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L’impôt confiscatoire au sens de la décision du Conseil constitutionnel n°2012-662 DC du 29 décembre 2012

La récente décision du Conseil constitutionnel livre de précieux enseignements sur l’appréciation du caractère confiscatoire d’un impôt. Mais elle est également source d’interrogations et d’interprétations divergentes. Un éclairage semble utile.

Le principe est connu : l’exigence d’égale répartition de la contribution commune entre les citoyens en raison de leurs facultés, formulée par l’article 13 de la Déclaration de 1789, ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Le Conseil constitutionnel l’a affirmé à plusieurs reprises, et la décision du 29 décembre 2012 relative à la loi de finances pour 2013 n’innove pas à cet égard.

Pourtant, les interprétations les plus contradictoires de la décision du Conseil constitutionnel prospèrent dans la presse : certains considèrent qu’il est loisible au Gouvernement de corriger sa copie sur la taxe exceptionnelle relative aux très hauts revenus portant le total des prélèvements sur le revenu à un taux marginal de 75% en se contentant de « conjugaliser » la taxe; d’autres estiment que ce remède ne tuerait en rien le mal.

Ce chaos médiatique vient en grande partie du fait que le Conseil constitutionnel a, sur ce point particulier, refusé de prendre position sur le caractère confiscatoire de la nouvelle taxe. Il n’en a pas moins donné, dans d’autres passages de sa décision, d’utiles indications sur la méthode à retenir pour constater le caractère confiscatoire de l’impôt et sur les conséquences qui en découlent.

L’appréciation globale du caractère confiscatoire
Premier point essentiel : pour apprécier l’effet confiscatoire d’une règle fiscale, il faut la replacer dans son contexte. Il faut ainsi la combiner avec d’autres règles d’imposition, et c’est l’ensemble du dispositif qui peut aboutir à un assujettir un contribuable à l’impôt au-delà du raisonnable.

De là naît une difficulté : lorsque l’effet confiscatoire vient d’un cumul de règles, comment déterminer celle qu’il convient de retrancher de l’ordre juridique en raison de son caractère inconstitutionnel ? La question s’est notamment posée au Conseil constitutionnel au sujet de l’effet confiscatoire entraîné par l’augmentation à 45% du taux marginal du barème de l’impôt sur le revenu pour les titulaires de rentes versées dans le cadre des régimes de retraite à prestations définies (les retraites dites « chapeau »). En l’occurrence, le cumul entre l’impôt sur le revenu, les prélèvements sociaux et la contribution salariale prévue à l’article L. 137-11-1 du Code de la sécurité sociale au taux de 21% pour la fraction des retraites « chapeau » excédant 24 000 euros aboutissait à un taux de 75,04% pour 2012 et de 75,34% pour 2013. Fort audacieusement, le Conseil constitutionnel s’appuya sur sa jurisprudence dite « néo-calédonienne » (déc. n° 85-187 DC du 24 janvier 1985) pour censurer, non les dispositions de la loi de finances pour 2013 qui lui étaient déférées, mais bien le taux marginal d’imposition des retraites « chapeau » prévu par le Code de la sécurité sociale. Le Conseil réaffirma à cette occasion que la conformité à la Constitution d’une loi déjà promulguée peut être appréciée à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine. C’est en somme la consécration d’une sorte d’inconstitutionnalité par ricochet : la réforme du Code général des impôts débouche sur la non-conformité à la Constitution du code de la sécurité sociale.

En pratique, le commentaire publié par les Cahiers du conseil constitutionnel affirme que cette censure, « qui produit ses effets immédiatement, permettra d’éviter que ne s’appliquent des taux confiscatoires tant aux rentes versées en 2012 qu’à celles versées à compter de 2013 ». Il semble donc que sur la base de la décision du Conseil constitutionnel, les titulaires de retraites chapeaux ayant déjà acquitté la cotisation au taux marginal de 21% dans les conditions prévues par le code de la sécurité sociale se trouvent – de façon fort imprévue – fondés à en réclamer la restitution partielle.

L’appréciation relative du caractère confiscatoire
Deuxième maxime de méthode dans la jurisprudence constitutionnelle : il n’existe pas de seuil absolu à partir duquel un taux d’imposition devient confiscatoire. La décision du 29 décembre 2012 en est une illustration spectaculaire, comme en témoignent les quelques constats suivants : pour les retraites « chapeau », le taux de 75% est jugé confiscatoire ; pour les avantages tirés de l’exercice d’une option de souscription ou d’achat d’actions ou de l’acquisition d’actions gratuites, l’effet confiscatoire se vérifie dès 68,2% ; mais pour les titulaires de bons anonymes, le Conseil constitutionnel, tout en censurant la réforme qui porte le montant global des prélèvements à 90,5%, laisse subsister l’état actuel du droit dans lequel les titulaires sont imposés au moyen d’un prélèvement forfaitaire de 60% augmenté de 15,5% de prélèvements sociaux, soit un total de 75,5% ! Le Conseil constitutionnel se contredirait-il lui-même ?

Cela n’est pas certain. Le taux de 68,2% applicable aux gains tirés de stock-options et actions gratuites se serait appliqué dès le premier euro dès lors qu’un contribuable célibataire aurait perçu 150 000 € de revenu par ailleurs ; les taux de 75,04% ou de 75,34%, pour les retraites « chapeau », ne se seraient pas appliqués dès le premier euro de rente perçue, mais seulement au-delà d’un certain seuil (pour des rentes dépassant 24 000 € par mois). Il y a donc une certaine logique dans le fait de considérer différemment le caractère confiscatoire des taux selon que ceux-ci sont applicables à l’intégralité d’un élément de revenu ou seulement à sa fraction marginale. Quant au taux de 75,5%, qui demeure de droit positif pour les bons anonymes, on peut penser que son taux extrêmement élevé s’explique par l’objectif, constitutionnel lui aussi, de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale.

Comme on peut le constater, le taux magique de l’impôt confiscatoire n’existe pas. On peut seulement constater qu’en l’état actuel de la jurisprudence, un système confiscatoire prélevant dès le premier euro 64,5% (taux cumulé des prélèvements sur les revenus du capital en l’état du droit postérieur à la loi de finances pour 2013) est conforme à la Constitution, tandis que le taux de 68,2% ne l’est plus. Quant à une imposition marginale, le raisonnement fait pour les retraites « chapeau » montre qu’elle ne saurait atteindre 75%. Le législateur dispose donc d’un peu plus de souplesse pour fixer les taux marginaux que pour établir ceux applicables au premier euro. Dès lors, il paraît inconcevable qu’une simple « conjugalisation » de la taxe sur les très hauts revenus remédie au problème constitutionnel si le taux demeurait fixé à 75%.

L’articulation entre impôts portant sur des assiettes différentes
Troisième règle de méthode : pour apprécier le caractère confiscatoire d’un impôt portant sur une assiette donnée, il est légitime de s’intéresser aux impôts portant sur une autre assiette. Ce lien entre impositions distinctes est au fondement du système de plafonnement de l’ISF voulu par le Gouvernement, puisque le montant de l’ISF dépend du quantum de l’impôt sur le revenu. Mais cette connexion entre impôts distincts explique également en quoi la structure même de l’ISF est liée à celle de l’impôt sur le revenu. C’est ainsi que selon le Conseil constitutionnel, si le législateur a pu accroître le nombre de tranches et rehausser le taux de l’ISF alors qu’il a assujetti dans le même temps les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu et qu’il a maintenu les taux particuliers de prélèvements sociaux sur les revenus du capital, c’est en raison de la fixation à 1,5% du taux marginal de l’ISF et du maintien de l’exclusion totale ou partielle de nombreux biens et droits hors de l’assiette de cette imposition.

On comprend bien la logique : l’alourdissement de la taxation des revenus du capital produit ici un autre effet par ricochet ; elle vient en quelque sorte sanctuariser les exonérations d’ISF

 

A propos de l’auteur

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale. Ce département a pour fonctions principales d’analyser les évolutions de la réglementation fiscale et de contribuer à l’élaboration des positions du cabinet sur les questions techniques les plus complexes. Il est en relation permanente avec l’administration fiscale, les autres autorités publiques françaises et européennes, les instances représentatives des entreprises et le milieu universitaire.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 14 janvier 2013

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