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Distinctivité des marques composées de motifs décoratifs

Distinctivité des marques composées de motifs décoratifs

Les dépôts de marques constituées de motifs décoratifs sont à la mode. Pour autant, ces marques sont-elles valables ?

Lorsque ces motifs apparaissent sur les produits sus-indiqués, sont-ils perçus par le consommateur comme des indicateurs de l’origine commerciale desdits produits ?

La réponse à cette question conditionne la protection de ces motifs par le droit des marques.

En effet, au regard du droit français comme du droit de l’Union européenne, une marque n’est valable que si elle est distinctive, c’est-à-dire uniquement si elle permet au consommateur d’identifier l’origine commerciale des produits ou services qu’elle désigne et les différencie de ceux des concurrents.

Or, en raison de leur nature, les signes constitués de motifs décoratifs sont susceptibles d’être perçus par le consommateur comme des éléments purement ornementaux, et non comme des éléments remplissant une fonction de garantie d’origine. Dans ce cas de figure, ces signes n’ont pas vocation à être protégés au titre du droit des marques (en ce sens, cité comme un arrêt de principe en la matière : CJUE, 23 octobre 2003, C-408/01, Adidas, point 41).

Les juges partent du postulat que seul un motif décoratif qui diverge de manière significative de ceux utilisés dans le secteur en cause est susceptible d’être perçu comme un indicateur de la provenance du produit auprès du public. A contrario, un motif qui se rapproche sensiblement de ceux déjà utilisés dans le secteur concerné ne peut remplir cette fonction et ne présente donc pas de caractère distinctif.

Toutefois, il ressort de la jurisprudence que les juges ne peuvent se fonder uniquement sur les usages d’un secteur pour apprécier le caractère distinctif d’un motif dans la mesure où :

  • un motif qui rappelle un décor utilisé dans un secteur peut être apte à remplir une fonction d’indicateur de l’origine commerciale d’un produit s’il présente une particularité mémorisable pour le consommateur ;
  • un motif qui n’est pas traditionnellement utilisé dans un secteur peut être inapte à indiquer la provenance d’un produit s’il est trop banal pour le consommateur ;
  • un motif banal peut devenir, à la suite d’un usage continu et intensif de son titulaire en relation avec certains produits, distinctif.

La reconnaissance du caractère distinctif d’un signe évoquant un motif utilisé dans un secteur en raison d’une particularité mémorisable du consommateur

Un signe qui se rapproche d’un motif ornemental répandu dans un secteur peut très bien être distinctif, à condition de présenter une particularité mémorisable du consommateur.

Cela a notamment été mis en évidence dans un ensemble de décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne s’agissant de marques communautaires figuratives représentant un motif de carreaux écossais dans différentes couleurs désignant des tissus et vêtements. En effet, pour conclure au défaut de distinctivité des marques en présence, la Cour souligne que, « d’un point de vue graphique, la représentation des carreaux en cause ne comporte aucune variation notable par rapport à la représentation conventionnelle de tels motifs et que, dès lors, le public pertinent ne percevra en réalité qu’un motif banal et courant » (TUE, 19 septembre 2012, V. Fraas c/ OHMI, huit affaires distinctes).

T-26/11 T-329/10 T-50/11 T-327/10 T-326/10 T-31/11 T-328/10 T-231/11

Les juges procèdent donc à une comparaison du signe déposé avec les motifs utilisés dans le secteur concerné au jour du dépôt, en vue de déterminer si le premier se distingue suffisamment des seconds par une caractéristique mémorisable. Cette méthode de comparaison n’est pas sans rappeler l’analyse à laquelle procède le juge en droit des dessins et modèles lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère propre d’un dessin ou modèle.

A cet égard, la nature des produits pour lesquels la marque est déposée est déterminante pour apprécier le caractère suffisamment accrocheur d’un détail du signe pour le consommateur. Par exemple, un détail présent sur un motif décoratif apposé sur un vêtement pourra accrocher l’attention du consommateur, là où il serait insignifiant apposé sur un autre produit, le consommateur moyen attachant particulièrement d’importance à l’apparence des produits dans le secteur de la mode.

Quoi qu’il en soit, l’appréciation du caractère suffisamment éloigné de la marque par rapport aux motifs préexistants laisse nécessairement place à une part importante de subjectivité des juges, les juges communautaires apparaissant à ce titre plus sévères que les juges français dans l’appréciation du caractère distinctif, comme le démontrent plusieurs exemples jurisprudentiels.

Par exemple, s’agissant de ce motif de carreau déposé sans revendication de couleur par la société Burberry en classe 25, la cour d’appel de Paris a considéré que le signe était distinctif, s’éloignant suffisamment de l’antériorité la plus similaire invoquée : « le quadrillage [du motif antérieur] n’est composé que de deux larges bandes verticales croisant deux larges bandes horizontales alors que le carreau Burberry est composé de trois bande verticales croisant trois larges bandes horizontales, ce qui suffit à lui conférer un caractère propre » (CA Paris, 14 décembre 2012, n°12/05245, Burberry c/ GIFI). Cette décision contraste indéniablement avec celles du Tribunal de l’Union européenne (TUE) précitées.

Par ailleurs, alors que deux marques communautaires représentant des motifs « Vichy » et déposées en classes 29 pour la première et 29, 30, 32 pour la seconde , ont été considérées comme dépourvues de caractère distinctif par les juges communautaires (TUE, 3 décembre 2015, T327/14 ; EUIPO, Chambre des recours, 31 mai 2012, R 2054/2010-1), les juges français ont quant à eux considéré que les marques françaises ci-contre  et  déposées en classes 29, 30 et 32 étaient distinctives (CA Paris, 1er décembre 2010, n°09/02580).

 

Dernier exemple frappant en matière de marques de position (marques enregistrées avec une indication quant à leur position sur le produit) : alors que les juges communautaires ont considéré qu’une marque consistant en deux courbes entrecroisées cousues sur une poche à un emplacement précis ne présentait pas de caractère distinctif (TUE, 28 septembre 2010, T-388/09), la cour d’appel de Paris a quant à elle retenu que la marque consistant en deux coutures apposées sur le dos d’un vêtement est « pour faible qu’elle soit […] dotée d’un caractère distinctif », reprenant l’argument selon lequel « en matière de mode vestimentaire, les consommateurs savent qu’un détail peut ‘faire signe’ et être distinctif » (CA Paris, 12 novembre 2010, n°09/13664).

L’absence de caractère distinctif d’un signe, même non couramment utilisé dans un secteur, en raison de son caractère banal

Un signe, même s’il se démarque des motifs couramment utilisés dans un secteur, peut ne pas présenter de caractère distinctif en raison de son caractère banal.

A cet égard, la jurisprudence communautaire affirme clairement qu’« un signe d’une simplicité excessive et constitué d’une figure géométrique de base, telle qu’un cercle, une ligne, un rectangle, ou un pentagone conventionnel, n’est pas susceptible, en tant que tel, de transmettre un message dont les consommateurs peuvent se souvenir, de sorte que ces derniers ne le considéreront pas comme une marque, à moins qu’il ait acquis un caractère distinctif par l’usage » (en ce sens notamment : TUE, 12 septembre 2007, T-304/05, point 22).

A titre d’exemple, il a été jugé que la marque communautaire déposée en classe 33 pour du vin ne présentait pas de caractère distinctif, quand bien même l’utilisation de ce signe était inhabituelle sur le marché du vin, dès lors que « l’absence de caractère distinctif de la marque demandée résulte de son extrême simplicité et non de l’existence sur le marché de marques incorporant des représentations de pentagones » (décision précitée, point 33).

Dans le même sens, la marque communautaire , présentée comme une demi-bouche de smiley, enregistrée en classes 14, 18 et 25 a été considérée comme non distinctive en raison de la nature « très simple et banal[e] » du motif (TUE, 29 septembre 2009, T-139/08, point 37) ; tout comme la marque communautaire déposée par la compagnie Air France dans de nombreuses classes (9, 14, 16, 18, 21, 24, 25, 28, 35 à 39, et 41 à 45) se présentant « comme un motif d’une grande simplicité » (TUE, 13 avril 2011, T-159/10, point 30). 

A contrario, et logiquement, la marque déposée en classe 25 pour des vêtements, chaussures et articles de chapellerie a quant à elle été reconnue comme distinctive en raison de sa « complexité suffisante pour que le consommateur la mémorise facilement et rapidement » (CA Paris, 12 décembre 2014, n°14/06477 ; en ce sens également : CA Paris, 7 avril 2015, n°13/23535).

L’acquisition du caractère distinctif par l’usage

Une marque dépourvue ab initio de caractère distinctif peut devenir distinctive à la suite de son usage, comme le prévoient expressément les articles L.711-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle, 3.3 de la directive 2008/95 du 22 octobre 2008, 7.3 et 52.2 du règlement 207/2009 du 26 février 2009.

Les titulaires de marques composées d’éléments décoratifs peuvent donc justifier du caractère distinctif de leurs marques en rapportant la preuve d’un usage continu, intense et de longue durée du signe ayant permis au consommateur d’établir un lien entre ce dernier et une origine commerciale bien précise.

Ainsi, pour retenir la distinctivité de la marque représentant le motif « cannage » déposée en classes 18, 24 et 25, les juges ont notamment relevé que son titulaire, la société Christian Dior Couture, l’avait utilisé « de façon intensive et transversale sur un certain nombre de produits très divers (sacs à mains, chaussures, vêtements, produits cosmétiques…) de sorte qu’elle est devenue un code de la maison Dior » (TGI Paris, 13 Janvier 2011, n° 09/18025 ; dans le même sens : CA Paris, 12 novembre 2010, n° 09/13667).

S’agissant de marques communautaires, la charge de la preuve de l’acquisition du caractère distinctif par l’usage s’avère toutefois particulièrement lourde, le TUE ayant récemment affirmé que cette preuve devait être rapportée pour chacun des Etats membres de l’Union européenne au jour du dépôt des marques (en ce sens : TUE, 21 avril 2015, T-359/12 et T-360/12 à propos des marques déposées par la société Louis Vuitton représentant des motifs à damier marron/beige et gris clair/gris foncé). Le travail de collecte des preuves d’usages des marques communautaires doit donc être minutieux, les titulaires ne pouvant se borner à démontrer que leurs marques ont acquis une distinctivité sur une partie substantielle du territoire de l’Union européenne.

En revanche, les juges communautaires ont admis que la condition de l’usage sérieux pouvait être remplie « [i)] lorsqu’une marque enregistrée, qui a acquis son caractère distinctif par suite de l’usage d’une autre marque complexe dont elle constitue un des éléments, n’est utilisée que par l’intermédiaire de cette autre marque complexe, ou [ii)] lorsqu’elle n’est utilisée que conjointement avec une autre marque, la combinaison de ces deux marques étant, de surcroît, elle-même enregistrée comme marque » (CJUE, 18 avril 2013, C-12/12, Colloseum Holding AG c/ Levi Strauss & Co). Ainsi, dans ces conditions, l’usage sérieux d’une marque constituée d’un motif décoratif peut être démontré au moyen de preuves d’usage portant sur une marque plus complexe intégrant cet élément décoratif (comme une marque semi-figurative).

                 

Ce qu’il faut retenir…

Un signe représentant un motif décoratif ne peut être valablement déposé à titre de marque qu’à la condition d’être distinctif, c’est-à-dire de pouvoir remplir, en plus de sa fonction ornementale, une fonction de garantie de l’origine commerciale des produits sur lesquels il est apposé à l’égard du consommateur.

Pour apprécier la distinctivité d’un tel signe, le premier réflexe est de se référer aux motifs ornementaux habituellement utilisés dans le secteur et d’observer si le motif déposé à titre de marque s’en éloigne.

Mais les juges prennent également en considération d’autres éléments importants, à savoir :

  • la présence d’une particularité au sein du signe mémorisable du consommateur, eu égard au secteur concerné (un détail pouvant parfois suffire, notamment dans le secteur de la mode) ;
  • la complexité suffisante du signe pour transmettre un message dont les consommateurs peuvent se souvenir ;
  • l’usage continu et intensif qui a pu être fait du signe de nature à lui conférer une distinctivité.

Quoi qu’il en soit, au nom de l’intérêt général, la protection des marques composées d’éléments décoratifs ne saurait conférer au bénéfice de leur titulaire un monopole sur le genre des motifs en question. Les juges sont donc particulièrement exigeants pour apprécier le risque de confusion entre deux signes évoquant le même genre de motif, nonobstant l’identité des produits concernés.

 

Auteurs

José Monteiro, of Counsel, droit de la propriété intellectuelle

Anaïs Arnal, avocat, droit de la propriété intellectuelle

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