Décision implicite de l’URSSAF : la sécurité juridique du cotisant l’emporte y compris en cas d’application erronée de la loi !

17 septembre 2021
Dans un arrêt du 8 juillet 2021 (pourvoi nº 20-16.046) la deuxième chambre civile de la Cour de cassation réaffirme la prévalence de la sécurité juridique du cotisant sur l’application correcte des dispositions en vigueur. La solution n’est certes pas nouvelle mais elle donne l’opportunité de rappeler aux entreprises contrôlées la nécessité d’être actives lors des opérations de vérifications de l’URSSAF et à l’issue de celles-ci.
En vue de garantir la sécurité juridique du cotisant, la jurisprudence a tiré du silence de l’inspecteur en cas de contrôle un effet juridique par rapport aux pratiques vérifiées : celui d’une décision, même non prononcée, et plus précisément une décision validant implicitement ladite pratique. Par la suite intégré dans le corpus réglementaire, le mécanisme de la « décision implicite » est assez bien connu mais son invocation reste mal maîtrisée.
L’absence d’observations vaut accord tacite concernant les pratiques ayant donné lieu à vérification, dès lors que l’organisme de recouvrement a eu les moyens de se prononcer en toute connaissance de cause.
Dans ces circonstances, le redressement notifié à la suite d’un contrôle ne peut porter sur des éléments qui, ayant fait l’objet d’une précédente vérification dans la même entreprise ou le même établissement, n’ont pas donné lieu à observations de la part de cet organisme. A condition bien évidemment que les circonstances de droit et de fait au regard desquelles les éléments ont été examinés soient demeurées inchangées.
Aujourd’hui intégrée à l’article R. 243-59-7 du Code de la sécurité sociale, la règle procède d’une logique imparable : le contrôle URSSAF ayant pour objet de rétablir la situation telle qu’elle aurait dû être traitée, la pratique examinée et validée pour le passé le reste pour l’avenir si, en l’absence de changement des règles applicables, la situation reste identique.
En effet, puisqu’il n’existe ni obligation juridique ni pratique développée par les organismes consistant à dresser la liste de ce qui est correctement fait par l’entreprise, il est donc admis que le silence vaut accord.
La décision implicite emporte donc les mêmes conséquences qu’une position expresse : l’organisme est lié par sa décision. Le changement de position de l’organisme peut intervenir à tout moment mais ne vaut que pour l’avenir.
Quid lorsque l’URSSAF se tait à tort ?
La question de la valeur du silence gardé par l’organisme se pose particulièrement lorsque l’URSSAF n’a notifié aucune observation alors qu’elle aurait pourtant dû prendre une telle initiative. Par exemple lorsqu’elle n’a pas remis en cause l’application d’une exonération de cotisations pour laquelle les conditions n’étaient pas réunies.
C’est précisément la problématique posée dans l’affaire soumise à la Cour de cassation qui a donné lieu à l’arrêt du 8 juillet 2021. Dans cette espèce, l’agent de contrôle avait disposé de tous les éléments pour se prononcer. Ces derniers ont donc effectivement été analysés mais il ne s’est rien produit par la suite pour l’entreprise contrôlée.
Il aurait pu être conclu que le caractère d’ordre public de la législation de la sécurité sociale s’impose et qu’il ne peut donc être admis qu’une « entorse » soit permise par l’invocation d’une simple disposition réglementaire. Par ailleurs, on ne peut nier que cette règle a un impact négatif pour le financement de la sécurité sociale.
C’était la thèse soutenue par l’URSSAF dans l’arrêt commenté. Selon elle, les dispositions relatives à la décision implicite n’avaient « ni pour objet et ni pour effet de permettre au cotisant contrôlé d’invoquer et d’opposer à l’URSSAF une pratique antérieure intervenue en violation de la loi ».
Tel n’est pas l’avis de la Cour de cassation qui considère qu’en refusant de reconnaitre le bénéfice d’une exonération prévue par la loi alors qu’il avait été accordé lors du précédent contrôle par l’URSSAF à situation identique et à législation constante entre les deux contrôles, la Cour d’appel a violé l’article R. 243-59 du Code de la sécurité sociale dans sa version applicable au litige. Et ce, alors même que l’exonération n’était effectivement pas applicable.
La règle édictée et le contrôle de son application prouvent l’importance qu’accordent les pouvoirs publics et la Haute juridiction à la sécurité juridique du cotisant.
En pratique, comment faire pour se prévaloir d’une décision implicite ?
La preuve de l’accord tacite incombe au cotisant. Comme évoqué précédemment, la notion d’accord tacite se compose de deux principaux éléments que sont l’absence d’observation par l’agent de contrôle sur des pratiques vérifiées et la « connaissance de cause » de l’agent de contrôle. L’absence d’observation est facile à prouver, la connaissance de cause, beaucoup moins.
La preuve de la connaissance de cause nécessite une organisation rigoureuse par le personnel de l’entreprise recevant l’URSSAF : l’établissement de la liste précise des documents transmis ou consultés à l’occasion de chaque contrôle, confirmation par courriel des échanges avec l’inspecteur etc…
Vient ensuite la vérification du compte-rendu du contrôle établi par l’inspecteur. Une attention particulière doit être portée au contenu de la lettre d’observations, plus exactement à l’objet du contrôle et à la liste des documents consultés pour établir les constatations reportées dans la lettre d’observations.
Cette dernière doit mentionner l’ensemble des documents ayant servi à établir le bien-fondé des chefs de redressement. A défaut, l’entreprise peut, au stade de sa réponse aux observations, proposer des ajouts à la liste. Aux stades ultérieurs de la procédure, la tâche s’avèrera plus difficile (mais néanmoins pas impossible !). Il s’agit donc d’une étape à ne pas négliger.
En somme, l’invocation d’une décision implicite requiert au stade du contrôle, un suivi organisé et une fois celui-ci achevé, une réaction rapide. La période contradictoire qui fait suite au contrôle est parfaitement appropriée pour ajuster ces éléments et préserver l’avenir.
C’est là tout l’intérêt pour les cotisants de se faire assister, dès le début des opérations de contrôle, par un conseil, et notamment par un avocat, spécialiste et technicien des problématiques URSSAF.
Article publié dans Les Echos le 17 septembre 2021
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