Détermination des établissements distincts : la liberté de la négociation collective
17 février 2023
La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 1er février 2023 un arrêt important (n° 21-15.371), tant sur le plan pratique pour la détermination des établissements distincts d’une entreprise, que sur le plan théorique par la place qu’il reconnaît à la négociation collective.
1. Le contenu de l’arrêt du 1er février 2023.
Dans cette affaire, la société Air France a signé avec quatre organisations syndicales ayant obtenu 74,41% des suffrages lors des dernières élections professionnelles un accord d’entreprise relatif à la mise en place des comités sociaux et économiques des établissements et du comité social économique central d’entreprise et au périmètre des établissements distincts. Cet accord prévoit, comme précédemment, la division de l’entreprise en sept établissements.
Le syndicat des pilotes de ligne d’Air France, non signataire de cet accord d’entreprise, en a demandé l’annulation devant le tribunal de grande instance et a sollicité la mise en place d’un établissement distinct et d’un CSE propre aux pilotes de ligne.
On sait qu’aux termes de l’article L.2313-2 du Code du travail : «Un accord d’entreprise, conclu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L.2232-12 – c’est-à-dire un accord majoritaire – détermine le nombre et le périmètre des établissements distincts.»,
L’utilisation du présent de l’indicatif montre qu’il s’agit du mode normal de détermination des établissements distincts.
Par ailleurs, le texte ne fixant aucun critère pour la détermination des établissements, la chambre sociale en a déduit que «les signataires d’un accord conclu selon les conditions mentionnées aux articles L.2313-2 et L.2313-3 du Code du travail déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts au sein de l’entreprise, à la condition, toutefois, eu égard au principe de participation consacré par l’alinéa 8 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, qu’ils soient de nature à permettre la représentation de l’ensemble des salariés».
Ce considérant de principe pose deux règles :
-
- d’une part, les partenaires sociaux déterminent librement les critères permettant la fixation du nombre et du périmètre des établissements distincts : comme l’explique la notice relative à cet arrêt, «la Cour a estimé, par cet arrêt du 1er février 2023, que reconnaître en l’espèce un contrôle du juge, alors même que le législateur n’a défini aucun critère, serait en contradiction avec la directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs, dans la communauté européenne» ; cette liberté bénéficie, compte tenu des termes de l’arrêt, à la fois aux accords de droit commun et aux accords conclus avec le CSE ;
-
- d’autre part, la Cour pose une condition, qui va d’ailleurs de soi : celle d’une représentation de l’ensemble des salariés, condition qui était remplie, en l’espèce, puisque les pilotes étaient représentés au sein de l’un des établissements.
2. Par cet arrêt, la chambre sociale achève la construction d’une jurisprudence claire et cohérente sur les établissements distincts.
Cette construction jurisprudentielle comporte trois piliers.
2.1. Le premier est la primauté de l’accord collectif sur la décision de l’employeur.
On sait qu’aux termes de l’article L.2313-4 du Code du travail : «En l’absence d’accord conclu dans les conditions mentionnées aux articles L.2313-2 et L.2313-3, l’employeur fixe le nombre et le périmètre des établissements distincts, compte tenu de l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel.».
La Cour de cassation, en a déduit «qu’il résulte de ces dispositions que ce n’est que lorsque, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, un accord collectif n’a pu être conclu que l’employeur peut fixer par décision unilatérale le nombre et le périmètre des établissements distincts» (Cass. soc, 17 avril 2019, n° 18-22.948)
2.2. Le second pilier est l’élaboration des critères de l’autonomie de l’établissement.
Comme on l’a vu, en cas de fixation des établissements distincts par une décision unilatérale de l’employeur, l’article L.2313-4 n’en définit qu’un : l’autonomie de gestion du responsable de l’établissement, notamment en matière de gestion du personnel.
La Cour de cassation a procédé en deux temps :
Par un arrêt du 18 décembre 2018, relatif à la SNCF, elle a jugé qu’il résulte des dispositions de l’article L.2313-4 du Code du travail, «que caractérise, au sens de ce texte, un établissement distinct, l’établissement qui présente, notamment en raison de l’étendue des délégations de compétences dont dispose son responsable, une autonomie suffisante en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service.».
Par un second arrêt en date du 9 juin 2021, la Cour a défini un nouveau critère de l’autonomie des établissements : elle a, en effet, jugé qu’il convenait de rechercher «si les responsables des établissements concernés avaient effectivement une autonomie de décision suffisante, en ce qui concerne la gestion du personnel et l’exécution du service, et si la reconnaissance à ce niveau d’’établissements distincts… était de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentative du personnel.»
Il convient donc, désormais, d’apprécier l’exercice effectif des prérogatives de l’institution représentatives du personnel pour se prononcer sur le caractère d’ établissement distinct.
2.3. L’arrêt du 1er février 2023, vient couronner cet édifice jurisprudentiel.
Dans la mesure où l’arrêt de 2019 a reconnu une priorité à l’accord collectif sur la décision unilatérale de l’employeur, il était logique de tirer les conséquences de cette priorité en conférant à l’accord, une liberté totale quant à la détermination des critères de l’établissement distinct.
Cet arrêt marque également le retour de la négociation collective dans la jurisprudence de la chambre sociale, dans la ligne des arrêts du 27 janvier 2015 (Cass. soc, 27 janvier 2015, n°13-25.437).
A lire également
Représentant syndical au CSE : pas de désignation dans les entreprises de moin... 26 octobre 2021 | Pascaline Neymond
Elections du conseil économique et social et parité : des précisions qui sèm... 8 janvier 2020 | CMS FL Social
L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE... 25 juillet 2024 | Pascaline Neymond
La loi « Climat & résilience » est publiée : quels impacts pour les en... 25 août 2021 | CMS FL Social 5
La consultation du CSE en cas de cession sous étroit contrôle judiciaire... 21 juin 2021 | Pascaline Neymond
Etat d’urgence sanitaire : comment organiser des réunions et négocier à dis... 23 avril 2020 | CMS FL Social
Comment révoquer un représentant de proximité ?... 22 juillet 2024 | Pascaline Neymond
Covid-19 : précisions sur les modalités d’organisation des visites médi... 15 avril 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- Syntec : quelles actualités ?
- Modification du taux horaire minimum de l’allocation d’activité partielle et de l’APLD
- Congés payés acquis et accident du travail antérieurs à la loi : premier éclairage de la Cour de cassation
- Télétravail à l’étranger et possible caractérisation d’une faute grave
- La « charte IA » : un outil de contrôle et de conformité désormais incontournable
- Rapport de durabilité : la nouvelle obligation de consultation du CSE entre en vigueur le 1er janvier 2025
- Statut de lanceur d’alerte : le Défenseur des droits et la jurisprudence précisent ses contours
- Enquêtes internes : des règles en constante évolution
- Pas de co-emploi sans immixtion dans la gestion économique et sociale de la société : illustration en présence d’une société d’exploitation
- Fixation du plafond de la sécurité sociale pour 2025
Commentaires