Dumping social : le transport aérien sous haute surveillance

19 mai 2014
Pour avoir tenté d’échapper à l’application du droit social français, plusieurs compagnies aériennes ont récemment été condamnées pour travail dissimulé. L’occasion de faire le point sur une question sensible.
Quel droit du travail pour les employés des compagnies étrangères en France ?
Pour réduire le coût et les contraintes afférents à l’application du droit du travail français, dans le cadre du développement des voyages low cost, certaines compagnies aériennes ont eu l’idée de mettre en place des « détachements » de salariés depuis le pays où elles sont établies, en soumettant le contrat de travail de leur personnel à la loi britannique, irlandaise ou espagnole, selon les cas.
Pour tenter de mettre un terme à ces pratiques, le Code de l’aviation civile a été modifié par décret du 21 novembre 2006. Il interdit les « détachements » de salariés qui sont affectés à des « bases d’exploitation » en France et dont l’activité est entièrement tournée vers le territoire français. Autrement dit, doivent être soumis au droit du travail français, les salariés qui prennent leur service et reviennent après chaque vol dans des locaux ou infrastructures dans lesquels la compagnie exerce en France une activité stable, habituelle et durable.
S’agissant des autres salariés, le principe du libre choix, par les parties, de la loi applicable au contrat de travail est toujours en vigueur. Mais si le salarié travaille habituellement en France, il doit pouvoir bénéficier des garanties minimales dont bénéficient les travailleurs français. Sa rémunération doit donc être au moins égale au SMIC comme l’a rappelé la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 18 juin 2009.
De plus, le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence a rappelé, dans une décision « Ryanair » du 2 octobre 2013, que les compagnies aériennes ne peuvent se dispenser de mettre en place une représentation du personnel si elles emploient des salariés en France.
Quelles obligations au regard de la sécurité sociale française ?
Compte tenu des différences de taux de cotisations sociales entre les différents Etats européens, certaines compagnies aériennes ont par ailleurs été tentées de rattacher leurs salariés aux régimes de sécurité sociale les moins onéreux pour leur entreprise.
Cependant, plusieurs compagnies ont été récemment condamnées pour travail dissimulé, notamment parce qu’elles n’avaient pas déclaré et assujetti leurs salariés à la sécurité sociale française.
Ainsi, dans deux arrêts du 11 mars 2014, la Cour de cassation a rappelé aux compagnies Easyjet et Vueling que ne pouvaient être rattachés à la sécurité sociale du pays de leur siège social (en Grande-Bretagne et en Espagne) des salariés prétendument « détachés », alors que leur activité était en réalité « entièrement orientée vers le territoire national » et exercée de « façon habituelle stable et continue » « dans des locaux ou avec des infrastructures situées en France ».
Ces décisions retiennent également l’attention, car la Cour de cassation a précisé que la délivrance, par les organismes sociaux, de certificats d’affiliation attestant du maintien des salariés au régime de sécurité sociale d’un autre Etat-membre (type « E101 » ou dorénavant « A1 ») ne présume en rien de la validité de ces détachements. Bien qu’il existe un mécanisme de coopération administrative entre institutions de sécurité sociale lors de la procédure de délivrance du certificat, le juge pénal français considère qu’il n’est pas lié par ce dernier. Il estime ainsi que le régime de sécurité sociale désigné par le formulaire peut être remis en question.
Enfin, précisons que depuis l’entrée en vigueur du règlement communautaire n°465/2012 du 22 mai 2012, les personnels navigants (pilotes, hôtesses, stewards) embauchés après le 28 juin 2012 doivent désormais cotiser à la sécurité sociale du pays où ils prennent et achèvent leur service (« base d’affectation »). Ce critère fixé spécialement pour les personnels navigants devrait permettre à un certain nombre de ces salariés de ne plus être rattaché à la loi du « siège social » de l’entreprise, qui était souvent applicable sous l’empire des anciennes dispositions du règlement communautaire en cas d’activité dans plusieurs Etats-membres.
Cela étant, certaines compagnies ont développé de nouvelles pratiques, dénoncées dans un rapport récemment publié par la commission des affaires européennes du Sénat.
Les nouvelles pratiques dénoncées par les parlementaires
Le rapport d’information sur le dumping social dans les transports européens paru le 15 avril 2014 évoque l’existence de nouvelles pratiques destinées à réaliser des économies de charges sociales, tout en échappant aux législations les plus contraignantes.
Il met notamment en exergue une augmentation massive du nombre de « faux » travailleurs indépendants dans les équipages, qui exerceraient en réalité leur activité dans les mêmes conditions que des salariés, et dont le recrutement serait favorisé par une pénurie d’emplois disponibles dans le ciel européen.
Le rapport dénonce en outre le recours à de fausses « bases d’affectation », qui ne correspondent nullement à la réalité des allers-retours des personnels navigants.
La dénonciation de ces pratiques s’inscrit dans une tendance plus générale de lutte contre le dumping social, qui constitue l’une des priorités des institutions européennes et des pouvoirs publics français. Le Sénat vient ainsi d’adopter en première lecture la proposition de loi « Savary », qui vise notamment à renforcer les sanctions prises à l’encontre des entreprises qui ont recours, de manière abusive, au détachement de travailleurs.
Gageons, dès lors, que les juridictions françaises n’ont pas fini de se pencher sur la question des mobilités européennes et de la lutte contre le dumping social.
Auteurs
Caroline Froger-Michon, avocat en matière de droit social.
Guillemette Peyre, avocat, en matière de droit social.
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