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L’apport-cession sous le régime du report d’imposition et le casse-tête du réinvestissement

L’apport-cession sous le régime du report d’imposition et le casse-tête du réinvestissement

Le régime du report d’imposition applicable à l’apport de titres à une société contrôlée (CGI art. 150-0 B ter), entré en vigueur le 14 novembre 2012, s’apprête à fêter son troisième anniversaire. Il s’avère hélas plus rigoureux (s’agissant notamment de la typologie des réinvestissements éligibles) que la jurisprudence rendue pour l’application des précédents dispositifs d’apport en différé d’imposition, qu’il était supposé légaliser.

De sorte que sa mise en œuvre soulève de nombreuses difficultés qui, faute d’aménagements par la doctrine, risquent de réduire sensiblement sa portée pratique.

1. Les fondements de l’exigence du réinvestissement économique

La bonne compréhension de l’exigence de réinvestissement économique qui assortit le dispositif de report d’imposition de l’article 150-0 B ter du CGI passe par l’analyse rétrospective des arrêts fondateurs du Conseil d’Etat du 8 octobre 20101.

En effet, selon ces décisions, un apport-cession n’est pas abusif «s’il ressort de l’ensemble de l’opération que (la holding d’apport-cession) a, conformément à son objet, effectivement réinvesti le produit (des) cessions dans une activité économique».

L’accent mis sur le caractère économique du réinvestissement, qui figure dans les conclusions du rapporteur public, et qui est réaffirmée par toutes les décisions ultérieures de la Haute Assemblée, repose sur l’idée selon laquelle «l’objectif poursuivi par le législateur, en prévoyant (le différé d’imposition), était de faciliter la restructuration d’entreprises et, par-là, de favoriser le maintien et le développement de l’activité économique»2.

Des débats parlementaires concernant l’article 150-0B du CGI (régime du sursis d’imposition), il ressort par ailleurs que «la neutralisation fiscale des plus-values comptabilisées en vue de fixer la parité d’échange à l’occasion des restructurations d’entreprises tend à faciliter ces opérations en raison de leur intérêt pour l’économie». Ce régime doit faciliter «la nécessaire adaptation des structures des entreprises, que ce soit pour mieux répondre aux exigences du marché ou pour améliorer leur compétitivité».

Cette analyse (controversée), selon laquelle les mécanismes de différé d’imposition auraient pour finalité le maintien et le développement de l’activité économique des entreprises, justifierait que seuls soient qualifiants les réinvestissements dans une activité économique, à l’exclusion des réinvestissements «patrimoniaux» (immeubles de rapport, placements financiers, etc.).

L’article 150-0 B ter : de l’intention du législateur à la lettre du dispositif

Il ressort clairement des débats parlementaires3 adoptant l’article 150-0 B ter du CGI que la volonté du législateur était de légaliser la jurisprudence encadrant (notamment) le réinvestissement dans une activité économique.

Cette dernière étant elle-même guidée, comme on l’a vu précédemment, par la volonté de «faciliter la restructuration d’entreprises et, par-là, de favoriser le maintien et le développement de l’activité économique», et de favoriser «la nécessaire adaptation des structures des entreprises, que ce soit pour mieux répondre aux exigences du marché ou pour améliorer leur compétitivité», la lettre du nouveau dispositif devrait, selon toute logique, transcrire cette intention dans la loi.

Or, force est de constater que les modalités du réinvestissement économique prévues par l’article 150-0 B ter sont plus contraignantes que ne l’était la jurisprudence qu’elles étaient censées sacraliser.

L’article 150-0 B ter prévoit en effet qu’en cas de cession des titres dans un délai de 3 ans suivant leur apport, le report d’imposition est maintenu si l’engagement est pris d’investir 50% au moins du prix de cession, dans un délai de 24 mois suivant ladite cession :

  • dans le financement d’une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale, agricole ou financière, à l’exception de la gestion de son propre patrimoine mobilier ou immobilier,
  • ou dans l’acquisition d’une société contrôlée exerçant une telle activité, sous la même exception,
  • ou dans la souscription en numéraire au capital initial ou à l’augmentation de capital d’une ou plusieurs sociétés exerçant une telle activité ou ayant pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées.

La vie réelle des entreprises illustre que cette liste limitative des réinvestissements éligibles constitue un frein considérable à ce qui, au-delà du simple réinvestissement d’un prix de cession dans le cycle économique, s’analyse souvent en un véritable redéploiement stratégique, dans un ou plusieurs métiers, aux côtés de nouveaux partenaires (co-investisseurs, partenaires financiers…). L’acquisition de tout sous-jacent éligible (société opérationnelle) s’articule en réalité autour d’une ingénierie juridique et financière qui, comme nous allons l’exposer, requiert généralement l’interposition de plusieurs niveaux de holdings, ce que ni la loi ni le projet de Bofip y afférent n’ont pris en compte.

2. L’insuffisante prise en compte de la complexité des opérations de reprise

Le projet de Bofip de juillet 2015 a d’ores et déjà donné lieu à de nombreux commentaires, dans le cadre de la consultation publique dont il a fait l’objet. Pour autant, certaines difficultés pratiques affectent sensiblement la portée du dispositif et méritent d’être soulignées.

S’agissant du réinvestissement dans l’acquisition d’une fraction du capital ayant pour effet de conférer le contrôle, le remploi dans l’acquisition d’une holding animatrice de son groupe devrait être explicitement admis, compte tenu de l’assimilation habituelle de la holding animatrice à une société exerçant une activité opérationnelle.

Il est permis par ailleurs de se demander si, plus largement, pour tenir compte de façon plus complète des scénarios de cession, l’acquisition d’une holding passive (ou mixte) ayant pour objet exclusif (ou principal) de détenir une société opérationnelle enfreint réellement l’esprit du dispositif, dès l’instant où le sous-jacent est lui-même éligible. Nous ne le pensons pas.

S’agissant du réinvestissement par souscription en numéraire au capital d’une société, il est primordial de souligner que nombre d’opérations conduisent, traditionnellement, une holding (qui se trouve être l’animatrice du groupe) à capitaliser plusieurs niveaux de holdings intercalaires pour structurer ses acquisitions :

  • un premier niveau (Holdco 1) pour former une structure de co-investissement associant les partenaires «long terme»,
  • un second niveau (qui pourra comprendre autant de filiales -Holdco 2, Holdco 3, etc. que de projets d’acquisition) pour associer dans chaque holding d’éventuels managers et/ou partenaires minoritaires/financiers, structurer la dette et former un périmètre d’intégration fiscale propre à chaque acquisition, rendre des prestations de services internes à chaque sous-groupe, etc.

Holdco 2 (à l’instar de ses sociétés sœurs Holdco 3, Holdco 4, etc.), dans ce type de structuration usuelle, est généralement une holding «active», qui procède à l’acquisition de la holding animatrice d’un groupe cible.

Cette configuration, quoique parmi les plus courantes dans les opérations de reprise, semble en l’état partiellement incompatible avec le projet de Bofip dès l’instant où :

  • seul un échelon de holding (pure) est autorisé entre la holding d’apport-cession et la cible ;
  • l’interposition d’une holding «active» (Holdco 2, Holdco 3…), qui sans être animatrice effectue certaines prestations de services interne au groupe, ne figure pas au nombre des réinvestissements éligibles ;
  • la société cible, en tant que holding animatrice de son groupe, n’est pas visée explicitement (mais par un renvoi au BOI relatif à l’article 150-0 D ter) parmi les remplois éligibles ;
  • enfin, l’exigence selon laquelle un réinvestissement éligible doit être maintenu à l’actif (au cas présent de Holdco 2, Holdco 3…) pendant une durée de 24 mois, si elle doit se comprendre au sens strict (i.e. maintien de la cible à l’actif en tant que holding animatrice), se heurte à la contrainte selon laquelle un groupe ne peut être animé que par une seule holding (la fonction d’animation étant au cas présent exercée par la holding d’apport-cession). A tout le moins la doctrine administrative devrait-elle prendre en compte, et résoudre favorablement, les risques de «conflit d’animation» (entre la holding d’apport-cession et la cible quand celle-ci est une holding animatrice) au sein d’un groupe.

Comme on le voit, des schémas de co-investissement usuels s’avèrent en l’état difficilement conciliables avec le régime d’apport-cession.

Force est pourtant de constater que, nonobstant l’interposition de plusieurs niveaux de holding (passive et/ou active), l’investissement sous-jacent, en ce qu’il s’opère bien (in fine) dans des sociétés opérationnelles, et ce pour son complet montant, n’offense en rien l’intention du législateur.

Formons le vœu qu’en procédant aux aménagements qui autorisent la réalisation des opérations usuelles, l’administration concrétise l’intention fondatrice de «faciliter les restructurations d’entreprises et, par-là, de favoriser le maintien et le développement de l’activité économique»…

Notes

1Arrêts Bazire, Bauchart et Four CE 8 octobre 2010, n°301934, 313139 et 321361.
2Cf. en ce sens les conclusions du rapporteur public sous l’arrêt Ciavatta, CE 24 août 2011, n°316928.
3Cf. article 13 du rapport n°465 devant l’AN sur le projet de loi n°2012-1510 du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012 : «le Gouvernement propose de définir un nouveau régime légal de report d’imposition spécifique aux montages d’apport-cession, et à cette occasion de transposer dans la loi les critères retenus par la jurisprudence pour caractériser les opérations qui auront le droit de bénéficier de ce régime».

 

Auteur

Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité directe.

 

L’apport-cession sous le régime du report d’imposition et le casse-tête du réinvestissement – Article paru dans le magazine Option Finance le 2 novembre 2015