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L’IA suspendue : le juge exige la consultation du CSE avant tout déploiement

L’IA suspendue : le juge exige la consultation du CSE avant tout déploiement

Alors que le deuxième volet de l’AI Act est entré en vigueur le 2 août dernier, le juge français poursuit la définition des contours des règles applicables en matière de déploiement d’outils d’intelligence artificielle (IA) dans l’entreprise.

 

Ainsi, dans la droite ligne de la décision du tribunal judiciaire de Nanterre du 14 février 2025 (TJ Nanterre, référé, 14 février 2025, n° 24/01457), le tribunal judiciaire de Créteil est venu, dans une ordonnance de référé du 15 juillet 2025 (TJ Créteil, référé, 15 juillet 2025, n° 25/00851), apporter une nouvelle pierre à l’édifice en matière d’introduction d’outils d’IA, retenant expressément – et c’est une première – l’introduction de nouvelles technologies comme support de l’information-consultation du comité social et économique (CSE).

 

Les faits

 

Dans cette décision, une société spécialisée dans la presse professionnelle a déployé des outils d’IA sans associer le CSE à sa démarche.

 

Le CSE a sollicité auprès de la direction l’ouverture d’une négociation de cadrage et de méthodologie sur l’usage de l’IA.

 

Face aux refus réitérés de la société, le CSE a saisi le juge des référés afin que lui soit délivrée une injonction sous astreinte de suspendre tout projet d’utilisation d’outils d’IA, ainsi que la suspension des groupes de travail mis en place sur cette technologie, jusqu’à ce que le CSE ait rendu un avis sur leur utilisation.

 

Outils d’IA et nouvelles technologies

 

Le tribunal judiciaire a donné raison au CSE, au soutien exprès de l’article L.2312-8 du Code du travail : « Il ressort des articles L. 2312-8, 14 et 15 du code du travail que le comité social et économique est informé et consulté, préalablement à la décision de l’employeur, […] sur les mesures de nature à affecter les conditions de travail, notamment l’introduction de nouvelles technologies. […] Il n’est pas sérieusement contestable que l’intelligence artificielle est une technologie nouvelle […] »

 

Bien que la décision ne soit pas surprenante sur le fond, c’est la première fois qu’un juge qualifie expressément le déploiement d’un outil d’IA d’introduction de nouvelle technologie au sens de l’article L.2312-8 du Code du travail, justifiant à ce titre la mise en œuvre d’une procédure d’information-consultation du CSE au préalable.

 

Outils d’IA et conditions de travail

 

Dans l’ordonnance commentée, le juge des référés a également pris le soin de constater que les conditions de travail des salariés de la société concernée se trouvaient affectées par l’introduction de cette technologie nouvelle.

 

Ce raisonnement est conforme au principe selon lequel la consultation du CSE sur l’introduction de nouvelles technologies ne s’impose que si les conditions de travail des salariés s’en trouvent modifiées (Cf. circulaire DRT n° 12 du 30 novembre 1984).

 

S’agissant de salariés exerçant dans le secteur de la presse auxquels il est proposé des applications permettant de créer du contenu par l’amélioration stylistique des articles, la transcription d’enregistrement audio, la synthèse de texte et la rédaction d’articles à partir de ces transcriptions, le tribunal judiciaire de Créteil a clairement tranché : le déploiement de ces outils d’IA est susceptible d’affecter les conditions de travail des salariés.

 

Pour les autres secteurs, il reste à déterminer avant tout déploiement d’outil d’IA si les conditions de travail des salariés pourraient s’en trouver impactées. Seule une appréciation in concreto, en fonction des outils concernés et des fonctionnalités qu’ils proposent, du secteur d’activité, des métiers exercés, etc., permet de livrer cette analyse, et de déterminer si une procédure d’information-consultation du CSE s’impose en amont sur le fondement de l’article L.2312-8 du Code du travail.

 

La suspension de l’utilisation des outils d’IA

 

En l’espèce, le CSE n’ayant pas été informé et consulté « en temps et effet utiles de la démarche », l’utilisation des outils informatiques d’IA a été suspendue jusqu’à la clôture du processus de consultation du CSE sur la mise en place de cette nouvelle technologie (sans que les groupes de travail mis en place sur cette technologie ne soient suspendus).

 

Le juge des référés rappelle également que « Lorsque la mesure s’inscrit dans une procédure complexe comportant des décisions échelonnées, le comité doit être consulté à l’occasion de chacune d’elles », faisant ainsi écho aux faits de l’espèce ayant conduit à la décision du tribunal judiciaire de Nanterre le 14 février 2025 (RG n° 24/01457) précédemment commentée.

 

La combinaison de l’ordonnance du tribunal judiciaire de Créteil et de celle du tribunal judiciaire de Nanterre rendue en février dernier contribue à la définition des contours du droit applicable en matière de consultation du CSE en cas d’introduction d’outils d’IA :

 

    • le CSE doit être consulté en amont de l’introduction des outils d’IA dès lors qu’il s’agit d’une nouvelle technologie, et si elle est susceptible d’affecter les conditions de travail des salariés ;

 

    • les outils d’IA ne peuvent être mis en œuvre et utilisés par les salariés tant que la procédure d’information-consultation du CSE n’est pas achevée.

 

La multiplication des décisions en la matière illustre une fois de plus les enjeux liés à l’introduction de l’IA dans les entreprises, et doit conduire à la définition d’une stratégie claire.

 

Auteurs 

Caroline FROGER-MICHON, Avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats 

Violaine GOUX, Avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

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