Le chemin de croix du licenciement des salaries protégés : analyse des règles en vigueur
16 avril 2021
Un motif disciplinaire, une insuffisance professionnelle, une inaptitude ou encore un motif économique : multiples sont les raisons pour lesquelles un employeur peut se trouver contraint d’envisager le licenciement d’un salarié.
Quel que soit le motif invoqué, le premier réflexe de l’employeur doit être de vérifier que le salarié en question ne dispose d’aucun statut « protecteur ». En pratique, il s’agira de s’assurer que le salarié n’est pas investi d’un mandat de représentant du personnel, de représentant syndical voire même, dans certains cas, d’un mandat extérieur à l’entreprise. [1]
Si mandat(s) il y a, le licenciement ne pourra être notifié au salarié qu’à la condition d’être expressément autorisé par l’Inspection du travail, soit en pratique pour l’employeur : après avoir suivi une procédure de licenciement assez complexe où le moindre faux pas peut conduire au refus du licenciement envisagé et donc … au maintien du salarié à son poste.
Retour sur ces règles particulières.
Phase 1 : l’invitation du salarié à un entretien préalable
L’employeur qui envisage de licencier un salarié protégé doit nécessairement commencer par le convoquer à un entretien préalable afin de lui exposer les raisons pour lesquelles il envisage son licenciement et, le cas échéant, recueillir ses observations.
Très classiquement, le courrier de convocation doit mentionner la date, l’heure et le lieu de l’entretien, son objet et enfin la faculté dont dispose le salarié de se faire assister par un salarié de son choix appartenant à l’entreprise voire dans les entreprises dépourvues d’institutions représentatives du personnel, par un conseiller extérieur.
A ce stade, les règles applicables au licenciement d’un salarié « protégé » sont strictement identiques à celles d’un salarié « lambda ».
Et pourtant, la moindre irrégularité de procédure peut ici conduire au refus d’autorisation du licenciement. C’est pourquoi la prudence doit être de mise dès le lancement de la procédure et tout particulièrement dans les hypothèses suivantes :
-
- lorsque l’entreprise appartient à une unité économique et sociale (« UES ») : la convocation à un entretien doit impérativement préciser que le salarié peut se faire assister par un salarié de son choix appartenant à son entreprise mais aussi à l’une quelconque des sociétés composant l’UES ;
-
- en cas de mise à pied conservatoire prononcée à l’encontre d’un salarié investi d’un mandat de représentant de section syndicale ou de délégué syndical (en exercice ou encore protégé à ce titre) : l’employeur doit veiller à notifier la mesure de mise à pied à l’Inspection du travail dans un délai maximum de 48 heures suivant sa prise d’effet ;
-
- lorsque le projet de licenciement repose sur un motif disciplinaire : l’employeur doit prendre soin de convoquer le salarié à son entretien préalable au plus tard dans les deux mois suivant sa connaissance des faits fautifs. A noter que dans certains cas, une enquête peut s’avérer nécessaire pour permettre à l’employeur d’avoir une connaissance précise et exacte de la nature, de l’ampleur et de la gravité des faits reprochés au salarié. Dans ce cas, le délai de prescription des faits fautifs de deux mois court bien à compter du terme de cette enquête.[2]
Si le salarié est présent à son entretien, l’employeur lui expose les raisons pour lesquelles son licenciement est envisagé, et entend ses éventuelles observations.
Si le salarié ne se présente pas à son entretien, la procédure peut se poursuivre sans aucune difficulté. La prudence est toutefois de mise lorsque le salarié n’a pas pu se rendre à cet entretien pour cause de maladie et demande en conséquence un report.
Dans ce cas, il convient en effet d’accepter le report de l’entretien et dans l’hypothèse d’un nouvel empêchement pour les mêmes raisons, d’adresser au salarié un courrier lui exposant les raisons pour lesquelles son licenciement est envisagé, tout en lui offrant la possibilité d’y répondre.
Phase 2 : la consultation du comité social et économique (« CSE ») (s’il y en a un)
En fonction du (des) mandat(s) exercé(s) par le salarié, le CSE doit être informé et consulté sur le projet de licenciement le concernant. L’employeur en sa qualité de Président du CSE doit donc réunir les membres du comité et leur adresser toutes les informations utiles à leur consultation (et notamment : les motifs du projet de licenciement, la liste du ou des mandats détenus par le salarié, un rappel de la procédure suivie jusqu’alors).
Le salarié protégé dont le licenciement est envisagé doit également être invité à cette réunion afin d’y être entendu par les membres du CSE.
A nouveau, l’employeur devra se montrer particulièrement vigilant afin de ne pas commettre d’impair susceptible d’entraîner un refus d’autorisation de licenciement. Il prêtera une attention toute particulière aux écueils suivants :
-
- si le salarié dont le licenciement est envisagé est également membre élu du CSE, l’employeur doit s’assurer de l’inviter à la réunion du comité es qualité d’élu mais également es qualité de salarié en vue de son audition ;
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- si le salarié a été mis à pied à titre conservatoire, il convient de veiller à tenir la réunion du CSE dans un délai maximum de 10 jours calendaires. A noter toutefois qu’en pratique ce délai n’est pas toujours évident à respecter. C’est pourquoi la jurisprudence considère de manière constante que ce délai n’est pas prescrit à peine de nullité tant qu’il reste raisonnable ;
-
- l’employeur veillera enfin à ce que les membres du CSE rendent leur avis sur le projet de licenciement à scrutin secret (et non pas à mains levées). Enfin, si la réunion du CSE est organisée à distance (via Teams ou Skype par exemple), les conditions de vote devront être conformes aux articles D.2315-1 et D.2315-2 du Code du travail.
A l’issue de la réunion du CSE, le secrétaire de l’instance établit un procès-verbal de réunion dans les conditions de droit commun. Si le secrétaire n’a pas pu l’établir avant l’envoi de la demande d’autorisation, l’employeur peut toujours l’adresser ultérieurement, sous réserve toutefois qu’il soit adressé avant que l’Inspecteur du travail ne rende sa décision.
Phase 3 : la préparation de la demande d’autorisation de licenciement
Sans surprise, la demande d’autorisation doit être préparée avec une grande minutie.
A l’instar des explications données au salarié lors de son entretien préalable et de la note d’information remise aux élus, le motif de licenciement doit être présenté à l’Inspection du travail avec précision. Ainsi et par exemple :
-
- en cas de licenciement pour faute : la gravité des faits reprochés au salarié doit être caractérisée avec soin. Au-delà, si les faits en question ont été commis par le salarié dans le cadre de l’exercice de son ou ses mandats protecteurs, l’employeur doit démontrer que ces faits sont bel et bien déconnectés du mandat et constituent en réalité un manquement du salarié à ses obligations professionnelles ;
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- en cas de licenciement pour inaptitude : l’employeur doit notamment justifier du respect de la procédure applicable en ce inclus de l’existence de recherches de reclassement sérieuses et loyales sauf si le médecin du travail a conclu que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi ;
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- en cas de licenciement pour motif économique : l’employeur doit notamment pouvoir justifier du respect de la procédure applicable, de la réalité du motif économique invoqué mais aussi de l’existence de recherches de reclassement sérieuses et loyales.
La demande d’autorisation doit être adressée à l’Administration par voie électronique (via https://sve.travail-emploi.gouv.fr) ou par courrier recommandé avec accusé de réception, en double exemplaire. En principe, la demande est transmise dans les 15 jours suivant la délibération du CSE ou dans les 48 heures en cas de mise à pied conservatoire du salarié.
Une fois saisie, l’Inspection du travail doit obligatoirement accuser réception du dossier de demande d’autorisation. Commence alors la phase d’enquête pendant laquelle l’employeur et le salarié seront entendus. A noter que le jour de son rendez-vous avec l’Inspection du travail, l’employeur a la faculté de se faire assister d’un conseil ce qui est, d’expérience, très recommandé.
Phase 4 : la décision de l’Inspection du travail et les suites à donner
L’inspection du travail dispose d’un délai de 2 mois pour rendre sa décision. En cas de silence de sa part, la demande d’autorisation est réputée rejetée.
En cas de décision d’autorisation, l’employeur reprend sa liberté d’action et peut notifier le licenciement dans le respect des délais et règles applicables.
En cas de refus, le salarié doit être maintenu en poste voire être réintégré dans ses fonctions en cas de mise à pied (et doit percevoir la rémunération dont il a été privé pendant la période de mise à pied). L’employeur dispose quant à lui de la faculté de contester cette décision dans un délai de 2 mois qu’il s’agisse d’un recours hiérarchique introduit devant le Ministre du Travail et/ou d’un recours contentieux devant le Tribunal administratif.
En définitive, la procédure de licenciement des salariés protégés doit être menée avec la plus grande vigilance tant les occasions de manquer un délai ou d’omettre une étape essentielle sont nombreuses … et lourdes de conséquences.
Article paru dans Les Echos le 16/04/2021
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