Image Image Image Image Image Image Image Image Image Image
Scroll to top

Haut

Prix de transfert et BEPS, quoi de neuf ?

Prix de transfert et BEPS, quoi de neuf ?

L’OCDE a rendu publiques le 16 septembre 2014 ses premières conclusions sur les différentes actions entreprises dans le cadre de son initiative contre l’érosion de la base fiscale et le transfert des profits, mieux connue sous son acronyme anglais « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting).

L’annonce de l’OCDE précédait de quelques jours la réunion des Ministres des Finances du G20 les 20 et 21 septembre, lesquels ont salué dans leur communiqué final ces premiers résultats et ont réitéré leur engagement de finaliser ces travaux en 2015. Des rapports couvrant 7 des 15 actions définies par l’OCDE ont été ainsi publiés : ils couvrent les enjeux fiscaux de l’économie numérique, la lutte contre les instruments hybrides, la lutte contre les pratiques fiscales dommageables, la lutte contre l’abus des conventions fiscales, les prix de transfert applicables aux incorporels, la documentation des prix de transfert et le développement d’un instrument multilatéral.

Les rapports spécifiques sur les prix de transfert ont vocation à être directement intégrés dans les Principes Directeurs sur les Prix de Transfert, dont la dernière mise à jour date de juillet 2010, et qui représentent l’ouvrage de référence en la matière. Ces Principes Directeurs n’ont pas force de loi, sauf dans les pays qui les ont directement intégrés dans leur législation. Ce n’est pas le cas en France, même si le juge de l’impôt fait fréquemment référence à ces principes.

Ces deux rapports sur les prix de transfert (incorporels et documentation) sont très proches des derniers projets qui avaient fait l’objet de discussions avec les représentants des entreprises et des organisations non-gouvernementales, datés du 30 janvier 2014 pour la documentation, et du 30 juillet 2013 pour les incorporels. On regrettera que les commentaires suscités lors des réunions d’échanges n’aient été pris en compte qu’assez marginalement.

Documentation des prix de transfert : vers une transparence totale ?

Le rapport sur la documentation présente la version modifiée et finale du chapitre 5 des Principes Directeurs. Il propose un modèle très proche de celui recommandé au niveau de l’Union Européenne suite aux travaux du Forum Conjoint sur les Prix de Transfert, avec deux parties principales, le «Master File» présentant des informations sur le groupe dans son ensemble, et le «Local File» décrivant les transactions significatives de l’entité locale.

La grande nouveauté réside dans une déclaration spécifique détaillant un ensemble d’informations quantitatives pour chacun des pays dans lesquels le groupe est implanté («Country-by-Country Reporting» ou «déclaration par pays»). Ces informations, regroupées sous forme d’un tableau, incluent notamment, pour chaque pays, le montant du chiffre d’affaires avec les sociétés du groupe et les sociétés tierces, le résultat avant impôt, le montant d’impôt sur les sociétés acquitté et comptabilisé, le capital social, les réserves, le nombre d’employés, la valeur des actifs corporels, et les principales activités opérationnelles. Assez curieusement, les actifs incorporels et les risques ne font pas partie de la liste.

Cette approche avait été décriée par nombre de commentateurs comme risquant de créer une tentation pour les administrations fiscales d’appliquer une approche généralisée fondée sur le partage des profits, proche d’une répartition forfaitaire, comparable à l’ACCIS européenne. Les rédacteurs du rapport s’en défendent, en soulignant que cette analyse ne doit servir que d’outil d’évaluation des risques en matière de prix de transfert, et ne saurait se substituer à une analyse transaction par transaction fondée sur des analyses détaillées des fonctions et de la comparabilité. Nous verrons si les administrations fiscales sont capables de résister à la tentation…

Une recommandation très attendue vise la langue dans laquelle doit être rédigée la documentation. Deux thèses s’affrontaient, celle des entreprises mettant en avant la simplicité de l’utilisation d’une langue unique, souvent la langue de travail au sein même de l’entreprise, et celles des administrations fiscales mettant en avant à la fois la difficulté pour les vérificateurs sur le terrain de maîtriser une langue qui leur est étrangère, et la législation locale qui, comme en France, rend obligatoire l’usage de la langue officielle du pays dans toute communication officielle. L’OCDE a su trouver une solution diplomatique sans prendre parti pour l’une ou l’autre des deux thèses : c’est la législation locale qui définit la langue dans laquelle est établie la documentation, et les pays sont encouragés à permettre le dépôt des documentations dans une langue «communément utilisée» ; l’OCDE ajoute que lorsque la traduction de documents est nécessaire, l’administration locale devra faire des demandes spécifiques en laissant suffisamment de temps à l’entreprise pour la réaliser.

Incorporels : qui a droit aux revenus ?

Le rapport sur les incorporels a vocation à remplacer la totalité du chapitre 6 des Principes Directeurs, et à apporter des compléments aux chapitres 1 (Principe de pleine concurrence et comparabilité) et 2 (Méthodes de prix de transfert – autres méthodes). Cependant, dans la mesure où les travaux sur d’autres sujets proches («prix de transfert : risques et capital» et «autres transactions à haut risque») ne sont pas finalisés et que ceux-ci pourront apporter des éléments pertinents pour les incorporels, le rapport ne sera finalisé qu’en 2015.

Certaines parties du rapport doivent être considérées à ce stade comme un «projet intermédiaire», et constituent en pratique le 3e projet depuis le début des travaux en la matière. Comme on pouvait s’y attendre, ce sont les parties qui suscitent le plus d’interrogations: elles visent les conditions dans lesquelles le propriétaire d’un actif incorporel peut revendiquer les revenus générés par cet incorporel, et les modalités de valorisation des incorporels selon la méthode du partage des profits.

Sur le premier point, ce troisième projet reprend essentiellement les conclusions du deuxième rapport publié en juillet 2013 : le propriétaire d’un actif incorporel n’est susceptible d’en recevoir tous les fruits que s’il réalise et contrôle toutes les fonctions importantes liées au développement, à l’amélioration, à l’entretien et à la protection des incorporels, s’il contrôle toutes les autres fonctions, détient les actifs correspondants et encourt les risques associés. Si les fonctions sont réalisées par d’autres entités du groupe pour le compte de l’entrepreneur, et si elles apportent une contribution significative à la création de valeur, il sera nécessaire d’utiliser des méthodes de prix de transfert qui ne sont pas fondées sur une analyse de comparables (référence implicite aux méthodes unilatérales), par exemple la méthode de partage de bénéfices ou des techniques d’évaluation, afin de rémunérer de façon appropriée ces fonctions. Le rapport indique explicitement que le caractère approprié d’une méthode unilatérale sera significativement réduit si la partie réalisant la fonction importante est la partie «testée». Au contraire, si la seule activité du propriétaire de l’actif est de financer le développement, c’est lui qui devra être rémunéré pour ce risque financier, proche de celui d’un prêteur ; ce sont les autres sociétés du groupe, activement impliquées dans le développement de l’incorporel qui devront se partager les profits. L’OCDE admet néanmoins la possibilité pour une multinationale d’organiser les travaux de recherche sous forme de sous-traitance au sein du groupe, et laisse entendre que si le propriétaire exerce effectivement un contrôle sur les fonctions sous-traitées, il pourrait alors mériter une partie significative des revenus ; tout l’enjeu sera donc d’évaluer l’exercice d’un tel contrôle : il ne peut passer que par l’utilisation de ressources humaines propres au propriétaire.

Incorporels : valorisation

En ce qui concerne l’évaluation des incorporels, le rapport est finalisé dans ses commentaires sur l’application de certaines méthodes ; il considère que les méthodes unilatérales comme le prix de revente minoré et la méthode transactionnelle de la marge nette ne sont généralement pas des méthodes appropriées pour évaluer directement des incorporels ; l’évaluation des incorporels sur la base de leur coût de développement n’est pas non plus recommandée. Le rapport indique que les méthodes les plus utiles pour évaluer les incorporels sont les méthodes du prix comparable sur le marché libre et la méthode du partage des bénéfices. Tout en considérant que les techniques d’évaluation financière peuvent être utiles, il souligne les faiblesses de ces techniques, notamment la méthode dite des «discounted cash flows», en ce qu’elles reposent sur des hypothèses qui peuvent être remises en cause (budgets, taux de croissance, de discount, durée de vie et valeurs terminales, taux d’impôt, etc.). La méthode du prix comparable est elle aussi indirectement fragilisée par un certain nombre de développements sur les caractéristiques spécifiques en matière de comparabilité applicables aux actifs incorporels : exclusivité, durée et étendue de la protection juridique, champ d’application territorial, durée de vie, état de développement, droit aux améliorations et mises à jour, etc. Une telle analyse devrait conduire dans la plupart des cas à écarter les transactions indépendantes qui ne réuniraient pas l’ensemble de ces caractéristiques de comparabilité.

D’après l’OCDE, en matière d’incorporels, seuls le prix comparable, les techniques d’évaluation financières et le partage des bénéfices seraient des méthodes appropriées, mais le rapport souligne les difficultés de mise en œuvre des deux premières, ce qui ne semble laisser qu’une méthode, celle du partage des bénéfices, également chère à l’OCDE pour le partage des revenus comme on l’a vu plus haut. Mais si cette méthode semble applicable dans le cadre d’une concession de droits incorporels où l’analyse fonctionnelle des deux parties permettra d’évaluer la contribution de chacune, on voit en revanche mal comment la méthode du partage des profits pourrait être utilisée en cas de cession d’un incorporel. En tout état de cause, le rapport ne contient aucune indication à cet égard. Espérons que le rapport final, attendu en septembre 2015, éclairera les entreprises.

Les rapports publiés le 16 septembre sont donc plus la manifestation de la volonté de l’OCDE de respecter son plan de route qu’une avancée technique majeure ; une grande partie du travail avait en fait été réalisée au cours de l’année 2013, ce qui est à l’évidence une preuve de l’excellente organisation de ces travaux par le Comité Fiscal de l’OCDE. Septembre 2015 sera une étape majeure pour l’OCDE, mais on peut s’attendre à ce qu’en France la loi de finances pour 2015 ou la loi de finances rectificative pour 2014 apporte de nouvelles modifications en matière de documentation des prix de transfert, sinon en termes de contenu, du moins en termes de pénalités applicables.

 

Auteur

Stéphane Gelin, avocat associé, spécialisé sur la planification fiscale, les prix de transfert et la fiscalité des fusions-acquisitions pour les multinationales françaises et étrangères.

 

Article paru dans le magazine Option Finance le 6 octobre 2014

Print Friendly, PDF & Email