De nouveaux horizons pour la fiducie après le Budget 2015
Après un long accouchement, entre 2007 et 2009, la fiducie-sûreté resurgit à la faveur du Budget 2015, qui étend la neutralité fiscale de la mise en fiducie de titres aux régimes mère-fille et d’intégration fiscale.
Si cette réforme était principalement motivée par des projets de financement de sociétés en difficulté, nul doute qu’elle pourra trouver à s’appliquer dans le financement d’opérations d’acquisition, notamment sous la forme de LBO, avec des conséquences significatives dans leur structuration.
Ayant longtemps fait figure d’arlésienne, la fiducie a été introduite par la loi du 19 février 2007 dans le Code civil, dont l’article 2011 dispose qu’elle est «l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires».
La fiducie a pour elle sa plasticité, qui permet en particulier de l’utiliser aux fins de sûreté, cas spécifiquement prévu par les articles 2372-1 et suivants et 2488-1 et suivants du Code civil. Cette fiducie-sûreté consiste à transférer à des fins de garantie des biens ou droits à un patrimoine fiduciaire, dont le fiduciaire serait le plus souvent l’établissement agent du crédit.
L’avantage décisif de la fiducie-sûreté consiste, en pareil cas, en sa résistance à la faillite (au sens large) du constituant : en effet, les biens ou droits transférés à la fiducie étant sortis du patrimoine de ce dernier, l’ouverture d’une procédure collective à son égard n’empêche pas le bénéficiaire de réaliser la fiducie-sûreté.
Cela explique que le recours à la fiducie soit envisagé de manière quasi-systématique dans les opérations de restructuration de dettes. Néanmoins, ce succès doit être relativisé : en dehors du cadre précité, la fiducie demeure relativement peu utilisée pour des raisons tenant tant à sa relative complexité qu’à sa neutralité fiscale qui, quoique de principe, demeurait incomplète.
En effet, jusqu’à récemment, la remise en fiducie de titres de sociétés conduisait à la perte des régimes mère-fille et d’intégration fiscale par le constituant, voire à un surcoût du fait des «dé-neutralisations» le cas échéant induites par la sortie du groupe fiscalement intégré des filiales transmises en fiducie, soit autant de frottements fiscaux incompatibles avec les exigences économiques de nombreuses opérations de financement.
Cette situation a été corrigée dans le cadre du Budget 20151, qui modifie les régimes mère-fille et d’intégration fiscale afin de permettre à la société-mère ou tête de groupe ayant la qualité de constituant dans le cadre d’une fiducie de continuer de bénéficier de ces deux régimes. Ainsi, s’agissant du régime mère-fille, ce dernier resterait applicable pour l’avenir comme pour le passé (absence d’interruption du délai de détention de deux ans), nonobstant la remise en fiducie des titres de la filiale concernée, pourvu cependant que l’ensemble des autres conditions soit satisfait, et que le constituant conserve les droits de vote attachés aux titres transférés, ou que le fiduciaire exerce ces droits dans le sens donné par le constituant. Le même critère de maintien des droits de vote «à la main» du constituant est imposé dans le cas du maintien du régime d’intégration fiscale.
Le dilemme de la conservation des droits de vote
Les critères alternatifs posés par les articles modifiés du Code général des impôts méritent d’être étudiés précisément, puisque de leur respect dépend le maintien du régime mère-fille ou d’intégration fiscale. Pour commencer, il faut admettre que la première option, à savoir la conservation des droits de vote par le constituant, laisse songeur. En effet, les droits de vote étant par nature attachés aux titres dont la propriété a été transférée à la fiducie, on peine à imaginer comment ils pourraient demeurer entre les mains du constituant nonobstant le transfert des titres. Certes, on pourrait procéder à un démembrement de propriété, conformément auquel l’usufruit des titres incluant les droits de vote serait laissé au constituant et la nue-propriété seule transférée à la fiducie, ou encore recourir ponctuellement (à l’occasion de chaque assemblée générale) à des prêts de titres par le fiduciaire au constituant. Outre que leur mise en œuvre semble lourde et est susceptible d’induire des conséquences fiscales particulièrement dommageables au regard de l’éligibilité aux régimes mère-fille et d’intégration fiscale2, ces dernières solutions présentent l’inconvénient que la convention d’usufruit ou celle de prêt de titres pourraient être analysées comme des conventions de mise à disposition au sens de l’article L. 622-23-1 du Code de commerce : elles seraient, par principe, insusceptibles d’être résiliées en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’égard du constituant, privant ainsi une telle «fiducie sans dépossession» d’au moins une partie substantielle de ses effets en cas de réalisation. C’est pourquoi on recourra plus volontiers à l’exercice des droits de vote par le fiduciaire dans le sens déterminé par le constituant, qui paraît juridiquement plus simple et robuste. En effet, cette possibilité revient peu ou prou à prévoir dans la convention de fiducie des clauses de vote en application desquelles le fiduciaire est tenu de voter aux assemblées générales de la société dans un sens arrêté par le constituant. Dans chaque cas, il est possible de convenir de limitations «pour protéger les intérêts financiers du ou des créanciers bénéficiaires de la fiducie».
En pratique, ces limitations pourraient prendre la forme de droits de veto ou d’obligations de ne pas faire mises à la charge du constituant et/ou du fiduciaire. Reste à en imaginer l’objet : les conventions de nantissement de compte-titres sont familières de telles clauses, mais compte tenu de l’enjeu fiscal ici en cause il est nécessaire de soupeser avec attention quelles limitations sont susceptibles de protéger les intérêts des bénéficiaires. Spontanément, on songe à l’interdiction de voter toute augmentation ou diminution de capital, de voter certaines décisions ayant directement ou indirectement pour objet d’aggraver significativement l’endettement de la société, etc. Cependant, et en l’absence de commentaires administratifs publiés à ce jour, il paraît recommandé de retenir une approche restrictive de cette faculté offerte par le texte, étant entendu qu’il serait souhaitable que la doctrine fiscale qui sera publiée (comme l’application qui en sera faite lors de contrôles) fasse preuve du même pragmatisme que celui affiché par le législateur.
Au final, il apparaît qu’en dépit des questions diverses qui ne manqueront pas de se poser (telles que celles du débiteur de la responsabilité de l’associé s’agissant de titres remis en fiducie ou de l’application des règles de franchissement de seuil dans un tel cas), le choix entre une fiducie portant sur des titres et une fiducie portant sur d’autres actifs est désormais bien plus ouvert car affranchi de l’épée de Damoclès fiscale que constituait le risque de perte du régime mère-fille et d’intégration fiscale. Aussi, les motivations qui conduiront à remettre en fiducie à titre de garantie certains actifs plutôt que des titres devraient désormais tenir plus à des considérations relatives au transfert lui-même (en termes de formalités, par exemple), à la difficulté plus ou moins grande en termes de gestion que peut présenter pour le fiduciaire un actif transféré en fiducie, à la liquidité des actifs, aux droits de mutation le cas échéant applicables, etc.
Une alternative à la «double Luxco» ?
Par ailleurs, il est raisonnable de penser que, puisque la fiducie sur titres ne serait plus préjudiciable en elle-même au regard de la fiscalité directe, elle devrait obérer l’avenir des structures dites «double LuxCo». Rappelons que ces dernières, imaginées sous le coup du traumatisme de l’affaire Cœur Défense, consistent à prévenir les conséquences pour le prêteur de l’ouverture d’une procédure concernant le véhicule ad hoc français constitué pour les besoins d’une opération de financement donnée. Pour ce faire, ce véhicule est doté de deux sociétés holding constituées au Luxembourg. La seconde de celles-ci, la «grand-mère» de la société française donc, nantit en garantie du financement les titres de la première holding luxembourgeoise : de la sorte, l’on espère que, sur le fondement de l’article 5 du règlement 1346/2000, cette sûreté ne subira pas les affres de la procédure collective française car constituée à l’étranger et portant sur des actifs mobiliers, et ce même si le centre des principaux intérêts de l’une ou l’autre des sociétés luxembourgeoises venait à être fixé en France par un tribunal s’estimant compétent. Intellectuellement séduisante, la structure dite «double LuxCo» n’est pourtant pas exempte de toutes critiques : non seulement la création puis la gestion des «LuxCo» génèrent des coûts de fonctionnement importants et a pour corollaire nécessaire de traiter en dette «liée» pour les besoins des dispositifs fiscaux de sous-capitalisation l’ensemble de la dette bancaire ainsi garantie, mais au surplus rien ne dit qu’elle passera sous les fourches caudines d’un tribunal français jaloux de sa compétence. Cela devrait être encore plus le cas lorsque le nouveau règlement européen sur les procédures d’insolvabilité, adopté par le Conseil de l’Union européenne le 4 décembre 2014, sera en vigueur. En effet, ce texte renforce de manière générale la lutte contre le forum shopping et institue une vérification de compétence que les créanciers, dans la ligne de la jurisprudence Eurofood (CJCE, 2 mai 2006, aff. C-341/04), pourront remettre en cause à l’occasion d’un recours judiciaire. La prétendue solidité de la «double LuxCo» pourrait s’en trouver sérieusement affectée.
La fiducie semble une alternative réaliste et solide à cette structure héritée de la pratique. En premier lieu, elle aboutit à un résultat similaire, à savoir la possibilité pour le bénéficiaire de contrôler in fine le placement sous sauvegarde du véhicule ad hoc supportant l’endettement (ledit contrôle procédant de l’isolement dans un patrimoine fiduciaire des titres de capital du véhicule ad hoc qui permet de réaliser la fi ducie-sûreté et donc de devenir l’associé dudit véhicule). En second lieu, elle bénéficie d’un régime juridique et désormais fiscal, clairement établi par la loi et ménageant les intérêts tant du constituant que du bénéficiaire. A cette aune, on peut raisonnablement imaginer la fi ducie remplacer peu à peu les structures de «double LuxCo». Au préalable, cela nécessitera sans doute que le législateur français, et son intérêt paraît le commander, modifie l’article 212 du Code général des impôts pour y inclure la fiducie parmi les sûretés n’ayant pas pour effet de requalifier les dettes tierces garanties par une entité du groupe en dettes «liées» prises en compte dans le calcul du ratio de sous-capitalisation.
En effet, sans cette modification, la fiducie (pourtant réputée fiscalement neutre) viendrait aggraver ledit ratio pour les financements consentis à une société liée au constituant et garantis par les titres transférés au patrimoine fiduciaire (cas par exemple des financements scindés en deux, et consentis à l’acquéreur d’une part, et à sa société-mère d’autre part, aux fins de mise en place d’une subordination structurelle) et pourrait donc s’avérer peu enviable pour le groupe du constituant. La disposition fiscale précitée prévoyant une exception pour le nantissement du compte-titres sur lequel les titres de l’entité liée au débiteur sont inscrits, il est difficilement envisageable que la fiducie demeure traitée différemment d’une sûreté dont elle est intrinsèquement proche.
Notes
1. Article 71 de la Loi de finances rectificative pour 2014.
2. La jurisprudence considérant, en effet, qu’un tel démembrement de propriété est incompatible avec le maintien du régime mère-fille et probablement de celui de l’intégration fiscale.
Auteurs
Grégory Benteux, avocat associé, spécialisé dans les opérations de financements structurés et de titrisation, tant domestiques qu’internationales, portant sur tout type d’actifs
Alexandre Bordenave, avocat en matière de financements structurés.
Jean-Charles Benois, avocat, spécialisé en fiscalité. Il intervient tant en matière de fiscalité des entreprises et groupes de sociétés qu’en fiscalité des transactions et private equity.
*De nouveaux horizons pour la fiducie après le Budget 2015* – Article paru dans La Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity, Option Finance paru le 30 mars 2015