Révocation de mandat social et licenciement : les liaisons dangereuses

29 septembre 2023
Dans un arrêt du 17 mai 2023 (n° 21-19.602), la Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer, une nouvelle fois, sur la validité d’un licenciement intervenu à l’encontre d’un dirigeant pour des faits relevant de son mandat social.
Sans surprise au regard de la jurisprudence applicable, la Haute juridiction rappelle, au visa des articles L.1232-1 et L.1235-1 du Code du travail que «le licenciement pour une cause inhérente au salarié doit être fondé sur des éléments constituant un manquement aux obligations qui résultent du contrat de travail».
Elle casse, en conséquence, l’arrêt de la cour d’appel au motif qu’ayant «constaté que les faits reprochés au salarié se rapportaient à la période d’exercice par ce dernier de son mandat de directeur général au cours de laquelle son contrat de travail était suspendu, la cour d’appel, n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations».
Dans le cas d’espèce, le directeur général d’une société, dont le contrat de travail avait été suspendu pendant la durée de son mandat social, fut révoqué de ses fonctions et licencié concomitamment pour insuffisance professionnelle. Son licenciement était fondé sur des carences managériales et des résultats opérationnels non conformes aux objectifs fixés.
L’intéressé avait alors agi en justice afin de demander le versement de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il est débouté de sa demande par la cour d’appel, estimant que l’existence des carences managériales est établie et que l’invocation du contexte particulier de changements d’orientation et de politique du groupe est inopérant à remettre en cause les éléments qui ont mis en évidence que sa politique managériale avait provoqué une grave crise de confiance en lui de la part de ses collaborateurs.
Enfin, la cour relève que ces carences ont persisté après la mission d’accompagnement dont le salarié a bénéficié et en conclut que l’insuffisance professionnelle est acquise, et, partant, le licenciement justifié.
L’impossible licenciement fondé sur des faits liés à l’exercice du mandat social
Or, il n’est en rien selon la Cour de cassation qui considère que les insuffisances alléguées étaient rattachables à des faits intervenus pendant la période d’exercice du mandat de directeur général au cours de laquelle le contrat de travail de l’intéressé était suspendu.
La solution n’est pas nouvelle.
La Cour de cassation a, depuis longtemps, affirmé que :
⇒ le licenciement d’un salarié, motivé seulement par la révocation préalable de son mandat social, n’a pas de cause réelle et sérieuse (Cass. soc., 6 juillet 1976, n°75-40.605) ;
⇒ de même, des faits qui se sont produits à l’occasion de l’exercice du mandat, pendant la suspension du contrat de travail, ne peuvent, en principe, justifier un licenciement (Cass. soc., 28 juin 2000, n°98-43.100).
Un raisonnement juridique rigoureux mais source de difficultés pratiques
La question qui se pose cependant est de savoir si les faits ayant conduit à la révocation peuvent également constituer un motif valable de licenciement.
Or, la Cour de cassation y répond parfois par l’affirmative.
Elle a ainsi déjà eu l’occasion de juger qu’un salarié peut valablement être licencié pour faute grave en cas de manquement à l’obligation de loyauté à laquelle il est tenu envers son employeur, y compris si ce manquement est intervenu pendant l’exercice d’un mandat social au cours duquel son contrat de travail était suspendu puisque cette obligation demeure en cas de suspension (Cass. soc., 16 mai 2018, n°16-22.655 et Cass. soc., 19 avril 2023, n°20-16.217).
Il existe également d’autres cas dans lesquels le licenciement a été validé par les juges même si les faits justifiant celui-ci étaient imputables à l’activité de mandataire.
En ce sens, rappelons que :
⇒ les fautes de gestion commises en tant que mandataire social peuvent parfois être prises en compte pour justifier un licenciement (Cass. soc., 16 décembre 1981, n°79-42.754);
⇒ de même, le fait de créer et d’entretenir délibérément la confusion entre son mandat social et son contrat de travail peut autoriser le licenciement d’un salarié mandataire social pour des actes commis dans le cadre de son mandat (Cass. soc., 15 décembre 2010, n°09-71.288).
Si l’on peut approuver la rigueur du raisonnement consistant à considérer qu’on ne peut, a priori, reprocher au salarié des faits commis dans le cadre de son mandat social, il s’avère que cela conduit en pratique à des situations totalement ingérables, en particulier quand ce qui est reproché au mandataire se rapporte à des sujets de comportement ou des carences managériales.
Ainsi, le dirigeant révoqué en raison de son comportement à l’égard des salariés de l’entreprise, devrait selon cette interprétation rigoriste retrouver son emploi au titre du contrat de travail suspendu.
Il va de soi que, dans ce genre de situation, l’entreprise ne peut pas l’envisager et, partant, n’a d’autre choix que de licencier le salarié.
AUTEURS
Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée CMS Francis Lefebvre Avocats
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