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Contrôle URSSAF : rétrospective jurisprudentielle de l’année 2023

Contrôle URSSAF : rétrospective jurisprudentielle de l’année 2023

Le droit du contrôle URSSAF est loin d’être figé et connaît chaque année d’importantes évolutions, souvent sous l’influence de la jurisprudence. L’année 2023 n’échappe pas à la règle et a aussi apporté son lot d’arrêts significatifs. Sans pouvoir prétendre à en faire une analyse exhaustive, nous revenons ici sur trois des principales jurisprudences rendues durant l’année écoulée.

 

La reconnaissance de l’abus de droit implicite

 

Par plusieurs arrêts en date du 16 février 2023, la Cour de cassation a sanctionné, pour la première fois, le recours implicite par une URSSAF à la notion d’abus de droit (1).

 

Puisant son inspiration dans le droit fiscal, la procédure d’abus de droit permet à une URSSAF d’écarter comme ne lui étant pas opposables des actes juridiques passés par le cotisant :

 

    • soit qu’elle estime que ceux-ci sont fictifs ;
    • soit qu’elle estime que ceux-ci n’ont eu d’autre finalité que d’éluder le paiement des cotisations sociales (2).

 

Une telle procédure est nécessairement attentatoire aux droits du cotisant et, en particulier, à sa sécurité juridique, puisqu’elle vient sanctionner des actes juridiques reconnus comme étant licites, non sur le fondement de leur illégalité, mais sur la prétendue intention du cotisant ayant présidé à leur conclusion.

 

C’est pourquoi les textes prévoyaient deux garanties principales :

 

⇒ d’une part, le cotisant pouvait saisir le comité de l’abus de droit qui rendait un avis consultatif, possibilité dont la lettre d’observations devait l’informer. Aucun membre n’a été nommé au sein de ce comité depuis 2015 ;

 

⇒ d’autre part, la lettre d’observations devait être contresignée par le directeur de l’URSSAF.

 

Ce cadre juridique contraignant et l’absence de membre au comité de l’abus de droit depuis 2015 a néanmoins conduit les URSSAF à éviter de mettre expressément en œuvre cette procédure, en considérant que celle-ci était facultative.

 

Il arrivait néanmoins qu’elles recourent, implicitement, à la notion d’abus de droit, en écartant un acte juridique licite qu’elles considèrent fictif ou n’ayant pas été inspiré par un autre but que celui d’éluder le paiement de cotisations.

 

Dans une telle circonstance, le juge fiscal considère depuis plusieurs décennies qu’au contraire, l’administration fiscale est tenue de mettre en œuvre la procédure idoine sous peine de nullité (3).

 

Cette théorie, dite de l’abus de droit implicite ou abus de droit rampant, a trouvé, pour la première fois, sa consécration en matière sociale par les arrêts du 16 février 2023.

 

La Cour de cassation juge ainsi que lorsque l’URSSAF «écarte un acte juridique dans les conditions [prévues par l’article L.243-7-2], [elle] se place nécessairement sur le terrain de l’abus de droit. Il en résulte [qu’elle] doit se conformer à la procédure prévue par les textes susvisés et qu’à défaut de ce faire, les opérations de contrôle et celles, subséquentes, de recouvrement sont entachées de nullité.»

 

Les entreprises apparaissent ainsi disposer d’un nouveau moyen de nullité procédurale en cas de remise en cause de schémas juridiques déjà constitués pour des motifs d’intention.

 

Cette jurisprudence aurait donc pu conduire le pouvoir réglementaire à nommer de nouveaux membres à ce comité et, ainsi, à inciter les URSSAF à faire vivre cette procédure.

 

Le législateur en a décidé autrement. En effet, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 (LFSS n°2023-1250 du 26 décembre 2023), celui-ci a diminué les garanties prévues par la loi.

 

La possibilité pour le cotisant de saisir le comité de l’abus de droit a ainsi été supprimée de l’article L.243-7-2 qui prévoit désormais seulement que les garanties lors de l’utilisation de la procédure d’abus de droit sont déterminées par décret en Conseil d’Etat et que, en cas de contestation, la charge de la preuve est supportée par les organismes.

 

En d’autres termes, là où la loi consacrait une garantie au profit du cotisant, celle-ci est désormais uniquement remisée au pouvoir réglementaire.

 

Certes, à ce jour, la possibilité de saisir le comité de l’abus de droit demeure. L’article R.243-60-3 n’a, en effet, pas été modifié et prévoit toujours que le cotisant dispose d’un délai de trente jours pour que son litige soit soumis à l’avis du comité des abus de droit, et l’article R.243-60-1 en prévoit toujours la composition (sans membre nommés à date).

 

Si, toutefois, la logique est de faciliter la procédure au profit des URSSAF, il y a fort à parier que ces textes seront à nouveau modifiés pour que le comité de l’abus de droit social disparaisse complètement, tandis que son homologue fiscal continuerait d’exister.

 

L’année 2023 aura donc vu, tout à la fois, la théorie de l’abus de droit implicite consacrée et une sérieuse remise en cause des droits des cotisants par une modification de texte en réaction immédiate à cette consécration.

 

Le comité de l’abus de droit, lui, attend toujours la nomination de ses membres.

 

La question de l’habilitation du salarié remettant des documents à l’URSSAF

 

L’article R.243-59 du Code de la sécurité sociale énonce que « La personne contrôlée est tenue de mettre à disposition des [inspecteurs] tout document et de permettre l’accès à tout support d’information qui leur sont demandés par ces agents comme nécessaires à l’exercice du contrôle ».

 

Cette personne contrôlée s’entend de l’employeur ou de son représentant. Il s’agit, en principe, du représentant légal de la société ou de la personne qui aurait reçu une délégation de pouvoir lui permettant de représenter celle-ci à l’égard des inspecteurs de l’URSSAF.

 

Naturellement, lors du contrôle, les inspecteurs vont échanger à de multiples reprises avec ce ou ces représentants de l’entreprise pour obtenir des compléments d’information, des précisions ou des documents supplémentaires à ceux initialement remis.

 

Par ailleurs, le même article permet également aux inspecteurs d’« interroger les personnes rémunérées, notamment pour connaître leurs nom et adresse ainsi que la nature des activités exercées et le montant des rémunérations y afférentes, y compris les avantages en nature. »

 

Les inspecteurs de l’URSSAF peuvent ainsi interroger les autres salariés de l’entreprise, qui ne représentent pas l’employeur. Cependant, si ces échanges ne sont pas soumis à un formalisme particulier, ils ne peuvent porter que sur un certain nombre d’informations limitées (identité, activité et rémunération).

 

L’inspecteur ne peut, ainsi, solliciter un salarié qui ne représenterait pas l’employeur afin de connaître les pratiques de l’entreprise sur tel ou tel sujet, ni solliciter de celui-ci la remise de documents.

 

Par un arrêt du 28 septembre 2023, la Cour de cassation est venue rappeler cette solution en sanctionnant par la nullité le chef de redressement qui se serait fondé sur des documents remis par un salarié non habilité (4).

 

Dans les faits de l’espèce, l’inspecteur de l’URSSAF avait sollicité, par courriel, auprès d’une salariée du service comptabilité de l’entreprise, la production de tableaux portant sur les réductions générales de cotisations (dites « réductions Fillon »).

 

Celle-ci n’avait cependant pas reçu mandat pour répondre aux demandes de l’URSSAF et la demande ne portait pas sur les informations que l’inspecteur peut obtenir auprès de toute personne rémunérée par l’employeur.

 

Le chef de redressement en cause a donc été annulé.

 

Au surplus, les tableaux de calculs des réductions Fillon qui avaient été transmis ne figuraient pas sur la liste des documents consultés. La Cour de cassation approuve donc également la cour d’appel d’avoir annulé, pour ce même motif, le chef de redressement en cause.

 

Cet arrêt doit donc inciter les entreprises à la vigilance lors du contrôle et surtout après celui-ci. Celles-ci sont invitées à vérifier que l’inspecteur de l’URSSAF n’a sollicité des documents et informations que de salariés habilités à le représenter. A défaut, les entreprises disposeront d’un très sérieux moyen d’annulation.

 

La nullité de la Charte du cotisant contrôlé s’agissant du contrôle dématérialisé

 

Il faut, en premier lieu, rappeler que le contrôle sur place se déroule en principe… sur place, c’est-à-dire au sein des locaux de l’entreprise. Néanmoins, il serait pour le moins fastidieux que les inspecteurs demeurent dans l’entreprise sur toute la durée du contrôle, raison pour laquelle ceux-ci effectuent en réalité une grande partie du travail d’analyse en dehors de ces locaux. Les inspecteurs se rendent ainsi au sein de l’entreprise en début, au cours et en fin de contrôle, concentrant leur visite sur des échanges avec leurs interlocuteurs pour obtenir des explications et des documents.

 

Ainsi que précédemment énoncé, l’article R.243-59 du Code de la sécurité sociale impose, quant à lui, à l’employeur de mettre à disposition des inspecteurs l’intégralité des documents que ceux-ci sollicitent. Les inspecteurs ne peuvent alors emporter en dehors des locaux de l’entreprise que des copies de ces documents, sauf autorisation contraire de l’employeur.

 

Cependant, l’essentiel des documents utiles au contrôle sont aujourd’hui numériques. De même, de nombreux points de la législation sociale font l’objet par l’entreprise de calculs automatisés (par exemple, s’agissant des mécanismes de réduction des cotisations).

 

Pour rendre le contrôle plus efficace, l’article R. 243-59-1 du Code de la sécurité sociale permet donc à l’URSSAF de réaliser ses opérations de contrôle par traitement automatisé.

 

Cet article précise, premièrement, que ce contrôle par traitement automatisé s’effectue sur le matériel informatique de l’entreprise.

 

Deuxièmement, l’employeur est au préalable sollicité sur cette mise en œuvre et dispose de la possibilité de s’y opposer par écrit dans un délai de quinze jours.

 

S’il le fait, il doit alors :

 

⇒ soit mettre à disposition de l’inspecteur la copie des documents informatiques au format sollicité par l’inspecteur. La copie de ces documents doit alors être détruite avant la mise en recouvrement, c’est-à-dire l’envoi de la mise en demeure ;

 

⇒ soit réaliser lui-même le traitement automatisé sollicité par l’URSSAF, en respectant les consignes données par l’inspecteur.

 

A défaut de réponse de sa part dans ce délai de quinze jours, l’inspecteur peut mettre, d’office, en œuvre la procédure de traitement automatisé, sur le matériel de l’entreprise.

 

Autrement dit, face à une demande de traitement automatisé, l’employeur bénéficiait d’une possibilité de faire réaliser ce contrôle sur copie et non sur son propre matériel, ou mettre en œuvre lui-même le traitement.

 

La Charte du cotisant contrôlé, qui est censée rappeler au cotisant ses droits lors d’un contrôle, présentait les choses de manière bien différente.

 

Elle affirmait que le contrôle dématérialisé était fait, en principe, sur le matériel de l’inspecteur de l’URSSAF. Elle présentait le contrôle sur le matériel de l’employeur, qui est de droit, comme ne pouvant être effectué qu’à titre subsidiaire, en cas de refus de l’employeur.

 

En d’autres termes, la Charte inversait ainsi totalement la hiérarchie entre le contrôle de principe sur le matériel de l’entreprise et la possibilité, en cas de refus, d’un contrôle sur le matériel de l’inspecteur au moyen de copies communiquées. Elle omettait également de faire état du délai de quinze jours laissé au cotisant pour s’opposer à la demande de l’inspecteur.

 

C’est donc logiquement que, par un arrêt du 17 février 2023, le Conseil d’Etat a annulé ces dispositions de la Charte du cotisant en raison de leur violation de l’article R.243-59-1 du Code de la sécurité sociale (5).

 

Par suite, au-delà d’avoir induit en erreur le cotisant, le fait, pour un inspecteur du recouvrement, d’avoir réalisé des traitements automatisés sur son matériel professionnel sans avoir respecter la procédure visée à l’article R.243-59-1 du Code de la sécurité sociale pourrait conduire à la nullité des opérations de contrôle alors intervenues et/ou du chef de redressement concerné.

 

Notons que cet article a, depuis lors, été modifié le 14 avril 2023 afin de réhabiliter la procédure figurant dans la Charte du cotisant.

 

Malgré cette dernière modification, la décision du Conseil d’Etat invite les employeurs ayant récemment fait l’objet de contrôles URSSAF (avis de contrôle antérieurs au 14 avril 2023) à vérifier si l’inspecteur a mis en œuvre un traitement automatisé et, le cas échéant, à vérifier les modalités de ce contrôle.

 

AUTEURS

Matthieu Beaumont, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

Martin Perrinel, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

Notes

(1) Cass. civ. 2, 16 février 2023, n°21-17.207, n°21-11.600 et n°21-18.322
(2) Ce mécanisme est codifié aux articles L.243-7-2 et R.243-60-1 à R.243-60-3 du Code de la sécurité sociale. Il permet donc à l’URSSAF d’écarter d’éventuels montages juridiques, pourtant licites, mis en place par des cotisants qui auraient permis d’éviter ou de diminuer le montant de cotisations sociales dû.
(3) CE, Ass. Plén., 21 juillet 1989 n°59970, Bendjador
(4) Cass. civ. 2ème, 28 septembre 2023, n°21-21.633
(5) CE 1ère/4ème ch. réunies, 17 février 2023, n°464155

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