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Successions franco-suisses : la nouvelle donne

Une nouvelle convention fiscale entre la France et la Suisse portant sur les droits de succession a été signée le 11 juillet 2013. Comme annoncé (voir Option Finances du 3 septembre 2012), cette nouvelle convention réforme très substantiellement les principes d’imposition des successions entre la France et la Suisse.

Champ d’application

Comme l’ancienne convention, la nouvelle convention ne couvre que les droits de succession.

Les impôts couverts seront du côté français les « droits de mutation par décès », expression suffisamment large pour couvrir, à notre avis, les droits institués par la loi de juillet 2011 sur la transmission des biens mis en trust. Du côté suisse, il s’agira des impôts cantonaux et communaux sur la masse successorale ou sur les parts héréditaires. Un projet prévoit l’instauration d’un impôt sur les successions au niveau fédéral. Cet impôt, s’il était créé, devrait, selon nous, être couvert par la convention s’agissant d’un impôt similaire aux impôts de succession visés par cet accord (la nature fédérale de l’impôt envisagé n’ayant aucun effet sur sa nature).

La définition du domicile fiscal est mise en conformité avec les critères de l’OCDE. Sont exclues du bénéfice de la convention les personnes dont la succession est soumise dans l’Etat de leur résidence à l’impôt à raison des seuls biens situés dans cet Etat. En cas de conflit de résidence, l’article 4 reprend les critères traditionnels de la convention modèle OCDE et ne renvoie plus aux seuls liens personnels du défunt qui, jusqu’alors, étaient le premier critère pour trancher le conflit de résidence.

Imposition des héritiers résidents de France à raison de la totalité de la succession de résidents suisses

Comme dans la plupart des conventions signées par la France, l’imposition de la succession d’un résident suisse est actuellement réservée en priorité à la Suisse. Lorsque les biens de la succession reviennent à un résident de France, ils sont seulement pris en compte pour la détermination du taux effectif d’imposition des droits dus en France à raison des biens imposables en France (immeuble situé en France).

La disposition qui révolutionne l’imposition de la succession des résidents suisses est incluse dans l’article relatif à l’élimination des doubles impositions. Elle prévoit que les héritiers résidents de France depuis plus de 8 ans sur les 10 années précédant l’année de la succession, seront imposés en France sur la totalité des biens faisant partie de la succession du défunt résident de Suisse à hauteur de la quote-part leur revenant. L’impôt payé en Suisse à raison des biens de la succession que la Suisse est en droit d’imposer viendra en déduction de l’impôt français. Cette disposition revient à permettre au droit interne français de s’appliquer quasiment sans limite, mais de façon un peu plus restrictive qu’en droit interne puisqu’elle requiert une résidence en France des héritiers de 8 ans au lieu de 6 ans. Il s’agit-là d’un des rares assouplissements obtenus par la Suisse lors des dernières négociations avant signature de la convention.

Force est donc de constater que la convention n’apporte plus de protection contre l’imposition en France d’une succession d’un résident suisse. Tous les héritiers de résidents de Suisse sont concernés, quelle que soit leur nationalité, dès lors que les intéressés résident en France au moment du décès de leur légataire et qu’ils remplissent la condition des 8 ans de résidence.

Imposition des sociétés immobilières

La France aura le droit de soumettre aux impôts de succession non seulement les immeubles situés en France mais également les actions ou parts de sociétés à prépondérance immobilière (sociétés définies comme celles dont les actifs sont composés à plus de 50% d’immeubles situés en France ou tirant plus de 50% de leur valeur de ces mêmes actifs, les immeubles affectés à l’exploitation de la société étant exclus). La France se verra aussi reconnaître le droit d’imposer les actions ou parts des sociétés propriétaires d’un ou plusieurs immeubles situés en France, lorsque celles-ci, sans être à prépondérance immobilière, sont contrôlées, directement ou indirectement, par le défunt avec sa famille. Seules sont toutefois visées par cette dernière disposition les sociétés dont l’actif est constitué pour plus du tiers de sa valeur (ou tire plus du tiers de sa valeur), directement ou indirectement, d’immeubles situés en France. Cette dernière exigence fait partie des concessions faites par la France en toute fin de négociation.

La déduction des dettes est encadrée

Les dettes afférentes à des biens immobiliers ne seront déductibles que si elles sont garanties par ces biens ou ont été contractées pour l’acquisition, la transformation, la réparation ou l’entretien de ces biens. Si un bien est imposé partiellement, la dette ne sera elle-même déductible que partiellement.

Ces principes ne sont pas choquants, ils relèvent d’un principe général d’affectation connu en droit français s’agissant de l’imposition de non-résidents.

Une disposition anti-abus est introduite

Sous l’article 10 intitulé « divers », il est prévu que le bénéfice d’une exonération totale ou partielle résultant de l’application de la convention ne sera pas accordé lorsque l’objectif principal du défunt ou de son héritier aura été d’obtenir un avantage fiscal contraire à l’objet ou au but des stipulations conventionnelles. C’est une disposition très similaire à l’abus de droit français, ce qui entraînera de longs débats quant à son interprétation.

Echange de renseignements

La convention prévoit un échange de renseignements pour l’application de la convention ou des droits internes, lequel renvoie à l’article 28 de la convention relative à l’impôt sur le revenu et sur la fortune et au point XI du protocole additionnel signé en août 2009. Cette clause est complétée par un protocole additionnel signé à la même date que la convention qui prend le soin d’indiquer notamment que les informations listées au point XI doivent être interprétées de manière à ne pas faire obstacle à l’échange effectif de renseignements.

Il s’agit sans doute là d’une façon diplomatique de signifier aux autorités suisses qu’il convient de ne pas être trop tatillon dans l’examen des demandes faites par la France… D’ailleurs, cette précision est expressément étendue à l’application de l’article 28 de la convention relative à l’impôt sur le revenu et sur la fortune.

Comment se préparer ?

L’entrée en vigueur de la convention est subordonnée à sa ratification par les Parlements des deux Etats puis à la promulgation de la loi d’approbation. Un référendum pourrait être demandé par certains partis politiques suisses, ce qui retarderait d’autant l’entrée en vigueur de la convention. La date exacte de cette entrée en vigueur est fixée au 1er jour du mois suivant le jour de la réception de la dernière notification de l’Etat contractant.

D’ici là, il est impératif d’intégrer la nouvelle donne, qui oblige à tenir compte de la fiscalité française des successions et des possibles optimisations qu’elle offre (encore) pour tenter de minimiser l’impact du changement annoncé. L’intervention de fiscalistes français est particulièrement conseillée pour élaborer un plan successoral efficace à l’intention des résidents suisses qui détiennent des actifs immobiliers en France, de ceux qui ont des héritiers résidents de France, et de ceux qui cumulent les deux situations !

Une revue minutieuse de la résidence fiscale en Suisse au sens de la convention fiscale des personnes potentiellement concernées s’impose également puisque les critères ont radicalement changé et ne se concentrent plus sur les seuls liens personnels.

En particulier, il pourra devenir intéressant de faire des donations pour anticiper la succession dans la mesure où, d’une part, le régime des successions perd de son intérêt et, d’autre part, il n’y a plus de différences significatives entre une donation entièrement régie par le droit interne français et une succession régie par la nouvelle convention. Précisons à cet égard que, comme en matière de succession, l’impôt de donation payé en Suisse sera imputable sur l’impôt français puisque le droit interne français octroie un crédit d’impôt pour l’impôt étranger payé sur des biens non français lors d’une donation imposable en France du fait de la résidence en France des donataires.

 

A propos de  

Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associée. Spécialisée en fiscalité internationale, elle travaille essentiellement pour des groupes français multinationaux dans les domaines suivants : fusions et acquisitions, réorganisations, prix de transfert, stratégie et optimisation fiscale internationale.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 9 septembre

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