La loi Travail : les assouplissements apportés aux règles du transfert d’entreprise

28 septembre 2016
Parmi les mesures de la loi Travail, certaines dispositions visent à faciliter les opérations de transfert d’entreprise, en apportant des tempéraments à l’obligation du cessionnaire de reprendre l’ensemble des salariés attachés à une activité cédée, d’une part, et en instituant une faculté d’engager une négociation anticipée en cas de fusion, cession, scission ou de toute autre modification juridique ayant pour effet la mise en cause d’une convention ou d’un accord, d’autre part. Point d’arrêt sur ces mesures techniques que doivent intégrer les praticiens des transferts d’entreprise.
L’autorisation sous conditions des licenciements économiques avant transfert
Rappelons que le transfert d’une entité économique autonome entraîne de plein droit, en application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, le maintien avec le nouvel employeur des contrats de travail qui y sont attachés et prive d’effet, selon une jurisprudence constante, les licenciements pour motif économique qui pourraient être prononcés par le cédant à l’occasion du transfert.
En cas de projet de cession, cette restriction était source de découragement des repreneurs potentiels lorsqu’il n’était pas possible de conserver la totalité des emplois attachés à l’activité.
Pour remédier à cette difficulté, la loi lève, sous certaines conditions, l’interdiction imposée au cédant concerné par l’obligation de rechercher un repreneur, de licencier avant le transfert d’établissement. Sont ainsi concernées par cette mesure :
- les entreprises d’au moins 1 000 salariés, celles appartenant à un groupe d’au moins
1 000 salariés, ainsi que les entreprises de dimension communautaire ou appartenant à un groupe de dimension communautaire ; - en cas de projet de fermeture d’un ou de plusieurs établissements, impliquant de devoir mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi.
Pour ces entreprises, le transfert de droit des contrats de travail ne s’applique que dans la limite du nombre des emplois qui n’ont pas été supprimés à la suite des licenciements à la date d’effet du transfert. En d’autres termes, l’entreprise cédante peut licencier les salariés non repris1 sous la réserve néanmoins de justifier d’un motif économique et de satisfaire en particulier à son obligation préalable de reclassement.
L’on observera à cet égard que le fait de réserver aux grandes entreprises la levée de l’interdiction de licencier avant transfert paraît constituer une rupture d’égalité dont la conformité à la Constitution n’apparaît pas évidente… et l’on pourra également regretter que le législateur n’ait pas choisi d’en élargir le champ d’application à des entreprises de plus petites tailles.
Les dispositions ci-dessus s’appliquent aux procédures de licenciements économiques engagées depuis le 10 août 2016.
L’anticipation de la négociation d’un accord en cas de mise en cause du statut collectif
Les opérations de rapprochement d’entreprises nécessitent le plus souvent de procéder à l’harmonisation des statuts collectifs des salariés. A cet égard, le dispositif existant prévoit qu’en cas notamment de fusion, de cession, de scission ou d’un changement d’activité, les accords collectifs existant dans l’entreprise ou l’activité absorbée sont temporairement maintenus et une négociation doit s’engager dans les trois mois suivant la demande d’une des parties intéressées soit pour l’adaptation aux dispositions conventionnelles nouvellement applicables, soit pour l’élaboration de nouvelles stipulations.
Afin de répondre à une demande forte des partenaires sociaux de pouvoir engager le plus tôt possible des discussions, en particulier pour sécuriser les pratiques existantes, la loi complète ce dispositif et permet désormais d’anticiper la négociation pour conclure :
- soit un accord applicable aux seuls salariés transférés, permettant d’assurer la transition avec l’entreprise d’accueil, dont la durée ne peut excéder trois ans et qui entre en vigueur à la date de réalisation de l’événement ayant entraîné la mise en cause.
- soit un accord d’adaptation couvrant l’ensemble des salariés impactés par une opération envisagée de fusion, cession, scission ou par toute autre modification juridique qui aurait pour effet la mise en cause d’une convention ou d’un accord, et révisant ou se substituant aux dispositions conventionnelles applicables dans l’entreprise ou dans l’établissement dans lequel les contrats de travail sont transférés.
La négociation est tripartite (les employeurs des entreprises concernées et les organisations syndicales de salariés représentatives dans l’entreprise qui emploie les salariés dont les contrats de travail sont susceptibles d’être transférés)2.
Il s’applique à l’exclusion des stipulations portant sur le même objet des conventions et accords applicables dans l’entreprise ou l’établissement dans lequel les contrats de travail sont transférés ;
Cette convention ou cet accord qui peut être négocié par les employeurs et les organisations syndicales de salariés représentatives dans les entreprises ou établissements concernés, entre – au même titre que l’accord de transition – en vigueur à la date de réalisation de l’événement ayant entraîné la mise en cause3.
L’accord est en principe conclu pour une durée de cinq ans, sauf s’il en dispose autrement.
Précisons à cet égard qu’en l’absence d’accord de transition ou d’adaptation, dans un délai d’un an suivant l’expiration du préavis, les salariés transférés ne conservent plus, comme c’était le cas jusqu’à présent, les avantages individuels acquis en application du texte mis en cause, mais seulement leur rémunération antérieure4.
Ce dispositif devrait également entrer en vigueur le 10 août 2016. Cependant, les conditions de validité de ces accords sont définies par référence aux conditions de droit commun, qui sont modifiées par la loi et qui entrent en vigueur progressivement, entre le 1er janvier 2017 et le 1er janvier 2019. L’on peut donc s’interroger sur les conditions de validité qu’il conviendra d’appliquer non seulement jusqu’au 1er janvier 2017, mais aussi postérieurement à cette date.
Notes
1 C. trav. art. L 1233-61 modifié
2 C. trav. art. L 2261-14-2 nouveau
3 C. trav. art. L 2261-14-3 nouveau
4 C. trav. art. L 2261-14 modifié
Auteurs
Pierre Bonneau, avocat associé en droit social
Ghislain Dintzner, avocat en Droit social
La loi Travail : les assouplissements apportés aux règles du transfert d’entreprise – Article paru dans Les Echos Business le 28 septembre 2016
Related Posts
PSE : le Conseil d’Etat permet au CHSCT de demander une injonction à la DIREC... 22 août 2016 | CMS FL

Opération de cession : impact du CSE sur les procédures de consultation... 12 janvier 2018 | CMS FL

Loi El Khomri : l’instance de dialogue et de représentation au sein des rése... 26 octobre 2016 | CMS FL

Le harcèlement moral : sa preuve et l’intérêt pour l’employeur de le pré... 6 juillet 2016 | CMS FL

Les nouveautés en matière de congés instaurées par la loi Travail... 6 septembre 2016 | CMS FL

Licenciement pour motif économique et obligation de reclassement à l’étrang... 21 septembre 2015 | CMS FL

Régime fiscal et social des attributions gratuites d’actions : l’instabilit... 11 décembre 2017 | CMS FL

Impossibilité d’exécuter le contrat de travail : suspendre, reclasser ou lic... 8 janvier 2019 | CMS FL

Articles récents
- Maladie et congés payés : nouvelles perspectives
- Les personnes engagées dans un projet parental sont protégées des discriminations au travail
- Le licenciement d’un salarié victime de harcèlement est-il toujours nul ?
- Entretien préalable : faut-il informer le salarié de son droit de se taire ?
- Courriels professionnels : un droit d’accès extralarge
- La loi élargit l’action de groupe à tous les domaines en droit du travail
- Exploitation du fichier de journalisation informatique à des fins probatoires : les conditions posées par le juge
- Enquêtes de mesure de la diversité au travail : les recommandations de la CNIL
- Violation de la clause de non-concurrence et remboursement de la contrepartie financière : une règle qui s’applique si la clause n’est pas valable
- Transposition de la directive : la transparence des rémunérations dès l’embauche