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Cession d’une filiale déficitaire : sauf fraude, l’échec du projet de reprise ne permet pas de rechercher la responsabilité de la société mère

Cession d’une filiale déficitaire : sauf fraude, l’échec du projet de reprise ne permet pas de rechercher la responsabilité de la société mère

En juin 2010, une société cède les titres de sa filiale déficitaire exerçant une activité de messagerie en France. Près de cinq années plus tard en février 2014, l’entité cédée, absorbée entre temps par une autre, est placée en liquidation judiciaire. Pas moins de 1451 salariés licenciés ont assigné la société qui avait cédé sa filiale quelques années plus tôt en réparation du préjudice résultant de la perte de leur emploi, considérant que la cession était frauduleuse et que sa responsabilité pouvait être engagée sur le fondement de l’article 1382 du Code civil (1) en raison de son absence de vérification de la viabilité du projet du repreneur.

 

La question soumise à la chambre commerciale de la Cour de cassation portait alors sur l’existence, pour la société mère qui envisage la cession d’une filiale déficitaire, d’une obligation de s’assurer de la crédibilité du repreneur et de la viabilité économique de son projet de reprise et, corrélativement, de réparer le préjudice causé aux salariés licenciés par la filiale cédée en cas d’échec du projet de reprise.

 

Dans sa décision du 7 mai 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation (2) répond une nouvelle fois par la négative, tout en clarifiant les contours de sa position.

 

La confirmation de l’absence d’obligation de la société cédante de garantir la viabilité économique du projet de reprise…

 

Dans la décision ici commentée, la Cour de cassation réaffirme le principe selon lequel une société qui cède les titres qu’elle détient dans une filiale exerçant une activité déficitaire n’a pas l’obligation de s’assurer, avant la cession, que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité économique et financière de cette filiale.

 

Elle avait déjà écarté l’existence de cette obligation dans une décision rendue le 1er mars 2023 (3), et sa réaffirmation permet de considérer que sa position n’était pas isolée.

 

La Cour de cassation indiquait, sans nuance, qu’« il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe qu’une société mère a, lorsqu’elle cède les parts qu’elle détient dans le capital social d’une filiale en état de cessation des paiements, l’obligation de s’assurer, avant la cession, que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité économique et financière de cette filiale ».

 

Sur le plan juridique, le raisonnement appliqué ici est clair : en l’absence de texte ou de tout fondement à une obligation, aucune responsabilité ne peut être engagée. L’échec du projet de reprise du cessionnaire ne permet donc pas à lui seul de rechercher la faute de la société mère cédante et de mettre en cause sa responsabilité.

 

En pratique, la solution est largement entendable puisque la société mère, cédant sa filiale en difficulté, ne peut avoir connaissance au moment de cette cession des évolutions à court ou moyen terme du projet de reprise, au gré des décisions de gestion du repreneur, de l’évolution du marché ou encore de la conjoncture économique.

 

D’ailleurs, dans l’arrêt ici commenté, les juges du fond avaient relevé qu’il n’était pas démontré que la société mère avait connaissance dès 2010, et donc au jour de la cession, de ce que le cessionnaire procèderait à la fusion de l’entité cédée, ni que celle-ci ne parviendrait pas à surmonter les difficultés économiques du secteur, les décisions de gestion du cessionnaire ne lui étant pas imputables.

 

La solution ainsi dégagée signifie-t-elle pour autant qu’une société peut céder sa filiale ou son activité en difficultés sans s’assurer d’une certaine crédibilité du projet du cessionnaire et de son projet de reprise ? La réponse est, à l’évidence, négative.

 

… sous réserve de l’existence d’une fraude

 

La chambre commerciale nuance sa position en réservant le cas de la fraude. Elle indique expressément que « sauf cas de fraude », la société cédante n’a pas l’obligation de s’assurer que le cessionnaire dispose d’un projet de reprise garantissant la viabilité économique et financière de la filiale. Cela amène nécessairement à s’interroger sur la notion même de fraude en cas de cession d’une filiale en difficultés.

 

A cet égard, dans la Lettre de la chambre commerciale, financière et économique de mars 2023, la Cour de cassation précisait déjà, à propos de sa décision du 1er mars 2023, que « la fraude [est], par principe, toujours réservée »  et que « ce n’est que si la société mère avait cédé les parts de sa filiale en sachant que le cessionnaire était dans l’impossibilité d’en poursuivre l’activité et dans le seul objectif d’échapper à ses obligations en cas de licenciements collectifs que la responsabilité de la société mère aurait pu être engagée ».

 

Une telle formulation n’est pas sans rappeler la retentissante affaire Samsonite dans laquelle le tribunal de grande instance de Béthune (4) avait annulé la cession d’un site déficitaire opérée au profit d’une société liquidée un an et demi plus tard, lui reprochant d’avoir ainsi économisé la fermeture d’un site industriel.

 

Dans l’espèce commentée, les salariés soutenaient que la cession était frauduleuse en ce qu’elle avait pour finalité pour le cédant de transférer la charge des licenciements sur le repreneur. Après une analyse des diligences mises en œuvre par la société mère pour apprécier la qualité du repreneur et la solidité de son projet de reprise, la fraude n’a pas été retenue.

 

La Chambre commerciale a pris soin de relever :

 

    • La mise en place d’un processus de sélection appuyé par l’analyse d’un cabinet spécialisé, qui lui avait permis de choisir le repreneur parmi quatre autres candidats ;

 

    • Le choix du repreneur basé sur sa solidité financière éprouvée, lequel était par ailleurs spécialisé dans le retournement d’entreprises et ayant par le passé repris avec succès une entreprise dans le même secteur d’activité ;

 

    • Le caractère sérieux et viable du projet de reprise, correspondant à une logique économique adaptée à la situation du marché ;

 

    • L’apport par la société mère de moyens financiers importants, la cession ayant été réalisé pour 1 euro et la société mère ayant porté le niveau de trésorerie de sa filiale à 240 millions d’euros préalablement à la cession.

 

Alors qu’elle s’était montrée expéditive dans sa décision du 1er mars 2023 en excluant toute obligation pour la société mère de garantir la viabilité économique du projet de reprise sans s’attarder sur les éventuelles précautions prises par le cédant, la chambre commerciale semble avoir ajusté et nuancé sa position.

 

En prenant soin d’énumérer les diligences entreprises par la société mère pour approuver la cour d’appel d’avoir exclu l’existence d’une fraude, la Cour de cassation a probablement souhaité dessiner les contours du comportement attendu par le cédant lors de la cession d’une activité déficitaire permettant d’exclure la notion de fraude.

 

C’est ainsi que, par cette décision, la Cour de cassation procède à un rappel opportun : les difficultés financières d’une filiale n’altèrent pas la liberté de la société mère de la céder.

 

Il n’en demeure pas moins que, pour éviter de se voir reprocher toute imprudence voire une fraude, les entités cédantes devraient toujours de s’assurer de la qualité du repreneur et de la crédibilité de son projet de reprise.

 

AUTEURS

Emilie Bourguignon, avocate Counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats, 

Camille Mathelin, avocate, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

(1) Devenu article 1240 du Code civil
(2) Cass. com., 7 mai 2025, n°23-16.700
(3) Cass. com., 1er mars 2023, n°21-14.787
(4) TGI de Béthune, 24 juin 2008, n°08/00832

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