Le droit de se taire n’a pas à être notifié au salarié

25 septembre 2025
L’intelligence du droit l’a finalement emporté sur une culture de la radicalité qui aurait pu pousser à étendre au salarié le droit d’être informé du droit de se taire au cours de l’entretien préalable à un licenciement pour motif personnel ou au prononcé d’une sanction disciplinaire.
Le Conseil constitutionnel a justement décidé, le 19 septembre 2025, que « ni le licenciement pour motif personnel d’un salarié ni la sanction prise par un employeur dans le cadre d’un contrat de travail ne constituent une sanction ayant le caractère d’une punition au sens des exigences constitutionnelles » (Cons. const., décision n°2025-1160-1161-1162 QPC du 19 septembre 2025).
Comment en est-on arrivé là ?
Premières applications de l’obligation d’information sur le droit de se taire
Le droit de se taire, que le Conseil constitutionnel fait découler du principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, est appliqué à toute personne exposée à une sanction ayant le caractère d’une punition infligée par une autorité administrative ou par une autorité publique indépendante agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique.
Depuis quelques années, le Conseil constitutionnel reconnaît à cette personne le droit d’être informée de son droit de se taire lorsqu’elle est mise en cause devant l’autorité exerçant un pouvoir de sanction.
D’une décision à l’autre, le Conseil a déclaré non conformes aux exigences constitutionnelles les dispositions légales qui ne prévoient pas le droit de la personne physique ou, le cas échéant, du représentant légal d’une personne morale mise en cause d’être informé de son droit de garder le silence (v. encore Cons. const., décision n°2025-1154 QPC du 8 août 2025, à propos des dispositions de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 qui ne prévoient pas que le mis en cause soit informé du droit de se taire en cas d’audition ou lorsqu’il est invité à présenter ses observations à la Cnil).
Cette position a été appliquée, il y a un an, aux fonctionnaires faisant l’objet d’une procédure disciplinaire. La consultation préalable du conseil de discipline étant obligatoire lorsque le fonctionnaire est visé par une sanction disciplinaire autre que celle du premier groupe (avertissement, blâme ou exclusion de fonctions d’un maximum de trois jours), le Conseil constitutionnel a relevé que, lors de sa comparution devant cette instance, l’intéressé peut être amené, en réponse aux questions posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement et que ses déclarations ou ses réponses sont susceptibles d’être portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction.
Il a considéré en conséquence que le fonctionnaire mis en cause doit être informé de son droit de se taire et que, faute de le prévoir, les dispositions du Code général de la fonction publique méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 (Cons. const., décision n°2024-1105 QPC du 4 octobre 2024).
Dans ce mouvement, la notification du droit de se taire au salarié faisant l’objet d’une procédure disciplinaire apparaissait comme la suite logique et nécessaire de cette jurisprudence.
Les questions dont le Conseil constitutionnel était saisi ne portaient pas toutefois seulement sur l’absence de prévision de ce droit par les dispositions du Code du travail instaurant un entretien préalable au prononcé d’une sanction disciplinaire ; elles concernaient aussi les dispositions organisant cet entretien avant une mesure de licenciement pour motif personnel.
Une obligation écartée dans les relations de travail de droit privé
Alors que beaucoup pronostiquaient un élargissement de la jurisprudence à la situation des salariés convoqués à un entretien préalable à une sanction ou à un licenciement disciplinaire, le Conseil constitutionnel n’a pas suivi cette pente dangereuse.
Il a exclu que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, s’applique aux mesures prises dans le cadre d’une relation de droit privé, qui ne traduisent pas l’exercice de prérogatives de puissance publique. Ces mesures, qu’il s’agisse du licenciement ou d’une sanction disciplinaire, n’ont tout simplement pas le caractère d’une punition.
L’analyse, au vrai, ne pouvait pas être différente s’agissant du licenciement pour motif personnel qui n’est pas une sanction.
Faut-il le rappeler : le licenciement est l’exercice par l’employeur du droit de résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée. Sa soumission à un régime impératif ne le fait pas changer de nature, ce que la chambre sociale reconnaît d’ailleurs elle-même lorsqu’elle juge que l’indemnité de licenciement est la contrepartie du droit de l’employeur de résilier unilatéralement le contrat de travail (Cass. soc., 27 janvier 2021, n°18-23.535; Cass. soc., 23 novembre 2022, n°21-12.873).
L’analyse aurait-elle pu être différente en ce qui concerne le prononcé d’une sanction disciplinaire ?
La conception de celle-ci comme une punition aurait impliqué de mettre dans un rapport d’équivalence les pouvoirs de l’employeur et les prérogatives de puissance publique. Même sans les assimiler, le rapprochement n’est pas soutenable alors que les pouvoirs de l’employeur s’inscrivent dans une relation contractuelle de droit privé.
Le rapport d’autorité inhérent à la subordination juridique, dont le pouvoir de sanction est un critère, serait profondément transformé pour mimer l’exercice de prérogatives de puissance publique.
La position du Conseil constitutionnel a donc bien, dans ces conditions, l’intelligence du droit et le sens de la mesure face à l’esprit de radicalité que d’aucuns voudraient insuffler à l’exercice des pouvoirs de l’employeur. Ces pouvoirs ne font pourtant que fonder des mesures qui, comme l’a observé le Conseil, « ont pour seul objet de tirer certaines conséquences, sur le contrat de travail, des conditions de son exécution par les parties ».
Les règles relatives à l’entretien préalable resteront dès lors en l’état, et c’est heureux.
Quel supplément de justice aurait-on pu en effet attendre de l’information solennelle du salarié d’un droit de se taire qui est déjà, pour lui, une faculté ?
Non seulement la pratique de l’entretien préalable en aurait probablement été modifiée, mais il est douteux que les droits des salariés auraient été mieux garantis en les informant de la possibilité de se taire plutôt qu’en les invitant à s’expliquer.
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