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La protection des lanceurs d’alerte dans la balance de la justice

La protection des lanceurs d’alerte dans la balance de la justice

Présents depuis plusieurs années dans l’actualité de nombreux scandales économiques et financiers, les lanceurs d’alerte viennent de faire l’objet d’une attention particulière de la Chambre sociale de la Cour de cassation qui leur a conféré, à certaines conditions, une protection renforcée contre le licenciement. Une décision importante dans l’attente de l’édification, par le législateur, d’un prochain statut juridique.

Le signalement de bonne foi d’un fait n’est pas fautif

Dans un arrêt en date du 30 juin 2016, la Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé nul le licenciement pour faute lourde d’un salarié qui avait dénoncé de bonne foi au procureur de la République des faits potentiellement délictueux de son employeur (escroquerie et détournement de fonds publics), ouvrant ainsi droit à sa réintégration au sein de l’entreprise.

Conformément à sa précédente jurisprudence (Cass. soc. 29 septembre 2010), la Haute Juridiction a considéré que «le fait pour un salarié de porter à la connaissance du procureur de la République des faits concernant l’entreprise qui lui paraissent anormaux, qu’ils soient ou non susceptibles de qualification pénale, ne constitue pas en soi une faute». Seule la mauvaise foi du salarié qui dénoncerait des faits qu’il sait inexacts saurait justifier un licenciement pour faute.

Une protection renforcée par la nullité du licenciement

Si la Cour d’appel avait jugé sans cause réelle et sérieuse ce licenciement de «représailles», la nullité ne pouvant en principe être prononcée que si un texte la prévoit, la Cour de cassation a surmonté cette absence de fondement légal pour conclure à la nullité du licenciement. En 2011, à l’époque des faits, les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-1 du Code du travail prévoyant la nullité du licenciement prononcé à l’encontre d’un salarié ayant signalé des faits pouvant constituer un délit ou un crime n’étaient en effet pas applicables, ces dispositions n’ayant été introduites qu’en 2013 par la loi n° 2013-1117 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

La Cour de cassation s’est donc placée sur un autre terrain pour fonder sa décision en rappelant que la nullité du licenciement peut aussi être prononcée lorsque la mesure contrevient à une liberté fondamentale (Cass. soc. 13 mars 2001). Au visa de l’article 10, § 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CESDH), il a donc été jugé que le licenciement prononcé à l’encontre d’un lanceur d’alerte pour avoir signalé de bonne foi des conduites potentiellement illicites est nul car il contrevient à la liberté d’expression consacrée par ladite convention. La Cour a suivi le même raisonnement juridique au sujet du droit d’agir en justice (Cass. soc. 3 février 2016) et de la liberté de témoigner en justice (Cass. soc. 29 octobre 2013).

Dans l’attente d’un statut légal, une protection fondée sur la liberté d’expression garantie par le droit européen

Cet arrêt témoigne d’une volonté de la Cour de cassation de renforcer la protection des lanceurs d’alerte et ce, même si les faits qu’ils dénoncent ne donnent pas nécessairement lieu à des poursuites pénales. Alors que les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-1 du Code du travail s’appliquent en cas de dénonciation de faits «constitutifs d’un délit ou d’un crime», la Cour de cassation, dans cet arrêt du 30 juin 2016, protège le salarié contre le licenciement en cas de révélation de faits «susceptibles de qualification pénale». Un champ donc beaucoup plus large, pourvu que le salarié soit toujours de bonne foi, et qui pourrait soulever de sérieuses difficultés d’interprétation.

Ces dernières devraient cependant se restreindre avec la mise en place prochaine d’un statut légal plus complet des lanceurs d’alerte. Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a notamment pour objet de définir plus avant les contours du statut des lanceurs d’alerte et d’encadrer la procédure à suivre en cas de signalement. Dans sa version actuelle, il introduit un principe de non-discrimination spécifique aux lanceurs d’alerte applicable au recrutement, à la formation, à la promotion ou encore au licenciement. Le lanceur d’alerte devrait cependant bénéficier de cette protection à la condition d’avoir respecté la procédure de signalement spécifiquement mise en place.

Auteur

Pierre Bonneau, avocat associé en droit social

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