suit les conclusions du rapporteur et retient un champ large pour la solidarité de paiement.

Le Conseil d’État écarte par ailleurs les différents griefs constitutionnels invoqués en précisant que la solidarité de paiement ne constitue qu’une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public, et non une charge devant être supportée de manière définitive par le constituant et les bénéficiaires, dès lors que ces personnes disposent d’une action récursoire contre le débiteur principal, en l’espèce l’administrateur du trust.

Bien que la responsabilité solidaire ne se confonde pas avec un mécanisme de transfert définitif de la responsabilité sur la tête du codébiteur solidaire, la solution retenue par le Conseil d’État va conduire à des résultats choquants. L’existence d’une action récursoire des constituants et bénéficiaires dépendra des stipulations prévues dans l’acte constitutif du trust (souvent très protecteur des trustees) ou du droit applicable aux relations que les codébiteurs solidaires entretiennent avec l’administrateur. Ce dernier est systématiquement situé à l’étranger et il est souvent protégé par la loi locale.

Notes

1 Conseil d’Etat QPC, 25 septembre 2017, n°412024, 412027 et 412031. Solution également adoptée par le Conseil d’Etat dans sa décision QPC n°412412 du 29 septembre 2017.

2 Les redevables concernés ont intérêt à revoir leur situation au regard de l’ISF et à sauvegarder leurs droits avant l’intervention de la décision.

3 L’article 990 J est selon nous mal rédigé et fait une confusion entre les termes « bénéficiaires » et « bénéficiaires réputés constituants ». Nous ne comprenions pas comment le bénéficiaire d’un trust pouvait être considéré comme redevable de l’ISF ou du prélèvement : l’administration ayant précisé toutefois dans sa doctrine que les redevables légaux du prélèvement sur les trusts sont les constituants du trust et les bénéficiaires réputés constituants (BOI-PAT-ISF-30-20-30 n°170). Cela aurait pu laisser entendre que la solidarité concernait également les « bénéficiaires réputés constituants » et non les « bénéficiaires »

 

Auteurs

Pierre-Jean Douvier, avocat associé, Fiscalité internationale.

Adea Meidani, avocat, Fiscalité internationale

Inconstitutionnalité des dispositions ISF de la Loi sur les Trusts: la saga continue ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 6 novembre 2017
Print Friendly, PDF & Email