Le droit d’alerte et de retrait en cas de « danger grave et imminent »
22 novembre 2013
Depuis plusieurs années, le recours aux procédures d’alerte en cas de situation dangereuse pour la vie ou la santé des salariés, se multiplie dans les entreprises. Ces procédures sont toutefois soumises à un certain nombre de conditions.
Les dispositifs d’alerte ouverts aux salariés et aux membres du CHSCT
Le code du travail prévoit deux procédures distinctes susceptibles d’être mises en œuvre lorsqu’une situation dangereuse apparait :
- La première réside dans le droit reconnu au salarié qui a un motif raisonnable de penser qu’une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé de se retirer de cette situation (L. 4131-1). C’est le « droit de retrait » : le salarié a alors la possibilité de quitter son poste de travail tant que les mesures nécessaires à la suppression ou à la limitation du danger n’ont pas été prises et ne peut, à ce titre, faire l’objet d’aucune sanction ni d’aucune retenue de salaire ;
- La seconde permet à tout membre du CHSCT qui constate une situation de danger grave et imminent de déclencher une procédure d’alerte se traduisant par la réalisation « sur le champ » d’une enquête menée conjointement par le membre du CHSCT et l’employeur en vue de déterminer les mesures de sécurité nécessaires pour y mettre fin. En cas de divergence sur la réalité du danger ou sur la façon de le faire cesser, l’employeur doit réunir d’urgence le CHSCT et informer l’inspecteur du travail et l’agent du service de prévention de la CARSAT. A défaut d’accord entre l’employeur et la majorité du CHSCT sur les mesures à prendre, l’employeur doit saisir l’inspecteur du travail qui peut alors mettre en œuvre les moyens à sa disposition pour voir ordonner toutes mesures propres à faire cesser le risque.
Des procédures contraignantes pour l’employeur
Le recours par les membres du CHSCT à la procédure d’alerte est très contraignant pour l’employeur puisqu’elle implique une réaction rapide de sa part et la mobilisation de moyens parfois importants alors qu’elle est parfois utilisée dans des situations éminemment subjectives de « pression morale » ou de simple inquiétude de la part des salariés.
Dans le même temps, l’employeur, tenu à une obligation de sécurité de résultat, porte l’entière responsabilité de juger si la situation de danger grave et imminent existe ou non. Il lui est ainsi interdit de demander au salarié de reprendre son activité dans une situation où persiste un danger grave et imminent, sous peine de voir sa responsabilité civile et pénale, engagée et sa faute inexcusable reconnue en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle.
La notion de danger grave et imminent pour la vie ou la santé des salariés
Le recours à ces procédures d’alerte suppose l’existence d’un danger, qui peut-être individuel ou collectif, mais qui doit être à la fois grave et imminent.
La notion de danger grave doit être entendue comme étant une situation inhabituelle (par opposition à simple danger inhérent à l’exercice d’activités dangereuses par nature) présentant une menace directe pour la vie ou la santé du salarié. Ainsi, selon une circulaire de la direction générale du travail du 25 mars 1993, un danger grave est « un danger susceptible de produire un accident ou une maladie entraînant la mort ou paraissant devoir entraîner une incapacité permanente ou temporaire prolongée ». Un certain « seuil de dangerosité » doit donc avoir été atteint.
Par danger imminent, la loi entend viser les situations où le risque est susceptible de se réaliser brusquement ou dans des délais rapprochés.
L’appréciation de l’existence et de la gravité du danger imminent
Si l’existence d’un danger grave et imminent est une condition d’exercice du droit d’alerte et de retrait, cette notion est toutefois une source inévitable de contestation. Dans ce cas, c’est au juge qu’il appartient d’apprécier au cas par cas la gravité et l’imminence du danger invoqué. En pratique, la situation est tantôt analysée de manière objective (existe-t-il effectivement un danger grave et imminent ?), tantôt de manière subjective.
En effet, lorsqu’un salarié exerce son droit de retrait, la loi exige seulement qu’il ait eu « un motif raisonnable de penser » que la situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Elle n’exige donc pas l’existence effective d’un danger grave et imminent. Compte tenu de la part de subjectivité laissée au salarié, celui-ci bénéficie en quelque sorte d’un droit à l’erreur. Il est cependant exigé du salarié un minimum de réflexion et la perception de bonne foi d’un danger inhabituel apparent.
A titre d’exemple, la Cour de cassation a jugé qu’une salariée qui estimait avoir subi un harcèlement de la part de son employeur ayant conduit à une dépression nerveuse n’était pas fondée à exercer son droit de retrait dès lors qu’il n’existait « aucun péril objectif mettant directement en cause la santé de la salariée » et qu’elle « n’avait pas de motif raisonnable de penser que le maintien à son poste de travail présentait un danger grave et imminent pour sa santé » (Cass. soc. 14 juin 2006, n°04-43.769).
S’il s’avère que le salarié ne disposait d’aucun motif raisonnable de penser de bonne foi que sa situation présentait un danger grave et imminent, l’employeur est fondé à opérer une retenue sur salaire correspondant à la durée de l’arrêt de travail. Le salarié s’expose par ailleurs à une sanction disciplinaire pour abandon de poste ou insubordination.
S’agissant de la procédure d’alerte des membres du CHSCT, qui sont supposés détenir une compétence particulière en matière de sécurité et de conditions de travail, ils doivent en revanche, avant de recourir à la procédure d’alerte, constater qu’il existe effectivement une cause objective de danger grave et imminent.
La nature du danger et sa cause, de même que le nom du ou des salariés exposés, doivent être consignés par écrit sur un registre spécial tenu, sous la responsabilité de l’employeur, à la disposition des membres du CHSCT.
Comme pour tout salarié, l’exercice abusif du droit d’alerte par un membre du CHSCT peut donner lieu à des sanctions disciplinaires.
Il reste qu’en pratique, compte tenu de la rédaction des textes et en l’absence de jurisprudence ayant reconnu à l’employeur le droit de refuser a priori de recourir à une enquête ou de réunir le CHSCT lorsqu’il conteste l’existence d’un danger grave et imminent, l’employeur paraît difficilement pouvoir s’abstenir sans risque de toute mesure d’enquête, compte tenu de la responsabilité encourue et du risque de délit d’entrave.
A propos de l’auteur
Raphaël Bordier, avocat associé. Il est spécialisé en droit social et soutient des organisations françaises, comme européennes et internationales. Plus spécifiquement, il intervient, en assistance au quotidien de client, au sein du cabinet, dans le domaine des relations collectives et individuelles du travail.
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