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L’apport par des personnes physiques à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés de parts de SCI peut-il être abusif ?

L’apport par des personnes physiques à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés de parts de SCI peut-il être abusif ?

Les personnes physiques qui apportent des parts de SCI à une société civile soumise à l’IS doivent être attentives au risque d’abus de droit en cas de défaut de substance de la société bénéficiaire de l’apport.

Le Comité de l’abus de droit fiscal a eu à se prononcer sur un apport, par deux frères, de l’usufruit temporaire de parts de leur SCI à une société civile soumise à l’impôt sur les sociétés. Il a considéré que la société bénéficiaire de l’apport avait été constituée à la seule fin de déterminer abusivement les résultats imposables de la SCI selon les règles de l’impôt sur les sociétés et de les assujettir tout aussi abusivement à cet impôt, en bénéficiant du taux réduit de 15% prévu en faveur de certaines PME (CADF/AC n°01/2015, Affaire n°2014-33 du 29 janvier 2015).

Rappel des faits

Les faits évoqués par le Comité sont importants car, bien que certains d’entre eux ne fassent pas l’objet de critiques explicitement formulées, ils semblent néanmoins avoir constitué le fondement essentiel, si ce n’est exclusif, de la remise en cause des conséquences fiscales des opérations réalisées.

Dans cette affaire deux frères avaient créé ensemble une SCI. Cette société acquiert des locaux qui sont donnés en location à la société anonyme dans laquelle les deux frères exercent leur activité professionnelle. La SCI relève du régime des sociétés de personnes et son résultat est déterminé selon les règles applicables aux revenus fonciers, donc imposé entre les mains des deux associés à l’impôt sur le revenu au barème progressif.

Quelques années plus tard, les deux frères créent une société civile (SC) à laquelle ils apportent l’usufruit temporaire, d’une durée de 12 ans, des titres de la SCI. La valeur d’apport est déterminée en appliquant à la situation nette de la SCI le barème de l’article 669 du CGI. En contrepartie de cet apport, chaque frère reçoit des parts de la société civile nouvelle. L’opération est pour eux fiscalement neutre, l’imposition de la plus-value ayant fait l’objet d’un sursis.

Le Comité indique que la SCI n’a procédé à des distributions que pour des montants limités. Il semblerait que les charges de la SC étaient supportées par la SCI qui débitait corrélativement le compte courant d’associé ouvert dans ses livres au nom de la SC. Nous comprenons que des distributions de la SCI permettaient régulièrement le remboursement partiel de ce compte courant.

Le choix du régime fiscal n’est pas abusif en tant que tel

Le Comité prend tout d’abord la peine de confirmer que « l’option d’une société pour l’assujettissement de ses bénéfices à l’impôt sur les sociétés n’est pas en elle-même constitutive d’un abus de droit alors même que le régime d’imposition qui résulte de cette option est plus favorable au contribuable« .

A notre sens et compte tenu de la similitude des effets produits, il n’y a pas lieu d’opérer à cet égard une distinction de principe entre l’option pour l’impôt sur les sociétés de la SCI et l’interposition d’une structure relevant de cet impôt, pour autant naturellement que la constitution de cette structure interposée ne soit pas critiquable pour d’autres motifs.

Sur le fond, une option fiscale étant en principe et sauf erreur d’appréciation exercée dans l’intérêt du contribuable – devons-nous préciser dans le but d’optimiser ses charges fiscales ? – il est heureux que ce dernier n’ait pas à justifier de la légitimité de son choix.

A défaut, la majorité des options fiscales instaurées par le législateur correspondraient à autant de pièges tendus au contribuable.

Mais la constitution d’une société sans substance économique serait critiquable

Nonobstant le rappel précité, le Comité conclut à l’existence d’un abus de droit dans l’interposition d’une société « dépourvue de substance économique et ayant opté pour l’assujettissement de ses bénéfices à la seule fin de bénéficier » d’un taux d’imposition plus favorable contrairement aux objectifs du législateur.

Compte tenu des divergences entre les règles régissant, d’une part, l’impôt sur le revenu (par principe progressif) et, d’autre part, l’impôt sur les sociétés (par principe proportionnel, étant indiqué qu’en l’espèce l’application d’un taux réduit accentuait les critiques formulées), la référence à l’intention qu’aurait poursuivie le législateur quant au choix du régime d’imposition ne manque pas de surprendre.

Rappelons qu’en tant que tel, le choix des contribuables de soumettre la SC bénéficiaire de l’apport à l’impôt sur les sociétés entraînait également des conséquences potentiellement moins favorables, notamment en termes.

(i) de régime d’imposition de la plus-value en cas de cession du bien immobilier ou des parts de la SCI, la plus-value n’étant plus éligible au régime des plus-values immobilières des particuliers dont il est rappelé qu’à la date de l’apport il conduisait à une imposition forfaitaire de 16% majoré des prélèvements sociaux au taux global de 11% après application d’un abattement pour durée de détention de 1% par an au-delà de la cinquième année (soit une exonération intégrale au terme d’une durée de détention de quinze ans) ;

(ii) et de libre mise à disposition du bien immobilier, les associés d’une société relevant de l’impôt sur les sociétés ne pouvant pas bénéficier gratuitement de l’usage de ce bien ; au contraire, une telle faculté existe lorsque la société n’est pas assujettie à l’impôt sur les sociétés.

Certes, le Comité a pu estimer que la réduction du taux d’imposition constituait en l’espèce une motivation importante de l’apport réalisé mais la critique de cet objectif – à le supposer établi eu égard à la situation d’ensemble – ne peut valablement, nous semble-t-il, aboutir à la remise en cause du régime fiscal de la SC en tant que tel.

Surtout, la conclusion du Comité laisse planer un doute, regrettablement à notre sens, sur le caractère intrinsèquement répréhensible de l’interposition d’une société sans activité économique (le Comité ne va pas jusqu’à la qualifier de fictive) au seul motif que le régime fiscal de la société serait différent de celui de ses associés.

Il faut observer que le Comité relève explicitement que la SC ne disposait pas d’un compte bancaire et ne pouvait fonctionner, via son compte courant d’associé, que grâce aux moyens de la SCI. Mais cette situation est susceptible de concerner un certain nombre de holdings pures sans pour autant que le recours à ces dernières suffise à caractériser un montage abusif.

Le Comité estime être en présence d’un montage artificiel

A l’examen des éléments mentionnés par le Comité, le doute précité nous paraît pouvoir être raisonnablement nuancé dès lors que le Comité présente la situation de la SC comme résultant de la mise en œuvre d’un montage artificiel, indépendamment au demeurant du régime fiscal de la SC.

Le bien-fondé ou la critique d’une telle appréciation peut reposer sur des circonstances complémentaires dont le Comité n’a pas fait état mais la compréhension de la conclusion de l’avis doit prendre en considération celles qu’il a jugé bon de rappeler.

Le Comité relève que la SC ne percevait de la SCI que des dividendes d’un montant correspondant « dans le meilleur des cas » à celui des charges de la SC ; la SC, imposable sur le bénéfice fiscal de la SCI laquelle n’était pas assujettie à l’impôt sur les sociétés, ne pouvait dès lors dégager aucun profit et même, dans certains cas, pouvait réaliser des pertes en raison de la perception d’un dividende d’un montant inférieur à celui des charges supportées.

Le Comité a corrélativement considéré que les associés de la SC ne pouvaient pas faire état de l’existence d’un intérêt pour celle-ci à recevoir un usufruit dont les revenus ne lui permettaient pas de dégager un bénéfice économique satisfaisant, dès lors qu’elle renonçait à percevoir des dividendes suffisants.

Mais le Comité n’évoque1 pas, comme on aurait pu l’imaginer, de critiques portant sur l’exonération d’ISF de la nue-propriété des parts transmises, l’amortissement de l’usufruit reçu par la SC ou encore l’atténuation, le différé ou l’exonération de l’imposition de la plus-value de cession. On peut supposer que la valorisation, non remise en cause, des parts de la SCI considérée (50.000 € en pleine propriété) conduisait en l’espèce à minorer ou exclure de telles conséquences.

Conclusion

Nous pensons que cet avis ne vise pas à critiquer en tant que telle l’interposition d’une société sans activité économique (holding).

Néanmoins, la remise en cause des opérations réalisées au regard du défaut de substance de la société interposée doit inciter à prêter une attention particulière aux conditions de fonctionnement d’une telle société ainsi qu’à l’intérêt qu’elle doit pouvoir trouver, sauf circonstances imprévues, dans la mise en œuvre des opérations examinées.

En effet, il nous semble que l’avis en cause repose, pour une part significative, sur le fait que le Comité a cru pouvoir considérer comme dépourvue d’intérêt pour la SC l’opération d’apport d’un usufruit ne conduisant pas à la perception de revenus suffisants.

Note

1. Ces critiques avaient été l’objet de précédentes décisions portant sur la constitution, estimée abusive, d’un usufruit temporaire (cf. en particulier, les avis rendus sur les affaires n° 6/2013, 2/2012 et n°5/2012).

 

Auteur

Pierre Carcelero, avocat en matière de fiscalité directe.

 

*L’apport par des personnes physiques à une société assujettie à l’impôt sur les sociétés de parts de SCI peut-il être abusif ?* – Article paru dans le magazine Option Finance le 13 avril 2015