Le nouveau champ d’application des accords de groupe

22 juin 2017
Aux termes de l’article L 2232-33 du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’article 23 de la loi travail du 8 août 2016, « L’ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve des adaptations prévues à la présente section.
Lorsqu’un accord sur la méthode prévu à l’article L 2222-3-1 conclu au niveau du groupe le prévoit, l’engagement à ce niveau de l’une des négociations obligatoires prévues au chapitre II du titre IV du présent livre dispense les entreprises appartenant à ce groupe d’engager elles-mêmes cette négociation. L’accord sur la méthode définit les thèmes pour lesquels le présent article est applicable.
Les entreprises sont également dispensées d’engager une négociation obligatoire prévue au chapitre II du titre IV du présent livre lorsqu’un accord portant sur le même thème a été conclu au niveau du groupe et remplit les conditions prévues par la loi ».
Dès sa publication, ce texte a soulevé un problème d’interprétation : le premier alinéa doit-il être lu de façon autonome ou doit-il être lu en lien avec les deuxième et troisième alinéas qui ne traitent que des négociations annuelles obligatoires ?
La portée de l’article est très différente dans les deux cas :
- si on lit le premier alinéa de façon autonome, ce sont l’ensemble des négociations prévues au niveau de l’entreprise par le Code du travail qui peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe ;
- si on considère que le premier alinéa n’est pas séparable des alinéas deux et trois, ce sont seulement les négociations obligatoires annuelles qui peuvent être engagées au niveau du groupe, ce qui a pour effet de dispenser les entreprises qui en font partie d’y procéder.
L’hésitation est permise dans la mesure où un certain nombre d’arguments de texte et tirés des travaux préparatoires plaident a priori pour une lecture restrictive :
- la notion de « négociation prévue par le présent code au niveau de l’entreprise » pourrait être interprétée comme renvoyant aux négociations obligatoires ;
- l’expression « sous réserve des adaptations prévues à la présente section » pourrait être interprétée comme liant le premier alinéa du texte au deuxième et au troisième alinéa qui portent sur la négociation obligatoire ;
- l’étude d’impact de la loi souligne que « toutes les négociations obligatoires peuvent désormais se tenir au niveau du groupe »;
- le rapport de l’Assemblée nationale en première lecture énonce que « les accords de groupe pourront donc porter également sur une négociation annuelle obligatoire d’entreprise prévue à l’article L2242-1 du Code du travail, telle que la négociation annuelle sur la rémunération, le temps de travail et le partage de la valeur ajoutée dans l’entreprise » ;
- enfin, lors des débats au Sénat il a été indiqué que « les alinéas 21 à 26 de l’article 12 prévoient que toutes les négociations obligatoires peuvent se tenir au niveau du groupe ».
C’est pourtant l’interprétation autonome, c’est-à-dire l’interprétation large du premier alinéa, qui doit être retenue pour deux raisons :
- la première est que la lettre du texte est parfaitement claire : « L’ensemble des négociations prévues par le présent code au niveau de l’entreprise peuvent être engagées et conclues au niveau du groupe dans les mêmes conditions, sous réserve des adaptations prévues à la présente section ». Cette disposition est à la fois claire dans son contenu et se suffit à elle-même. On sait que dans la mesure où la lettre d’un texte est claire, il n’y a pas lieu, pour l’interpréter, de se référer aux travaux préparatoires. Et le fait que, lors de ceux-ci, l’accent ait été mis sur les négociations obligatoires, ne saurait modifier la portée de cet alinéa ;
- la seconde raison est que cette interprétation correspond à la position commune retenue par la direction générale du travail et la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle.
Outre l’autorité qui s’attache à ces prises de positions, celles-ci témoignent également que l’intention du législateur était bien de permettre de négocier au niveau du groupe l’ensemble des sujets qui peuvent être négociés au niveau de l’entreprise.
C’est ce qui explique notamment qu’au moins un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) ait été négocié et conclu au niveau d’un groupe. D’autres sont en cours de négociation. Accords d’entreprise, PSE, accords de préservation et de développement de l’emploi, on voit que le champ qui s’ouvre à la négociation de groupe est immense : c’est l’une des innovations les plus importantes apportées par la loi du 8 août 2016.
Auteur
Olivier Dutheillet de Lamothe, avocat associé en droit social.
Le nouveau champ d’application des accords de groupe – Article paru dans Les Echos Business le 22 juin 2017
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