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Travailleurs frontaliers : quelles sont les règles applicables en matière de télétravail à compter du 1er janvier 2023 ?

Travailleurs frontaliers : quelles sont les règles applicables en matière de télétravail à compter du 1er janvier 2023 ?

Les accords amiables s’étaient multipliés durant la période de crise liée à l’épidémie de COVID-19 afin de régler le sujet des jours travaillés par les salariés frontaliers dans leur Etat de résidence en télétravail. A la sortie de cette période, ces nouvelles modalités d’organisation du travail ont perduré, donnant lieu à de nouvelles discussions et négociations.

Deux accords ont été signés respectivement le 7 novembre 2022 entre la France et le Luxembourg (avenant à la convention fiscale entre les deux Etats), et le 22 décembre 2022 entre la France et la Suisse (accord amiable). Ils prévoient que le télétravail, dans une certaine limite, n’aura pas de conséquences sur l’imposition des revenus d’emploi perçus par les travailleurs frontaliers à compter du 1er janvier 2023 . L’accord entre la France et le Luxembourg prévoit aussi que les États se réuniront à nouveau avant le 31 décembre 2024 afin de déterminer les conditions qui s’appliqueront à compter du 1er janvier 2025 de manière à conclure, si nécessaire, un nouvel avenant.

La signature récente par la France avec le Luxembourg et la Suisse d’accords relatifs au télétravail pour les travailleurs frontaliers est l’occasion de présenter les mesures particulières prévues par ces accords, et plus généralement de faire le point sur les enjeux liés au télétravail tant pour les travailleurs frontaliers que leurs employeurs.

1. Les accords récents prévoient que le télétravail n’aura pas de conséquence sur les modalités d’imposition déjà existantes des revenus d’emploi des travailleurs frontaliers…

Pour rappel, un travailleur frontalier s’entend de « toute personne résidente d’un Etat qui exerce une activité salariée dans un autre Etat chez un employeur établi dans cet autre Etat et qui retourne, en règle générale, chaque jour dans l’Etat dont elle est le résident », ainsi que le décrit l’accord entre la France et la Suisse concernant l’imposition des rémunérations des travailleurs frontaliers en date du 11 avril 1983.

Les conventions fiscales internationales prévoient par principe que les revenus reçus au titre d’un emploi salarié exercé à l’étranger sont imposables dans l’Etat étranger d’exercice de l’emploi, sous réserve de la clause de détachement temporaire et du régime des travailleurs frontaliers, qui conduisent en principe à rattacher l’imposition des revenus d’emploi du salarié à l’Etat de sa résidence.

La France a conclu des accords portant sur les travailleurs frontaliers avec six Etats : l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, la Suisse et le Luxembourg. Deux des accords conclus présentent une particularité : l’accord avec la Suisse couvre uniquement les cantons de Berne, Soleure, Bâle-ville, Bâle-campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura (le canton de Genève n’est notamment pas couvert), tandis que l’accord avec le Luxembourg prévoit une imposition dans l’Etat d’exercice de l’activité.

La crise du COVID-19 et les mesures de confinement imposées par les gouvernements ont rendu nécessaire l’adaptation des accords en place afin d’éviter la remise en cause du statut de travailleur frontalier et plus généralement du lieu d’imposition habituel de ces salariés dans ce nouveau contexte de télétravail imposé. En accord avec les recommandations de l’OCDE, la France a conclu des accords spécifiques avec l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, le Luxembourg et la Suisse qui visaient à neutraliser les jours de travail à domicile des travailleurs frontaliers durant la période COVID. Ces accords se sont appliqués à compter de mars 2020, et ont généralement pris fin le 30 juin 2022, voire le 31 décembre 2022 dans le cadre de l’accord de prolongation entre la France et la Suisse.

L’accord franco-luxembourgeois sur le télétravail

La convention conclue entre la France et le Luxembourg du 20 mars 2018, modifiée par l’avenant du 10 octobre 2019, prévoit que les travailleurs frontaliers sont imposables au lieu d’exercice de leur activité, et le point 3 du protocole de la convention admet de ne pas modifier cette règle lorsque la période de travail du travailleur frontalier dans son Etat de résidence ou un Etat tiers n’excède pas 29 jours pendant la période imposable.

Un nouvel avenant signé le 7 novembre 2022 a porté cette durée maximale de télétravail à 34 jours. Cet avenant n’a pas encore été ratifié par la France. Il devrait s’appliquer aux revenus d’emploi perçus à compter de 2023, « le temps de définir, avant la fin de l’année 2024, une solution pérenne »

L’accord franco-suisse sur le télétravail

Le 22 décembre 2022, la France a signé un accord avec les cantons de Berne, Soleure, Bâle-ville, Bâle-campagne, Vaud, Valais, Neuchâtel et Jura qui prévoit la possibilité pour les travailleurs frontaliers de télétravailler depuis leur domicile jusqu’à 40% de leur temps de travail sans remettre en cause leur statut de frontalier ni le régime d’imposition dans leur Etat de résidence.

Pour les autres cantons, soit Zurich, Lucerne, Uri, Schwyz, Obwald, Nidwald, Glaris, Zoug, Fribourg, Schaffhouse, Appenzell Rh.-Ext., Appenzell Rh.-Int., Saint-Gall, Grisons, Argovie, Thurgovie, Tessin et Genève, un second accord a été trouvé pour maintenir l’imposition dans l’Etat de situation de l’employeur, si le télétravail n’excède pas cette même limite. Cet accord prendra la forme d’un avenant à la convention fiscale franco-suisse. Dans l’attente de la signature et de la ratification de cet avenant, la France et la Suisse ont signé le 22 décembre 2022 un accord amiable pour que ces règles s’appliquent dès le 1er janvier 2023.

Portée de ces accords

Ces accords visent à maintenir le lieu d’imposition des revenus des travailleurs frontaliers selon les modalités déjà existantes sous réserve de ne pas dépasser un certain nombre de jours travaillés à domicile. Ce faisant, les formalités fiscales y afférentes demeureraient les mêmes pour les salariés et leur entreprise.

En l’absence de tels accords ou dans le cas où les travailleurs frontaliers excèderaient les limites prévues par ces accords, l’application mécanique des conventions fiscales conduirait à imposer dans l’Etat de résidence la quote-part de revenus afférents aux jours de télétravail et dans l’Etat de situation de l’entreprise la quote-part de revenus afférents aux jours travaillés dans les locaux de l’entreprise. Cela soulèverait de nouvelles questions liées aux formalités fiscales pour les salariés et leur entreprise.

2. … Sans toutefois couvrir les autres conséquences fiscales, voire sociales, pour les entreprises employeurs

Les accords conclus mentionnés ci-dessus sont limités à l’imposition des revenus d’emploi. Ils ne couvrent pas les autres conséquences fiscales que le télétravail des salariés peut engendrer pour leur employeur à l’étranger, et plus précisément les risques en matière d’établissement stable ou encore de siège de direction effective. Si les recommandations de l’OCDE dans le contexte de l’épidémie du COVID-19 étaient que les restrictions de circulation des salariés et des dirigeants, temporaires et exceptionnelles, ne devraient pas entrainer la caractérisation d’un établissement stable, ou encore la constatation d’un changement de résidence fiscale de l’entreprise employeur, il en va toutefois autrement lorsque la situation n’est plus temporaire et perdure.

Le risque d’établissement stable

Le bureau à domicile (ou hors du domicile, dans un Etat tiers) d’un salarié peut constituer une « installation fixe d’affaires par l’intermédiaire de laquelle une entreprise exerce tout ou partie de son activité ». Toutefois, les commentaires OCDE sur le modèle de convention fiscale prévoient que le domicile (au sens large) ne sera pas considéré comme un endroit mis à la disposition de l’entreprise si l’utilisation de celui-ci a un caractère discontinu ou occasionnel et/ou si l’entreprise n’a pas obligé le salarié en question à utiliser les locaux concernés (notamment en continuant à mettre un bureau à sa disposition dans ses locaux).

Selon le rôle et le grade des salariés télétravailleurs, un agent dépendant pourrait également être caractérisé, en particulier si ces frontaliers signent ou jouent un rôle habituel dans la signature de contrats signés sans modification importante par l’entreprise. La signature d’accords de télétravail pourrait donc générer ou éventuellement aggraver le risque d’établissement stable pour les employeurs.

Si des établissements stables étaient caractérisés, l’employeur devrait conduire une analyse aux fins d’allouer un résultat aux établissements stables, et cela affecterait aussi la répartition des revenus de l’entreprise entre le siège et ses établissements.

Le risque siège de direction effective

Le siège de direction effective correspond, selon l’approche française, au lieu où sont prises les décisions stratégiques de l’entreprise sur le plan de la gestion et sur le plan commercial. C’est normalement le lieu où sont les organes de direction, d’administration et de contrôle de l’entreprise. Dans l’hypothèse où des dirigeants télétravailleraient (depuis leur domicile ou depuis un Etat tiers) de manière régulière, voire récurrente, un risque de changement du siège de direction effective pourrait également apparaitre.

En cas de requalification du siège de direction effective dans un autre Etat, l’entreprise pourrait devenir entièrement imposable dans celui-ci.

Les conséquences sociales

En matière de sécurité sociale, les Etats membres de l’Union Européenne, entre eux mais également avec la Suisse, se sont accordés dans le contexte de l’épidémie du COVID-19 pour mettre en place une période de flexibilité en faveur des travailleurs frontaliers, visant à éviter tout changement de législation sociale applicable en raison du recours au télétravail. Cette période de tolérance a de nouveau été prolongée jusqu’au 30 juin 2023. Rien n’a encore été communiqué en ce qui concerne la période postérieure.

Une reprise des discussions internationales

Compte tenu des enjeux fiscaux liés au télétravail pour les salariés comme leur employeur, des discussions ont débuté en vue d’élaborer des règles plus pratiques et adaptées à une situation de télétravail pérenne tant au niveau européen qu’au niveau de l’OCDE.

En octobre 2021, un groupe d’experts de la Commission a publié un document de travail sur la fiscalité dans un environnement de travail de plus en plus mobile. Il a notamment repris à son compte l’idée de la création d’un guichet unique, dans lequel les jours de travail hors des locaux de l’employeur pourraient être déclarés, à charge pour les administrations fiscales de déterminer le lieu d’imposition. En juillet 2022, le Comité économique et social européen a par ailleurs publié une opinion invitant la Commission à réexaminer cette idée. Une autre voie envisagée par le Comité serait d’autoriser un Etat membre (autre que l’Etat de l’employeur) à taxer les revenus d’un salarié seulement si le nombre de jours de télétravail excède 96 jours par année civile (ce qui permettrait aux salariés de télétravailler deux jours par semaine sans conséquences fiscales). La Commission poursuit ses travaux de réflexion en 2023.

Le sujet est également en discussion au niveau de l’OCDE. Achim Pross, Directeur adjoint au sein du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, a récemment indiqué qu’une véritable réflexion devrait commencer.

 

Par Céline Pasquier, avocate counsel, et Delphine Groux, avocate, CMS Francis Lefebvre

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