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Transfert de déficits en cas de fusion : un champ plus large que prévu

Transfert de déficits en cas de fusion : un champ plus large que prévu

Dans ses récents commentaires sur le dispositif de transfert sans agrément à une société absorbante des déficits fiscaux d’une société absorbée, l’administration fiscale retient une interprétation souple et bienvenue des règles issues de la loi de finances pour 2020.

Lors d’une opération de fusion-absorption, il arrive fréquemment que la société absorbée ait accumulé des déficits fiscaux représentatifs d’économies d’impôt potentielles que la société absorbante pourrait utiliser si elle en obtenait le transfert. Ce transfert peut être légitime lorsqu’il accompagne l’effort consenti par la société absorbante pour reprendre et restructurer les activités de la société absorbée ayant produit ces déficits. Ce transfert peut également représenter, en tout ou partie, une opportunité purement financière.

Pour en réserver le bénéfice à des opérations jugées économiquement pertinentes, le législateur a historiquement subordonné le transfert des déficits à un agrément de l’administration fiscale, qui doit être demandé avant l’opération et n’est généralement accordé que plusieurs mois après la réalisation de celle-ci. Les conditions de l’agrément se sont durcies avec le temps, suivant la tendance générale d’une législation nationale et internationale plus exigeante sur l’attribution d’avantages fiscaux et plus riche en dispositifs anti-abus.

Dans ce contexte, le législateur a souhaité désengorger l’administration en simplifiant le transfert pour les opérations présentant des enjeux et risques plus restreints. L’article 53 de la loi de finances pour 2020 (loi n° 2012-1479 du 28 décembre 2019) a ainsi prévu sous certaines conditions que les déficits d’une société absorbée peuvent être transférés sans agrément à la société absorbante. Cette faculté s’étend aux reports de charges financières non déduites et de capacités de déduction inemployées dans le cadre du dispositif dit « ATAD » (article 212 bis du CGI), qui établit un plafond de déduction de charges financières nettes engagées par les entreprises ou les groupes.

Ce dispositif de transfert de plein droit codifié à l’article 209, II du CGI s’applique aux opérations réalisées sous le régime de faveur des fusions de l’article 210 A du CGI, lorsque :

  • le montant cumulé des reports transférés est inférieur à 200 000 € ;
  • les agrégats susceptibles d’être transférés ne proviennent ni de la gestion d’un patrimoine mobilier par des sociétés dont l’actif est principalement composé de participations financières dans d’autres sociétés ou groupements assimilés ni de la gestion d’un patrimoine immobilier ;
  • durant la période au cours de laquelle ces agrégats ont été constatés, la société absorbée n’a pas cédé ou cessé l’exploitation d’un fonds de commerce ou d’un établissement.

Un mécanisme de transfert similaire prévu à l’article 223 I, 6 du CGI s’applique aux déficits, charges financières et capacités de déduction des groupes d’intégration fiscale, lorsque la société tête de groupe est absorbée par une société extérieure au périmètre qui constitue un nouveau groupe avec des filiales de la société absorbée. Le transfert porte alors sur les agrégats provenant de la société absorbée ou des sociétés membres du groupe initial qui ont été sélectionnées pour le dispositif de l’imputation sur une base élargie.

Dans une mise à jour de la base Bofip datée du 13 avril dernier, l’administration a apporté plusieurs précisions sur ce dispositif, dont certaines dénotent un esprit d’ouverture qui peut être salué.

Des précisions bienvenues concernant le montant des reports de la société absorbée

Après avoir rappelé que le dispositif s’applique aux opérations réalisées à compter du 1er janvier 2020, l’administration propose ainsi une interprétation logique mais favorable en indiquant que la date de réalisation de l’opération correspond à celle de l’effet juridique, et non à l’effet fiscal s’il est antérieur (BOI-IS-FUS-10-60-10 n° 100).

Les opérations concernées sont les fusions avec ou sans échange de titres, ainsi que les opérations de dissolution sans liquidation relevant de l’article 1844-5 du code civil (BOI n° 30). Le transfert de plein droit est possible sous certaines conditions en cas de fusions transfrontalières ou étrangères (BOI n° 70). En revanche, le dispositif ne s’applique pas aux scissions ou apports partiels d’actif (BOI n° 30).

La précision la plus constructive porte sur la condition tenant au montant des déficits, charges financières nettes et capacités de déduction inemployées de la société absorbée. La rédaction du texte légal laissait ouverte la question de savoir si une société absorbée disposant de plus de 200 000 € de reports était hors du champ d’application du dispositif, ou si la limite de 200 000 € ne portait que sur le montant du transfert autorisé sans agrément. L’administration choisit cette seconde option, en précisant que la société absorbante peut procéder au transfert sans agrément d’une quote-part de déficits égale à 199 999 €, le surplus étant alors définitivement perdu (BOI-IS-FUS-10-60-20 n° 40 et 50). En revanche, le transfert ne peut pas, au titre d’une même opération, être réalisé pour une partie en dispense d’agrément (à hauteur de 199 999 €) et pour une autre partie dans le cadre de la procédure d’agrément.

Cette interprétation élargit néanmoins nettement le champ des possibles, en laissant le choix à la société absorbante, pour l’absorption d’une société disposant de plus de 200 000 € de reports, soit de revendiquer le transfert automatique de 199 999 €, soit de déposer une demande d’agrément pour un montant supérieur. Elle permet aussi de faire bénéficier du transfert de plein droit des opérations pour lesquelles l’agrément n’aurait pas pu être obtenu : les conditions de l’agrément impliquent en effet une stabilité de l’activité à l’origine des déficits avant et après la fusion que les services délivrant les agréments apprécient parfois de manière stricte et que le transfert de plein droit n’exige pas.

Par ailleurs, il arrivera souvent que la société absorbée dispose de montants de déficits reportables limités, mais potentiellement générateurs d’économies d’impôts réelles, et de capacités de déduction inemployées importantes, mais sans utilité effective pour la société absorbante. Dans cette hypothèse, la société absorbante pourra bien évidemment privilégier le transfert des déficits, et renoncer sans pénalisation au transfert des capacités de déduction inemployées.

Cette souplesse d’interprétation trouve un écho dans le cadre du mécanisme de transfert prévu pour les groupes d’intégration fiscale. L’administration rappelle que dans le cas où, avant l’absorption d’une société mère intégrante par une société qui crée un nouveau groupe intégré avec les filiales du groupe ayant cessé, une filiale du premier groupe en est sortie (par exemple parce qu’elle a été cédée à l’extérieur du groupe), la fraction du déficit d’ensemble rattachable à cette filiale ne peut être transférée à la société absorbante (sauf si la sortie de la filiale résulte de son absorption en régime de faveur par une autre société du premier groupe). Dès lors, si la réduction du déficit d’ensemble, du fait de la perte de la quote-part de déficit afférente à la filiale sortie du groupe, conduit à ce que le déficit d’ensemble soit inférieur à 200 000 €, le transfert du déficit est susceptible de bénéficier du mécanisme de transfert de plein droit (BOI précité n° 100).

Quelques interprétations moins favorables

Si l’administration fait preuve de flexibilité sur le montant des reports, elle reste plus stricte sur d’autres conditions d’application du dispositif.

Il en est ainsi de la condition relative à l’absence de cession ou de cessation d’exploitation d’un fonds de commerce ou d’un établissement durant la période de constatation des déficits, charges financières et capacité de déduction inemployée, qui, précise l’administration, est comprise entre le premier exercice constatant des agrégats à transférer et la réalisation de l’opération. Toute cession ou cessation réalisée pendant la période précitée entraîne l’obligation de solliciter un agrément, et ce même dans l’hypothèse où le fonds de commerce ou l’établissement cédé ou ayant cessé son exploitation n’est pas à l’origine des montants à transférer (BOI précité n° 70 et 80).

Dans le même ordre d’idée, pour le cas de l’absorption de la société mère d’un groupe fiscal par une société qui constitue un nouveau groupe, l’administration précise que la condition relative à l’origine des déficits et intérêts susceptibles d’être transférés à la société absorbante (ne devant provenir ni de la gestion d’un patrimoine mobilier, ni de la gestion d’un patrimoine immobilier), s’apprécie au niveau de chaque société membre du groupe (c’est-à-dire filiale par filiale) et non au niveau de la seule société mère (BOI précité n° 60). L’administration ne précise pas, en revanche, si la condition d’absence de cession ou cessation d’exploitation s’apprécie exclusivement au niveau de la société mère absorbée, ou doit également être vérifiée au niveau de chaque filiale concernée.

Auteurs

Frédéric Gerner, avocat associé en droit fiscal

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