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Déduction des charges financières : l’Union européenne place la barre toujours plus haut

Déduction des charges financières : l’Union européenne place la barre toujours plus haut

Jadis pays privilégié pour déduire les intérêts, la France s’est muée au cours des dix dernières années en un labyrinthe fiscal pour les emprunteurs. Et la directive européenne adoptée le 12 juillet 2016 ne devrait pas améliorer la situation.

Le 12 juillet dernier, le Conseil de l’Union européenne a adopté une nouvelle directive destinée à lutter contre les pratiques dites d’«évasion fiscale» ayant une incidence sur le fonctionnement du marché intérieur (dite directive ATAD). Cette directive ATAD traite aussi bien de la déduction fiscale des charges financières nettes que de l’exit tax sur les transferts d’actifs d’un pays à un autre ou encore d’autres dispositifs identifiés comme potentiellement nocifs (instruments hybrides, sociétés étrangères contrôlées – «CFC» – ou montages considérés comme abusifs). Elle s’inscrit dans le prolongement des recommandations émises par l’OCDE ayant pour objet d’encadrer certains schémas d’optimisation fiscale (dites recommandations anti-BEPS)1.

Principes gouvernant la nouvelle limitation de déduction des charges financières nettes

L’objectif affiché par les Etats membres est d’autoriser la déduction des charges financières au niveau de l’entité où la marge est réalisée. Ainsi, la déduction des charges financières nettes (i.e. des charges financières minorées des produits financiers) encourues au titre de toute dette (liée ou non) ne serait autorisée qu’à hauteur du montant le plus élevé entre 30% de l’EBITDA ajusté de l’emprunteur (hors revenus exonérés) et trois millions d’euros. Dans l’hypothèse où une partie des charges financières nettes n’aurait pas été déduite au titre de l’exercice en cause, des tests complémentaires prenant en compte soit le ratio de capitalisation (i.e. fonds propres/ensemble des actifs) du groupe comptablement consolidé auquel appartient l’entité débitrice, soit l’EBITDA du même groupe, pourraient permettre de déduire tout ou partie de l’excédent. De même, la directive ATAD laisse ouverte la possibilité de retenir l’EBITDA réalisé par le groupe fiscal auquel appartient l’entité débitrice, à l’instar de ce qui est prévu par le droit fiscal français s’agissant des groupes fiscalement intégrés (cf. al. 14 et suivants de l’article 223 B du Code général des impôts). Dans ce dernier cas cependant, et de manière analogue à l’application du mécanisme du «rabot» au sein des groupes français fiscalement intégrés, le plafond de trois millions d’euros susmentionné serait déterminé au niveau du groupe.

Les Etats membres ont la possibilité de prévoir des règles permettant le report en avant (voire en arrière, sur trois exercices maximum) des charges financières nettes non déduites en application des règles visées ci-dessus, ainsi qu’un report en avant de l’EBITDA qui n’aurait, le cas échéant, pas été absorbé au cours des cinq exercices antérieurs.

Cette limitation de déduction des charges financières nettes ne s’appliquerait pas aux entités autonomes (i.e. les sociétés n’appartenant pas à un groupe et ne disposant pas d’établissement stable), ni aux entreprises financières. Par ailleurs, les charges financières dues à raison des emprunts contractés avant le 17 juin 2016 (et non modifiés ultérieurement) ainsi qu’au titre de ceux venant financer des projets d’infrastructures publiques à long terme au sein de l’Union européenne, ne seraient pas concernées par ce dispositif. Cependant, ces exclusions doivent être prises en compte avec prudence dans la mesure où cette directive ATAD constitue un niveau d’exigence minimal mais où rien n’interdit aux Etats membres de retenir un dispositif plus contraignant.

La date limite de transposition de cet article de la directive ATAD est fixée au 31 décembre 2018 ou «à la fin du premier exercice fiscal complet suivant la date de publication […] de l’accord entre les membres de l’OCDE sur une norme minimale» anti-BEPS en matière de déduction des intérêts, sous réserve que les Etats membres de l’Union européenne disposent de règles nationales aussi efficaces que celles prévues dans la directive ATAD pour limiter la déduction des intérêts par les groupes, une date butoir étant fixée en tout état de cause au 1er janvier 2024.

Incidences fiscales potentielles en France de cette nouvelle limitation

La transposition en droit interne français des principes de la directive ATAD en matière de déduction fiscale des charges financières nettes pourrait à nouveau complexifier le calcul des intérêts déductibles, lequel relève déjà de la gageure. A cet égard, il serait très souhaitable, afin de préserver l’attractivité du territoire français, que cette nouvelle règle se substitue à tout ou partie des règles existantes.

En particulier, le dispositif dit du «rabot», qui limite la déduction des charges financières nettes au montant le plus élevé entre 75% desdites charges et trois millions d’euros, fait office de parfait candidat à l’abolition, dans la mesure où, comme le dispositif introduit par la directive ATAD, il limite la déduction des charges financières nettes encourues sur l’ensemble de la dette, que celle-ci soit souscrite auprès d’entités liées ou de prêteurs externes au groupe.

Par ailleurs, une des difficultés principales introduite par la directive ATAD pourrait concerner la déduction des charges financières nettes au sein des sociétés holding car celles-ci réalisent en général un EBITDA limité, voire négatif. Or, lorsque la holding d’acquisition est constituée dans le même Etat que la société cible opérationnelle, il ne paraît pas anormal que la déduction des charges financières soit autorisée, indépendamment de la question de savoir si la dette correspondante est logée dans la holding ou la société opérationnelle. On voit mal, en effet, en quoi une telle déduction porterait atteinte au bon fonctionnement du marché intérieur européen. Certes, les clauses de sauvegarde prenant en compte le groupe fiscal ou le groupe comptablement consolidé devraient permettre d’atténuer ces difficultés. Mais, d’une part, certains groupes ne peuvent (ou ne veulent) pas opter pour le régime de l’intégration fiscale et, d’autre part, le ratio de capitalisation d’une holding est souvent moins élevé que celui du groupe, du moins lorsque la(les) société(s) opérationnelle(s) est(sont) peu endettée(s). Dans ces différents cas, on peut penser qu’il reviendra alors aux groupes considérés de se mettre en conformité avec l’esprit de la directive ATAD, en réallouant tout ou partie de la dette du groupe aux filiales opérationnelles, afin que les entités emprunteuses soient également celles générant l’EBITDA.

S’agissant de la transposition de la directive ATAD en droit interne français, il reste à déterminer à quelle date cette nouvelle limitation devra obligatoirement entrer en vigueur dans l’Hexagone.

A cet égard, la question se pose de savoir si la France entend faire application de la possibilité de retarder la mise en oeuvre de la règle sur la déduction des intérêts en retenant la seconde date limite de transposition, potentiellement plus longue que la première. Il paraîtrait cohérent que la France, qui s’est déjà dotée d’un arsenal fourni de limitation de la déduction des intérêts, puisse se prévaloir de la prolongation du délai de transposition même si le droit interne français ne prévoit pas de plafonnement identique de la déduction des charges financières nettes en fonction de l’EBITDA2. La position du Gouvernement sur cette question est donc très attendue.

Notes

1 Pour une analyse comparée du projet de directive avec les recommandations anti-BEPS sur la déduction des charges financières, voir «Déduction fiscale des charges financières : vers de nouvelles barrières ?», Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity, 29 mars 2016.
2 Voir sur cette question «Directive ATAD et limitation de la déduction des intérêts : quel délai de transposition pour la France ?», par Jean-Charles Benois, 25 juillet 2016, n°137

Auteurs

Laurent Hepp, avocat associé, en droit fiscal

Jean-Charles Benois, avocat en fiscalité.