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Précisions sur le caractère abusif ou non d’une soulte dans le cadre d’un apport de titres

Précisions sur le caractère abusif ou non d’une soulte dans le cadre d’un apport de titres

Par deux décisions en date du 31 mai 2022, le Conseil d’Etat est venu préciser les conditions dans lesquelles le versement d’une soulte à l’occasion d’opérations d’apport de titres placées l’une, sous le régime de sursis d’imposition de l’article 150-0 B du CGI, l’autre sous le régime du report d’imposition de l’article 150-0 B ter du même code, est susceptible de caractériser un abus de droit.

Le Conseil d’Etat se prononce, par deux décisions du 31 mai 202, sur le caractère abusif ou non d’une soulte versée dans le cadre d’un apport de titres, et prend aussi le soin de préciser les modalités d’imposition de ces soultes alors que l’administration décidait, selon les cas, d’imposer selon le régime des plus-values ou des revenus de capitaux mobiliers les soultes qu’elle considérait comme abusives.

Rappelons à titre liminaire qu’en vue de favoriser les restructurations économiques, le législateur a institué des régimes de sursis et de report d’imposition en cas d’échange de titres dans le cadre desquels une plus-value est éventuellement constatée au titre de l’année de l’échange de titres, mais son imposition est différée jusqu’à la survenance d’un événement y mettant fin.

En cas d’échange avec soulte, le sursis ou le report d’imposition était subordonné à la condition que la soulte n’excède pas 10 % de la valeur nominale des titres reçus.

En vue de contrer la multiplication des opérations par lesquelles l’apporteur appréhendait des liquidités en franchise immédiate d’impôt, le législateur a prévu que pour les opérations réalisées à compter du 1er janvier 2017, la soulte n’excédant pas 10 % serait désormais imposée au titre de l’année de l’échange ou de l’apport.

Dans la première affaire[1], la situation était assez classique puisqu’il s’est agi, en résumé, pour un particulier et son épouse de réaliser des apports de droits sociaux à des sociétés relevant de l’impôt sur les sociétés, en percevant dans ce cadre des soultes. La particularité de l’espèce tenait à ce qu’une partie des droits apportés était démembrée entre l’apporteur principal et ses enfants et que, ce faisant, les enfants nus-propriétaires avaient remis à l’échange, avec l’usufruitier, leurs droits respectifs. Compte tenu de l’existence de ce démembrement, une partie des parts émises par les sociétés bénéficiaires des apports avait également fait l’objet d’un démembrement, tout comme une partie de la soulte, entraînant la constitution d’un quasi-usufruit sur la soulte. Le lendemain des apports, l’apporteur principal avait fait d’importantes donations des droits échangés à ses filles et à ses petits-enfants.

Dans cette affaire, l’Administration fiscale avait considéré, sur le fondement de l’article L. 64 du LPF, non seulement que les soultes étaient artificielles et dissimulaient une appréhension de liquidités en franchise d’impôt mais également que le versement d’une soulte devait répondre à un objectif de parité d’échange, considération qui semblait ici étrangère aux opérations litigieuses et justifiant alors la requalification des soultes en revenus de capitaux mobiliers, sur le fondement du 2° de l’article 109-1 du CGI.

La cour administrative d’appel de Versailles[2] avait partiellement infirmé cette position en relevant que la liquidité des titres reçus en rémunération de l’apport des titres démembrés était moindre que celle des titres apportés, ainsi que cela ressortait d’une étude comparative des statuts. Dès lors, la cour avait considéré que cette perte de liquidité justifiait le versement de soultes à l’ensemble des apporteurs, si bien que la stipulation d’une telle soulte à leur profit ne pouvait être regardée comme visant exclusivement à leur permettre de percevoir des liquidités en sursis. La cour avait en revanche confirmé la rectification relative à la soulte versée à l’occasion de l’apport consentie par la société d’acquêts des apporteurs. La cour relève en effet que les apporteurs n’apportaient pas la preuve que l’apport dégradait la situation de l’épouse en cas de décès du mari s’agissant d’un pouvoir décisionnel quelconque dont l’épouse aurait bénéficié si l’apport n’avait pas eu lieu et dont la perte aurait justifié le versement d’une soulte.

S’agissant de la première opération, le Conseil d’Etat relève que les importantes donations réalisées dès le lendemain des apports par l’apporteur principal contredisent la perte de liquidité alléguée par celui-ci, si bien que la stipulation de la soulte ne pouvait être regardée comme poursuivant un but autre que celui d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement dû supporter à l’occasion de cette opération. La cour ayant inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis, le ministre est fondé à demander l’annulation de l’arrêt sur ce point.

S’agissant de la seconde opération, le Conseil d’Etat juge que la cour a commis une erreur de droit en considérant que seule pouvait être regardée comme une soulte, au sens des dispositions de l’article 150-0 B du CGI, « une prestation pécuniaire ayant le caractère d’une véritable contrepartie à l’opération d’échange de titres, à savoir une prestation convenue à titre contraignant en tant que complément à l’attribution de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire de l’apport », et en estimant que tel n’était pas le cas des sommes en litige.

Or, il ne fait aucun doute en l’espèce que la soulte litigieuse était bien une soulte dès lors qu’une somme dont le traité d’apport stipule qu’elle est versée en rémunération des apports, en complément de l’attribution de titres de la société bénéficiaire, constitue une soulte au sens des dispositions de l’article 150-0 B du CGI. La seule question qu’aurait dû se poser la cour était de savoir dans quel but la soulte avait été prévue. L’arrêt est donc annulé sur ce point.

Restera désormais à la cour administrative de Versailles de répondre à cette question et au Conseil d’Etat à se prononcer sur la base de cette grille de lecture sur les pourvois présentés par trois des cinq enfants de l’apporteur principal.

Dans la seconde affaire[3], la situation était tout aussi classique puisqu’étaient en cause deux apports réalisés par un contribuable à une société contrôlée, à l’occasion desquels il avait perçu lors de chacune des deux opérations une soulte de 9,99 % de la valeur nominale des titres reçus. Il ressort par ailleurs des faits de l’espèce que le capital de la société apportée, comme celui de la société bénéficiaire de l’apport, était intégralement détenu par l’apporteur. Relevons pour finir que le montant des deux soultes a été inscrit au crédit du compte courant d’associés de l’apporteur et que le remboursement du compte courant en question est intervenu en deux temps, une première fois en 2014 à haute de 46% de son montant et en 2016 pour le solde.

Les plus-values ainsi réalisées à l’occasion de ces apports de titres, y compris les soultes, avaient été placées par l’apporteur, sous le régime du report d’imposition prévu par l’article 150-0 B ter du CGI.

L’administration fiscale, faisant valoir que les soultes ne présentaient pas d’intérêt économique pour la société bénéficiaire des apports et que l’opération n’avait pour autre objectif que de permettre au contribuable d’appréhender une somme en franchise d’impôt, avait estimé que l’opération était constitutive d’un abus de droit.

Elle a, en conséquence, imposé entre les mains de l’apporteur, en tant que revenus distribués, sur le fondement des dispositions du 2° du 1 de l’article 109 du CGI, le montant des soultes créditées sur son compte courant et assorti ces impositions supplémentaires de la majoration de 80 % pour abus de droit prévue au b de l’article 1729 du CGI.

La cour administrative d’appel de Nantes[4], confirmée sur ce point par la Conseil d’Etat, avait jugé que le versement des soultes litigieuses était constitutif d’un abus de droit ; relevant ce faisant que la société bénéficiaire de l’apport ne disposait pas des liquidités nécessaires pour procéder aux remboursements de la totalité des sommes inscrites au crédit du compte courant d’associé de l’apporteur et que ces remboursements avaient été effectués au moyen des dividendes qui lui avaient été versés, sous le bénéfice du régime des sociétés mères, par les sociétés dont les titres lui avaient été apportés. Les soultes en litige ne pouvaient dès lors être regardées comme ayant été stipulées dans l’intérêt économique de la société bénéficiaire des apports.

Le Conseil d’Etat prend en revanche le contrepied de la cour s’agissant de la catégorie de revenus dans laquelle l’imposition de la soulte doit être établie. Il considère en effet que dans la mesure où l’administration n’a pas regardé comme constitutive d’un abus de droit l’opération d’apport elle-même mais seulement le choix de rémunérer l’apport au moyen d’une soulte bénéficiant du report d’imposition, la mise en œuvre de la procédure de répression des abus de droit avait pour seule conséquence la remise en cause, à concurrence de la soulte, du bénéfice du report d’imposition de la plus-value d’apport et la soumission immédiate de celle-ci à l’impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux sur les revenus du patrimoine.

Autrement dit, lorsque ce n’est pas l’apport lui-même qui est remis en cause sur le terrain de l’abus de droit, mais seulement la stipulation d’une soulte, le régime des revenus distribués est inapplicable. L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes est donc annulé et l’affaire lui est renvoyée.

Il s’agit là d’une maigre consolation pour l’apporteur et tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui dans une situation analogue : l’imposition de la soulte dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers se traduisait par une imposition au taux marginal de l’impôt sur le revenu sans application de l’abattement de 40 % prévu au 2° du 3 de l’article 158 du CGI tandis que son imposition dans la catégorie des plus-values permet l’application, le cas échéant des abattements pour durée de détention, ce qui peut, selon les cas, limiter considérablement le taux effectif d’imposition de la soulte[5].

[1] CE, 31 mai 2022, Min. c\ M. et Mme R… et M. et Mme R…, n° 455349, 455807.

[2] CAA, Versailles, 21 juin 2021, n° 19VE03178.

[3] CE, 31 mai 2022, M. C…, n° 454288.

[4]    CAA, Nantes, 27 mai 2021, n° 19NT04896.

[5]    En cas d’application de l’abattement renforcé prévu par le 1 quater-al. 1 de l’article 150-0 D du CGI, le taux d’imposition à l’impôt sur le revenu de la soulte peut être limité à 6,75 %, les prélèvements sociaux s’appliquant indifféremment.

Article paru dans Option Finance le 11/07/2022

Auteurs

Edouard Nahmias, avocat en droit fiscal

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