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Etablissements de santé : l’application prématurée d’une nouvelle procédure en recouvrement d’indu sanctionnée

Etablissements de santé : l’application prématurée d’une nouvelle procédure en recouvrement d’indu sanctionnée

En confirmant l’annulation d’une notification de payer, la Cour d’appel de Besançon est venue rappeler les exigences du contradictoire lors de la phase précontentieuse d’un recouvrement d’indu1. L’assurance maladie avait cru pouvoir s’en affranchir en appliquant de manière anticipée de nouvelles règles procédurales non encore entrées en vigueur, mais les établissements défendus par le cabinet CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon avaient soulevé devant plusieurs tribunaux l’irrégularité du procédé.

Pour mesurer la portée exacte de cette décision, il convient d’évoquer successivement :

  • La procédure en recouvrement avant le décret du 7 septembre 2012
  • L’innovation procédurale : la suppression de la phase précontentieuse
  • La limitation dans le temps ignorée par l’assurance maladie
  • Le contraste entre les différents jugements jusqu’à l’intervention de l’arrêt d’appel
  • Le préjudice lié à l’irrégularité procédurale : la suppression d’un niveau de discussion

La procédure en recouvrement avant le décret du 7 septembre 2012

Initialement, la procédure en recouvrement d’indu par les organismes d’assurances maladie comprenait une étape précontentieuse. Selon l’article R.133-9-1 du Code de la sécurité sociale, une caisse souhaitant engager une procédure en recouvrement d’indu devait d’abord adresser, à l’établissement ou au professionnel de santé concerné, une notification de payer en invitant l’intéressé à formuler des observations. Puis elle devait ensuite lui envoyer une mise en demeure répondant, le cas échéant, aux observations précitées. L’établissement devait alors, s’il souhaitait contester la créance de l’organisme, saisir la Commission de recours amiable (CRA) de celui-ci d’une réclamation avant de saisir, enfin, le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) d’une requête à l’encontre du rejet de cette réclamation. L’émission d’une contrainte n’intervenait qu’exceptionnellement, en l’absence à la fois de règlement et de saisine du TASS.

L’innovation procédurale : la suppression de la phase précontentieuse

En modifiant la disposition précitée, le décret du 7 septembre 20122 a aménagé une contestation auprès de la CRA de la notification d’indu, laquelle notification doit désormais mentionner cette voie de recours. La phase précontentieuse disparaît ainsi de fait. Il est certes toujours possible d’adresser des observations en réponse à la caisse, mais, l’établissement étant invité à saisir simultanément la CRA s’il veut contester l’indu, la formulation d’observations parallèles perd tout son intérêt. La mise en demeure devant répondre à ces observations éventuellement produites existe toujours mais n’a plus d’utilité : si l’établissement souhaite contester l’indu, il aura déjà formé la réclamation amiable à l’encontre de la notification ; s’il n’a pas saisi la CRA malgré l’invitation qui lui était faite en ce sens, c’est qu’il n’entend pas contester la créance de la caisse et qu’il est alors d’accord pour la régler. L’intervention d’une mise en demeure devient dès lors tout aussi exceptionnelle que celle d’une contrainte.

Une limitation dans le temps ignorée par l’assurance maladie

On sait que les règles de procédures sont en principe d’application immédiate, comme l’a souligné la Cour de cassation dans un contentieux portant sur les indus3. Rien n’empêche toutefois le pouvoir réglementaire de déroger à ce principe et c’est ce qui a été fait en l’espèce. Le décret du 7 septembre 2012 n’était ainsi applicable, selon son article 8, qu’ «aux indus correspondant à des périodes postérieures à sa date de publication». Le texte ayant été publié au Journal Officiel du 9 septembre, il n’aurait donc pas pu s’appliquer à des indus relatifs à une période antérieure au 10 septembre 2012.

L’assurance-maladie n’a cependant pas voulu l’entendre de la sorte. Dans une lettre-réseau émanant de sa Direction du contrôle-contentieux et de la répression des fraudes, la CNAMTS a donné instruction aux caisses de mettre en œuvre cette nouvelle procédure de recouvrement sans attendre, en l’appliquant à toutes les nouvelles notifications d’indu : «les nouvelles dispositions du décret n°2012-1032 du 7 septembre 2012 sont applicables à toutes les notifications faites à compter du 10 septembre 2012 (même si le versement de la somme indue est intervenue antérieurement à cette date)»4.

A compter du 10 septembre 2012, des établissements ont ainsi reçu des notifications d’indu placées sous le régime du nouveau décret, indiquant aux établissements destinataires qu’ils devaient former une réclamation auprès de la CRA dans un délai de 2 mois s’ils entendaient contester la créance.

C’est ce qu’on fait ceux désireux de contester l’indu qui leur était réclamé, en soulevant devant les TASS l’irrégularité de ces notifications leur imposant de saisir immédiatement la CRA.

Des jugements contrastés jusqu’à l’intervention de l’arrêt d’appel

Certains tribunaux ont refusé de regarder cette application comme rétroactive en considérant que l’indu devait être daté du jour de sa notification5, ignorant la jurisprudence selon laquelle « le fait générateur de cette créance de restitution pour paiement indu est constitué, s’agissant d’un quasi-contrat, par le fait juridique du paiement »6. Un TASS a estimé quant à lui que, si la date à prendre en compte devait bien être celle du paiement, l’application irrégulière de la nouvelle procédure n’avait causé aucun préjudice aux établissements7.

Or, comme ont pu le relever plusieurs autres Tribunaux8, l’emploi de cette nouvelle procédure était non seulement irrégulière mais aussi préjudiciable aux requérants. Cette analyse vient d’être confirmée par la Cour d’appel de Besançon.

Le préjudice lié à l’irrégularité procédurale : la suppression d’un niveau de discussion

Les caisses se sont efforcées de démontrer que cette nouvelle procédure en recouvrement aurait été plus favorable en offrant deux voies de recours (une au stade de la notification d’indu, une au stade de la mise en demeure) au lieu d’une précédemment tout en portant le délai de contestation devant la CRA d’un à deux mois.

Ce faisant, elles occultaient la conséquence essentielle de ce nouveau régime de recouvrement : la privation d’une possibilité de discussion avant l’engagement du contentieux. Cette possibilité d’une discussion préalable à la saisine de la CRA, par l’envoi d’observations auxquelles l’organisme d’assurance maladie était tenu de répondre dans la mise en demeure était, dans le régime précédent, une garantie essentielle dont la privation était sanctionnée par une invalidation du recouvrement9.

C’est de cette garantie dont les requérants se sont trouvés privés par l’obligation de saisir la CRA juste après la notification de payer. Les caisses ont bien tenté de soutenir que les établissements auraient pu ne pas saisir la CRA, ni le TASS, à l’encontre de la notification d’indu, qu’ils auraient très bien pu attendre de recevoir une mise en demeure pour le faire, que la saisine immédiate de la CRA relevait d’un choix procédural des intéressés qui n’y étaient nullement tenus. Mais cette thèse était démentie par les termes mêmes de leurs notifications de payer, lesquelles mentionnaient la possibilité de présenter des observations tout en indiquant que cette démarche n’interrompait pas le délai de forclusion pour saisir la CRA. Comme l’a justement souligné un tribunal, ceci «n’a[vait] aucun sens si ce n’é[tai]t d’induire en erreur celui à qui il é[tai)t demandé de payer l’indu»10.

Dans ces conditions la Cour d’appel de Besançon a logiquement considéré qu’«en appliquant à tort les nouvelles dispositions la caisse a[vait] privé la Polyclinique … d’une véritable phase intermédiaire amiable à laquelle elle aurait eu droit, lui causant un préjudice, du fait de l’incertitude où elle s’est trouvée placée, qui pour éviter la forclusion ne pouvait que la conduire à saisir la Commission de Recours amiable sans attendre le résultat de cette phase amiable».

Cette décision devrait probablement faire l’objet d’un pourvoi. On peut d’ores et déjà observer que les irrégularités ici sanctionnées ont une double origine : la rédaction, difficilement compréhensible, d’un décret aménageant une procédure inédite, avec deux voies de recours assorties de deux forclusions successives, et une démarche trop empressée de la CNAM donnant instruction d’appliquer ce texte sans retard nonobstant une disposition l’interdisant, ceci aux fins d’accélérer le recouvrement.

Notes

1 CA Besançon, 7 juin 2016, CPAM du Doubs c/ Polyclinique du Parc, n°16/412
2 Décret n°2012-1032 du 7 septembre 2012 modifiant les procédures relatives à la répétition des indus et aux pénalités financières prononcées par les organismes de sécurité sociale (NOR: AFSS1208551D).
3 Civ. 2ème, 8 juillet 20120, n°09-68715
4 LR-DCCRF-1/2012
5 TASS des Vosges, 8 oct. 2014, n°422/2013 ; TASS de l’Hérault, 3 août 2015, n°21301863
6 Cass. Com., 2 déc. 2014, n°13-20311
7 TASS de Villefranche-sur-Saône, 17 décembre 2015, n°2013020
8 TASS du Jura, 21 janv. 2015, n°20130360 ; TASS du Cantal, 15 sept. 2015, n°07/2014 ; TASS de la Gironde, 22 mars 2016, n°20140248
9 Civ. 2ème, 5 avril 2012, n°10-27404
10 TASS du Cantal, 15 sept. 2015, précit.

Auteurs

Yannick Francia, avocat associé en Corporate/Fusions & acquisitions, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon

Henri Gallat, avocat en Corporate/Fusions & acquisitions, CMS Bureau Francis Lefebvre Lyon