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L’Internet de l’énergie

L’Internet de l’énergie

Blockchain au service de l’autoconsommation collective d’électricité et développement des réseaux intelligents (smarts grids) avec le déploiement des compteurs intelligents sont quelques illustrations de l’ »EnerNet », Internet de l’énergie qui favorise à la fois l’intégration des énergies renouvelables, l’émergence de nouveaux usages de l’électricité et la maîtrise de la demande en énergie.


EDF listait récemment de nouveaux besoins industriels pouvant être satisfaits par ces nouvelles technologies : contrôle des arbres des groupes de centrales de production hydraulique, complément de protection du travailleur isolé lors de ses déplacements, redondances d’alarmes, services domotiques, afficheur pour le suivi en temps réel des consommations d’énergie des clients en situation de précarité1, etc.

Du côté des consommateurs particuliers, les compteurs intelligents comme le Linky constituent probablement l’outil le plus emblématique de cet Internet de l’énergie. Il s’agit de l’un des dispositifs utilisés par les gestionnaires des réseaux publics pour permettre aux fournisseurs de proposer à leurs clients des « prix différents suivants les périodes de l’année ou de la journée » (article L.341-4 du Code de l’énergie). ils ont été rendus obligatoires par le décret n°2010-1022 du 31 août 2010, qui a imposé la mise à disposition de l’abonné des données de comptage ainsi que le principe d’une transmission journalière des index de comptage aux fournisseurs d’électricité permettant, à la différence du compteur mécanique traditionnel, de connaître la courbe de charge de chaque abonné.

Ces compteurs devraient améliorer le confort du consommateur par le pilotage de sa consommation énergétique et la maîtrise de son budget par des analyses de sa consommation. De leur côté, les fournisseurs pourront élaborer une facturation plus précise, reposant sur des relevés réels, et proposer au client des offres innovantes adaptées à leur consommation. A noter que, s’ils le souhaitent, les consommateurs pourront autoriser des tiers autres que leur fournisseur ou leur gestionnaire de réseau à accéder à leurs données de consommation afin de se voir proposer de nouveaux services.

Cet Internet de l’énergie entretient une filiation étroite avec l’Internet des objets (Internet of Things, IoT) qui s’inscrit dans la troisième révolution industrielle, théorisée par Jéremy Rifkin2. Selon cet essayiste et lobbiste nord-américain, la troisième révolution industrielle découle d’une convergence des technologies de la communication et des énergies renouvelables, qui permet celle de la communication distribuée (avec par exemple les technologies sans fil) et des formes d’énergies distribuées (comme les microcentrales en réseau qui fonctionnent grâce aux smart girds).

Le développement de l’Internet des objets dans le secteur énergétique se fait autour de trois axes impliquant une myriade d’acteurs :

  • celui des objets physiques conçus et fabriqués pour être connectés (chauffe-eau, sèche-linge, radiateur, etc.) ;
  • celui de la connectivité qui implique à la fois les opérateurs et équipementiers de réseaux et des acteurs des communications électroniques, historiques ou nouveaux, ces derniers pouvant être des acteurs historiques d’autres secteurs, comme les gestionnaires de réseaux d’électricité ou de gaz qui mettent à disposition leurs infrastructures de réseaux pour y déployer de nouvelles technologies de communications ;
  • celui du traitement des données, qui concerne notamment les fournisseurs de service, les agrégateurs, les intégrateurs, les opérateurs de cloud, qui sont autant de nouveaux acteurs du secteur de l’énergie appelés à gérer et à valoriser économiquement des données individuelles ou agrégées.

La croissance de l’IoT dans le secteur énergétique se fait au rythme soutenu des évolutions et ruptures technologiques. Le cadre juridique de ce phénomène, s’il n’est pas intégralement à construire, se structure en temps réel, avec toutes les incertitudes liées à l’émergence d’un nouveau paradigme.

On observe un positionnement extrêmement volontariste des régulateurs pour accompagner -voire anticiper- d’un point de vue technique, économique et juridique le développement de ces nouvelles technologies. Ainsi, la Commission de régulation de l’énergie a organisé dès 2010 un think thank institutionnel dédié aux smarts grids, puis en 2014 une consultation publique sur ces technologies avant de publier, la même année, une série de recommandations sur le développement des réseaux électriques intelligents en basse tension et demandé ensuite aux gestionnaires de réseaux de lui faire parvenir des feuilles de route de mise en œuvre de ses recommandations. L’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a de son côté identifié l’Internet des objets comme l’un de ses douze chantiers prioritaires pour 2016/2017 afin de s’assurer de la disponibilité des ressources rares (numérotation, adresses IP, codes réseaux, accès aux fréquences) nécessaires au développement des réseaux concernés. Enfin, avec la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) s’est vu confier la mission de conduire une réflexion sur les enjeux éthiques soulevés par l’évolution des technologies numériques.

D’un point de vue strictement juridique, se pose la question de l’utilisation des fréquences ou bandes de fréquences radioélectriques dans les conditions des articles L.41 et suivants du Code des postes et des communications électroniques (CPCE), étant entendu que les installations radioélectriques n’utilisant pas des fréquences spécifiquement assignées à leur utilisateur sont librement établies (article L.33-3 du CPCE). On constate qu’une catégorie importante des applications IoT, qui représentent une part croissante des usages, correspond à des applications requérant une faible bande passante, tout en répondant à un besoin de forte autonomie du terminal pour un coût énergétique réduit (faible consommation) et à un besoin de couverture étendue, avec une bonne pénétration à l’intérieur des bâtiments. Ces nouveaux besoins ont entraîné l’émergence de nouvelles technologies de connectivité mobile, regroupées sous le sigle LPWAN (Low Power Wide Area Network), comme par exemple Sigfox, LoRaWAN.

En pratique, ces usages se développent dans les bandes « libres », encore appelées bandes sous autorisation générale, qui présentent l’avantage d’être disponibles sans autorisation individuelle et de n’être pas soumises à redevances ; néanmoins, et il s’agit d’inconvénients majeurs, la qualité d’utilisation de ces bandes peut être perturbée par des brouillages dus au non-respect des normes harmonisées et les conditions techniques d’utilisation des bandes de fréquences libres peuvent être relativement restrictives. L’ARCEP mène actuellement une réflexion approfondie visant à y remédier.

La normalisation associée au développement de toute nouvelle technologie est aussi l’un des points clés du développement de l’Internet de l’énergie. La France participe ainsi au groupe de travail international de l’Organisation internationale de normalisation qui a pour objectif de définir d’ici la fin de l’année 2017 une architecture pour l’interopérabilité des objets de l’IoT et de renforcer leur sécurité. Parallèlement, la Commission de régulation de l’énergie participe aux travaux des instances européennes de normalisation sur le comptage et les réseaux électriques intelligents, ainsi qu’aux travaux de normalisation de l’Agence française de normalisation qui concernent les smarts grids.

La protection des droits de propriété intellectuelle par le droit des marques et des brevets est tout aussi essentielle, notamment dans la perspective de recherche et développement que poursuit actuellement le secteur.

La propriété des données énergétiques et leur gestion sont eux aussi deux sujets stratégiques. Outre des données à caractère personnel, les acteurs de l’Internet des objets produisent des données diverses (données tirées de l’exploitation des moyens de production, cartographie des réseaux, données de volume, données de prix) qui sont autant de données techniques et commerciales qui, dans un contexte concurrentiel, doivent pouvoir être valorisées par leur propriétaire au travers d’un cadre juridique sûr. La gestion et la valorisation de l’ensemble de ces données doivent se faire dans le respect de deux impératifs : celui de la protection de la confidentialité des données individuelles énergétiques et celui de leur sécurité.

La protection des données individuelles énergétiques consiste en premier lieu à protéger les données à caractère personnel dans le cadre de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 dite « Informatique et libertés », comme lors de l’installation sur les réseaux des dispositifs de collecte et de traitement des données énergétiques (ex : compteurs Linky).

Ainsi, avant la généralisation du déploiement des compteurs intelligents, des analyses d’impact en matière de protection des données à caractère personnel avaient été menées (voir la délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 12 juin 2014 sur le développement des réseaux électriques intelligents en basse tension). Puis pendant la phase de conception, la définition des fonctionnalités techniques des compteurs s’est faite en tenant compte des exigences découlant de la protection des données personnelles (voir la recommandation 2012/148 de la Commission européenne du 9 mars 2012 concernant les systèmes intelligents de mesure). Enfin, les phases d’installation et d’exploitation doivent respecter les règles de collecte et de traitement des données à caractère personnel rappelées par la CNIL dans sa délibération n°2012-404 du 15 novembre 2012 relative aux traitements des données de consommation détaillées collectées par les compteurs communicants et dans son pack de conformité élaboré avec la Fédération des industries électriques électroniques et de communication.

La protection des données individuelles énergétiques consiste en second lieu à protéger les informations commercialement sensibles dont la communication pourrait porter atteinte aux règles de concurrence et de non-discrimination (les ICS, notion spécifique aux secteurs de l’électricité et du gaz, articles L.111-72 et suivants du Code de l’énergie). On comprend en effet que les données relatives au niveau énergétique de consommation d’une entreprise sont sensibles puisqu’elles peuvent révéler son niveau d’activité.

L’accès à ces données, individuelles ou non, doit par ailleurs être sécurisé, puisqu’il s’agit de les protéger de tout acte de piratage informatique : ainsi, l’article 4 de l’arrêté du 4 janvier 2012 pris en application de l’article 4 du décret n°2010-1022 du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité impose que les compteurs intelligents soient conformes à des référentiels de sécurité approuvés par le ministre chargé de l’Energie, cette conformité faisant l’objet d’une vérification et d’une certification par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information.

Enfin, les questions de financement du développement des réseaux intelligents ont été prises en compte à partir des quatrièmes tarifs d’utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d’électricité qui constituent un cadre de soutien des travaux d’innovation des gestionnaires de réseaux.

Les usages de l’Internet de l’énergie sont actuellement en pleine expansion et beaucoup restent encore à inventer. Les gestionnaires de réseaux sont en train d’opérer une véritable transformation de leur réseau pour favoriser ces nouveaux usages qui permettent le développement de nouveaux services dans le secteur de l’énergie.

Notes

1 Réponse d’EDF à la consultation publique menée entre le 3 et le 18 juin 2016 par l’ARCEP et l’ANFR sur les « nouvelles opportunités pour l’utilisation des bandes de fréquences 862-870 MHz, 870-876 MHz et 915-921 MHz »
1 Rifkin J., La troisième révolution industrielle : comment le pouvoir latéral va transformer l’énergie, l’économie et le monde, Paris, Les liens qui libèrent Editions, février 2012 ; Rifkin J., La nouvelle société du coût marginal zéro : L’internet des objets, l’émergence des communaux collaboratifs et l’éclipse du capitalisme, Paris, Babel, février 2016

Auteur

Aurore-Emmanuelle Rubio, avocat en droit de l’énergie et droit public

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