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Le civisme fiscal : vers une nouvelle perception de la fiscalité au sein des groupes ?

Le civisme fiscal : vers une nouvelle perception de la fiscalité au sein des groupes ?

Alors que la fiscalité a pendant longtemps été appréhendée par les entreprises sous le seul angle de la conformité aux dispositions règlementaires, une nouvelle vision de la matière se développe. Les enjeux liés au civisme fiscal prennent une importance croissante, et les entreprises sont ainsi invitées à mener une réflexion globale sur leur stratégie fiscale.

Le développement d’un cadre incitant à des pratiques fiscales vertueuses

Outre les règles traditionnelles anti-optimisation fiscale agressive, un certain nombre de dispositions contraignent les groupes à communiquer sur leur politique fiscale. Par exemple, la déclaration de performance extra-financière (« DPEF »), qui a pour objet de préciser les actions déployées par les sociétés cotées en matières sociale, environnementale et sociétale, couvre notamment les dispositions prises en faveur de la « la lutte contre l’évasion fiscale »[1]. Si cette obligation a déjà conduit certaines entreprises à mener une réflexion sur leur stratégie fiscale, l’entrée en vigueur prochaine de la déclaration pays-par-pays publique (« CbCR public ») constituera sans aucun doute une nouvelle étape en la matière. La directive du 24 novembre 2021 [2], qui doit être transposée au plus tard le 22 juin 2023 par les Etats membres, impose aux groupes de rendre accessible au public une présentation pays par pays de certains agrégats économiques et notamment de leurs bénéfices et impôts correspondants. Elle entraînera nécessairement un examen approfondi de ces données par le grand public.

L’opinion publique est en effet de plus en plus sensible aux problématiques liées à la charge d’impôt des entreprises. En particulier, certains investisseurs responsables encouragent la prise en compte de la question fiscale dans les axes de développement durable. Le Forum pour un investissement responsable a ainsi publié en mai 2020 une étude intitulée « Pratiques fiscales des entreprises : passer de la conformité à la responsabilité », présentant les enjeux de la responsabilité fiscale des entreprises et des recommandations concrètes pour un civisme fiscal. Les médias s’emparent également des problématiques afférentes aux pratiques d’évasion fiscale et aux grandes réformes fiscales. Nombre de rapports d’ONG et d’associations réclament enfin plus de transparence et incitent à des pratiques fiscales vertueuses. Principalement, l’initiative B-team, lancée en 2013, et visant à promouvoir une culture de la responsabilité dans le monde des affaires, ​a publié ses B-team Responsible tax principles. Y ont adhéré certains des plus grands groupes français et étrangers, qui s’engagent à fournir des informations portant sur leurs pratiques et leur gouvernance fiscales. Ces principes sont à cet égard devenus un référentiel utilisé par de nombreuses directions fiscales, y compris par celles de groupes n’ayant pas directement adhéré à l’initiative B-team.

La mise en œuvre du CbCR public accentuera sans aucun doute cette tendance.

L’établissement d’une stratégie fiscale responsable, un enjeu majeur des années à venir

Dans ce contexte, les groupes ne devront plus seulement se limiter à respecter les lois et proscrire les pratiques d’évasion fiscale. Ils devront définir une stratégie fiscale qui reflète leur engagement à s’acquitter des impôts dans les juridictions où ils produisent effectivement de la valeur économique. La mise en œuvre d’une telle politique implique de redéfinir les processus de fonctionnement internes des groupes afin d’intégrer de manière claire et efficace la fiscalité à leur stratégie globale responsable. Elle nécessite également de communiquer de façon volontariste et soignée sur les actions menées à bien pour y parvenir.

 

  • Vers une redéfinition des processus de fonctionnement internes

Le plus souvent, la politique fiscale est abordée dans les groupes par le biais du Comité d’Audit, et cantonnée à ses aspects financiers et techniques (charge d’impôt, évolutions réglementaires, provisionnements, litiges).

L’incitation à des pratiques fiscales vertueuses conduit à appréhender la fiscalité d’une façon plus globale à tous les échelons de l’entreprise.  Au niveau des organes de direction, la fiscalité devra être traitée en tenant également compte de ses aspects extra-financiers. Les pratiques fiscales ne seraient alors plus seulement examinées à l’aune de la réglementation en vigueur, mais seraient un levier de développement durable, via le financement des services publics et des politiques publiques. En pratique, le Conseil d’administration (ou le Directoire) déterminera une stratégie fiscale sur le long terme en l’intégrant à la politique générale de Responsabilité Sociétale et Environnementale (« RSE ») du groupe. Cette stratégie se traduira par différents principes directeurs (transparence, relation avec les autorités fiscales, etc.).

La mise en œuvre de ces principes s’accompagnera d’une redéfinition des processus de fonctionnement internes du groupe, tels que :

  • la réalisation d’audits internes et externes des pratiques fiscales du groupe ;
  • la formation des équipes opérationnelles et supports à l’identification et la gestion des enjeux fiscaux ;
  • l’établissement de procédures de reporting des personnels opérationnels, juridiques et comptables à destination des équipes fiscales et des organes de direction ;
  • la réalisation de veilles fiscales anticipant les évolutions prévisibles de la matière et d’analyses prospectives des tendances sociétales.

Cette nouvelle appréhension de la fiscalité devrait ainsi permettre de sécuriser les pratiques fiscales de l’ensemble du groupe.

 

  • Une communication à soigner

La « médiatisation » des pratiques fiscales des entreprises, bien souvent appuyée sur des données insuffisantes ou incomplètes, rendra par ailleurs nécessaire une communication proactive sur la politique fiscale mise en place au sein des groupes.

Si une première étape peut consister à étayer les données relatives à la fiscalité publiées dans la DPEF, les groupes pourront aller plus loin en mettant en place une charte fiscale décrivant leur politique fiscale et ses principes directeurs. Ils pourront également établir des rapports de responsabilité fiscale, traduisant la mise en application des principes formulés par cette charte de responsabilité. Ce code de conduite fiscale, consultable par le grand public, pourra par exemple apporter des informations sur la structure du groupe. Il pourra également établir un reporting étayé pays par pays incluant les bases taxables et taxes acquittées, apporter les informations relatives à la gestion du risque fiscal, ou plus généralement décrire l’engagement de l’entreprise sur les questions de responsabilité fiscale.

Cette communication nécessitera de faire preuve de pédagogie. Les groupes devront par exemple justifier sur le plan économique leur implantation dans des Etats à fiscalité privilégiée. Ils pourront également être amenés à justifier les raisons pour lesquelles ils bénéficient d’un taux effectif d’impôt sur les sociétés peu élevé dans certains Etats d’implantation. Ce faible taux pourrait en effet s’expliquer par une activité de recherche et développement importante, bénéficiant du crédit d’impôt recherche, ou d’autres dispositifs fiscaux incitatifs. Pourront également être mentionnés des éléments attestant de la bonne coopération avec les administrations fiscales des pays d’implantation, tels que la conclusion d’un partenariat fiscal avec l’administration française.

Les engagements pris en matière de civisme fiscal et la transparence accrue pourraient toutefois amplifier l’exposition des groupes dont les pratiques opérationnelles ne seraient pas totalement conformes à la politique fiscale publiée. Un juste milieu doit par conséquent être trouvé entre les engagements pris et les contraintes inhérentes aux activités de l’entreprise, sous peine de se voir mis en défaut par les observateurs. Il s’agit là d’un autre volet de la communication sur les sujets fiscaux qui mérite d’être soigné en amont de toute situation de crise afin d’éviter de potentiels risques réputationnels : il convient d’anticiper non seulement la remise en cause de certaines pratiques par l’administration fiscale, mais également les éventuelles critiques de la part des médias et plus généralement de l’opinion publique, pour être en mesure d’y réagir de manière appropriée.

L’ensemble de ces réflexions relatives au civisme fiscal constituera en tout état de cause un enjeu majeur pour tous les groupes au vu du contexte actuel, le développement de labels fiscaux n’étant pas à exclure dans un avenir proche.

 

Par Sandy Boverie et Diane Auther, avocates, CMS Francis Lefebvre
Article paru dans Option Finance le 21/11/2022

[1]    Article L22-10-36 du Code de commerce.
[2]    Directive (UE) 2021/2101 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la communication, par certaines entreprises et succursales, d’informations relatives à l’impôt sur les revenus des sociétés.