L’Accord de Performance Collective (APC) : un outil juridique puissant, soumis à contrôle judiciaire de réalité

21 octobre 2025
L’Accord de Performance Collective (APC) créé par l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 a été codifié à l’article L. 2254-2 du Code du travail. Cet accord peut être conclu « afin de répondre aux nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise ou en vue de préserver ou de développer l’emploi » et « permet d’aménager la durée du travail, ses modalités d’organisation et de répartition, d’aménager la rémunération dans le respect des salaires minima hiérarchiques et de déterminer les conditions de mobilité professionnelle ou géographique interne à l’entreprise ». Ses stipulations « se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail » et, en cas de refus écrit du salarié dans le délai d’un mois, l’employeur « dispose d’un délai de deux mois […] pour engager une procédure de licenciement » reposant « sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse », ce licenciement étant de nature sui generis prononcé selon les modalités d’un licenciement pour motif personnel.
Dans un arrêt très récent du 2 octobre 2025 (CA Versailles, 2 octobre 2025, RG n°23/03110), la cour d’appel de Versailles a fait application du principe énoncé par la Cour de cassation dans son arrêt du 10 septembre 2025 (Cass. Soc. 10 septembre 2025 n°23-23.231) et a procédé à un contrôle strict de l’objet de l’accord de performance collective (APC).
Pour rappel, dans sa décision de septembre 2025, la chambre sociale de la Cour de cassation a précisé qu’il résulte des articles 4, 9.1, 9.3 de la Convention n° 158 sur le licenciement de l’Organisation internationale du travail et de l’article L. 2254-2 du Code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, qu’il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux du motif du licenciement du salarié consécutif à son refus de la modification de son contrat de travail résultant de l’application d’un accord de performance collective au regard de la conformité de cet accord aux dispositions de l’article L. 2254-2 du Code du travail et de sa justification par l’existence des nécessités de fonctionnement de l’entreprise, sans qu’il soit nécessaire que la modification, refusée par le salarié, soit consécutive à des difficultés économiques, des mutations technologiques, une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ou une cessation complète de l’activité de l’employeur.
La compréhension de cet arrêt de la cour d’appel de Versailles illustre bien le contrôle judiciaire sur un APC.
La cour d’appel de Versailles précise :
« Il convient de rappeler qu’un accord de performance collective ne peut avoir pour objet ou pour effet de supprimer des postes s’agissant uniquement d’aménager les conditions de travail concernant la durée et l’organisation du travail, la rémunération et la mobilité professionnelle et géographique des salariés.
L’étendue du contrôle du juge est déterminée en tenant compte des effets exorbitants du droit commun accordés par le législateur à cet accord collectif particulier : l’APC se substitue aux clauses contraires des contrats de travail, faisant ainsi prévaloir la volonté collective des signataires de l’accord sur les volontés individuelles des salariés auxquels il s’applique.
Cet effet impératif renforcé qui caractérise l’APC doit donc conduire le juge à assurer un contrôle strict des conditions de conclusion de l’accord et de sa conformité aux dispositions légales conditionnant ses effets. Le consentement des signataires de l’APC, qui se substitue à celui de chaque salarié, doit ainsi faire l’objet d’un contrôle à double titre, en ce qu’il permet l’application de l’accord à l’ensemble des salariés (en vertu de l’effet erga omnes propre à tout accord collectif) mais aussi en ce qu’il écarte l’application des clauses issues des contrats individuels de travail.
Ce contrôle du consentement des signataires doit ainsi porter sur deux volets : d’une part, en la forme : c’est le contrôle du respect des procédures de conclusion de l’accord prescrites par la loi; d’autre part, au fond : c’est l’exigence de loyauté dans la négociation de l’accord.
S’agissant d’un accord qui doit reposer sur des nécessités de fonctionnement de l’entreprise ou la préservation/le développement de l’emploi, l’accès aux informations d’ordre économique et/ou organisationnel qui justifient, selon l’employeur, la conclusion d’un APC s’imposant aux contrats de travail, et non d’un accord collectif « de droit commun », est indéniablement utile.
Se pose toutefois la limite de l’information à fournir car le texte n’oblige pas l’employeur à justifier des nécessités de fonctionnement de l’entreprise dans les mêmes conditions que dans le cadre d’un accord de PSE requérant un motif économique. Il lui appartient de fournir les informations demandées, dès lors qu’elles sont en rapport avec l’objet de l’APC, sans que le juge soit en mesure de contrôler le caractère suffisant des informations transmises, ce qui reviendrait à contrôler la pertinence de l’accord lui-même. » (CA Versailles, 2 octobre 2025, RG n°23/03110)
Se référant à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 septembre 2025 précité, la cour d’appel de Versailles précise enfin que « Le juge ne peut donc pas se limiter à un contrôle formel des exigences légales. Il doit dépasser la lettre de l’accord et vérifier que l’objectif mentionné dans son préambule correspond à une réalité et que l’accord est effectivement justifié par des nécessités concrètes de fonctionnement de l’entreprise. »
En l’espèce, après un examen approfondi des pièces versées aux débats, la cour d’appel a retenu que la société n’a pas démontré que l’APC résultait des nécessités de fonctionnement de l’entreprise au sens de l’article L.2254-2 du Code du travail. En effet, la Cour a relevé que l’APC a été conclu pour « anticiper les difficultés économiques, d’améliorer la compétitivité de la société et de préserver l’emploi » dans le contexte Covid-19, en invoquant des arrêts de production, des fermetures de sites et des baisses d’activité en 2020.
Il prévoyait des mesures d’aménagement du temps de travail (suppression de jours de repos supplémentaires pour certaines catégories) et d’aménagement de la rémunération (exclusion du 13e mois et du bonus du calcul des congés payés, paiement partiel du 13e mois en 2020, baisses de salaires de 2 à 6% pour certaines tranches, hausse du temps de travail des mécaniciens et magasiniers avec ajustement du taux horaire).
Les bonus individuels 2020-2021, primes de bilan et bonus de Noël n’étaient pas versés, et aucune augmentation individuelle n’était prévue au 1er janvier 2021. L’accord était à durée déterminée jusqu’au 31 décembre 2021, avec retour aux conditions antérieures sauf pour certains aménagements du temps de travail.
Le salarié soutenait que l’APC lui faisait perdre jusqu’à 25% de sa rémunération et contestait sa loyauté, tandis que l’employeur renonçait finalement à l’APC à compter du 1er juillet 2021, soit à peine 5 mois après les licenciements des salariés ayant refusé l’APC.
Les éléments produits révélaient que les difficultés économiques préexistaient en 2019, que la baisse des commandes observée dès mars 2020 s’était résorbée à partir de juin 2020, et qu’un courriel d’octobre 2020 faisait état de perspectives optimistes (reprise, hausse des commandes, recrutements). La baisse du résultat 2020 provenait notamment de provisions exceptionnelles (risque fiscal et licenciements) et, sans elles, l’activité 2020 aurait été supérieure à 2019.
La société n’a pas démontré avoir remplacé les salariés licenciés au titre de l’APC ni établi la nécessité de fonctionnement justifiant l’accord. L’écart entre les données présentées et la réalité ne résultait pas d’une simple erreur d’appréciation. En conséquence, le refus par le salarié de la modification de son contrat était fondé et son licenciement a été jugé sans cause réelle et sérieuse.
En l’occurrence, la décision de la cour d’appel apparait justifiée au regard des circonstances particulières de l’affaire. Sans connaitre précisément la situation de la société, il semblerait bien y avoir une discordance entre les raisons ayant conduit à la signature de l’APC et la réalité économique concrète et réelle de l’entreprise.
C’est à notre sens cette discordance relevée par la cour d’appel, traduisant une forme de déloyauté, qui a conduit la cour d’appel à « déqualifier » l’APC et le licenciement conséquent.
Il convient de souligner que la cour d’appel a simplement jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse et ne l’a pas déclaré nul en application de l’article L. 1235-10 qui sanctionne de nullité les licenciements économiques prononcés sans décision de validation ou d’homologation d’un PSE.
Comme l’a rappelé la cour d’appel de Versailles, l’APC est instrument juridique dérogatoire au droit commun, doté d’effets particulièrement puissants en ce qu’il prévaut sur les stipulations contractuelles individuelles.
Il s’agit donc d’un outil juridique extrêmement puissant (« effets exorbitants du droit commun accordés par le législateur à cet accord collectif particulier ») qu’il convient de manier avec précaution pas des mains expertes. Dès lors, il doit être négocié, conclu et appliqué avec une rigueur particulière, par des acteurs maîtrisant pleinement ses implications juridiques et sociales.
AUTEUR
Guillaume Bossy, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats Lyon
Previous Story
La difficile contestation du caractère professionnel de l’accident déclaré en situation de télétravail
Next Story
This is the most recent story.
Related Posts
Le RGPD et les RH : comment présenter simplement ce qui semble compliqué ?... 30 août 2018 | CMS FL

Procédure de licenciement et représentation de l’employeur : le DRH d&rs... 28 octobre 2021 | Pascaline Neymond

Réforme Macron : la nouvelle et salutaire prévisibilité de l’indemnisation ... 1 décembre 2017 | CMS FL

La prise en compte des holding purement financières dans l’appréciation des ... 30 avril 2019 | CMS FL

Le traitement social des réductions tarifaires accordées aux salariés... 7 janvier 2016 | CMS FL

Licenciement d’un salarié protégé : l’accord de performance colle... 30 septembre 2019 | Pascaline Neymond

Le portage salarial, une opportunité d’actualité... 13 octobre 2017 | CMS FL

L’accord de performance collective à l’épreuve du contrôle de l&r... 18 octobre 2019 | Pascaline Neymond

Articles récents
- L’Accord de Performance Collective (APC) : un outil juridique puissant, soumis à contrôle judiciaire de réalité
- La difficile contestation du caractère professionnel de l’accident déclaré en situation de télétravail
- La Cour de cassation consacre le droit des télétravailleurs aux titres-restaurant au nom du principe d’égalité de traitement
- DRH de Start-up : comment réussir ses premières élections professionnelles ?
- Annulation en justice du PSE homologué : le Conseil d’Etat précise les règles de révision du PSE unilatéral !
- Le droit de se taire n’a pas à être notifié au salarié
- Procédure disciplinaire et licenciement : le Conseil constitutionnel tranche sur le droit de se taire
- Intelligence artificielle : le forçage de la consultation du CSE
- Les arrêts du 10 septembre 2025 sur les congés payés ou le syndrome du juge légiférant
- Conférence : Introduction de l’IA en entreprise : décrypter et maîtriser les enjeux juridiques