La garantie de passif n’exclut pas le dol
4 mars 2015
Nombreux sont les acquéreurs déçus qui, à la suite d’une cession de parts sociales ou d’actions, tentent de faire établir par le juge qu’ils ont été trompés par le cédant. L’espoir naturel des plaideurs est d’obtenir des dommages et intérêts ou, plus rarement, la nullité de la cession et donc la restitution du prix versé.
D’une manière générale, l’acquéreur peut soutenir que la garantie de passif consentie par le cédant est dolosive, c’est-à-dire que ce dernier a intentionnellement dissimulé des éléments déterminants affectant le bilan de la société. Mais le plus souvent, l’acquéreur déçu tentera de démontrer qu’il a été trompé non pas au titre de la garantie mais au titre de la cession elle-même. Il soutiendra alors que les éléments dissimulés par le cédant ont faussé l’image qu’il s’était faite des titres qu’il a acquis. Il espérera ainsi être indemnisé ou obtenir l’annulation de la cession. Cette action est évidemment préférable si l’objectif de l’acquéreur est de se libérer des titres et d’obtenir la restitution des sommes qu’il a versées.
Mais une question se pose régulièrement devant les juridictions : dès lors qu’une garantie de passif a été accordée par le cédant à l’acquéreur, celle-ci n’exclurait-elle pas une action sur le fondement d’un dol ?
Une cour d’appel a jugé que l’existence d’une garantie de passif était exclusive de toute autre action. Le raisonnement des juges était le suivant : dès lors que la mise en œuvre de la garantie conduit à restaurer le patrimoine de la société afin qu’il soit conforme aux croyances de l’acquéreur, ce dernier ne peut plus faire valoir un dol. En d’autres termes, il ne peut soutenir que l’état de la société n’est pas conforme à ses croyances et obtenir réparation à ce titre puisque, précisément, les défaillances détectées ont été «réparées» par le jeu de la garantie. Le raisonnement n’est pas dépourvu d’un certain pragmatisme. Mais il fait incontestablement abstraction de la règle légale qui permet à tout acheteur de demander réparation ou annulation en raison de la tromperie ou de la dissimulation dont il a été victime.
Telle est précisément la raison pour laquelle l’arrêt a été censuré. Par une décision en date du 3 février 2015 (pourvoi n°13-12.483) la chambre commerciale de la Cour de cassation réaffirme avec une grande clarté sa jurisprudence et l’arrêt est assorti de signes qui révèlent son importance :
« les garanties contractuelles relatives à l’existence de l’actif ou du passif social, s’ajoutant aux dispositions légales, ne privent pas l’acquéreur de droits sociaux qui soutient que son consentement a été vicié, du droit de demander l’annulation de l’acte sur le fondement de ces dispositions ».
En somme, la Cour de cassation condamne l’idée qu’un contrat puisse priver un acheteur de la protection que la loi lui offre. On peut donc penser que l’arrêt dépasse le seul champ du dol et gagne la garantie des vices cachés, la garantie d’éviction ou bien encore la garantie de conformité. Plus généralement, un contrat ne saurait défaire ce que le législateur, dans un dessein protecteur, a établi.
On voit mal qu’un argumentaire quelconque puisse mettre en péril une telle règle. L’arrêt est donc sans doute promis à une approbation générale.
Auteur
Christophe Blondeau, avocat associé spécialiste des opérations transactionnelles de fusions – acquisitions, de joint-venture et de private equity.
*La garantie de passif n’exclut pas le dol* Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 23 février 2015
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