Le maintien de la certification de RTE après l’opération intervenue sur son capital
22 juin 2018
Aux termes du « 3e paquet » énergie du 13 juillet 2009, les Etats membres ont le choix entre trois régimes pour les gestionnaires de réseaux de transport de gaz et d’électricité.
Lorsqu’ils choisissent le modèle du « gestionnaire du réseau de transport indépendant », c’est-à -dire la filiale indépendante au sein d’un groupe intégré (dénommé « entreprise verticalement intégrée » ou « EVI »), ledit « GRT indépendant » (ou « GRT ITO ») doit être « certifié » par le régulateur national, après avis de la Commission européenne. Dans le secteur de l’électricité, la certification est régie, en droit européen, par l’article 10 de la directive 2009/72 et par l’article 3 du règlement 714/2009 du 13 juillet 2009 et, en droit français, par les articles L.111-3 à L.111-5 et R.111-1 à R.111-11 du Code de l’énergie. Toute transaction, tout événement affectant notamment l’organisation ou l’actionnariat et susceptible d’affecter l’indépendance du GRT indépendant doit être notifié au régulateur, qui prend le cas échéant une nouvelle décision.
Les trois GRT français ont été certifiés dans le modèle « ITO ». TIGF (rebaptisée depuis TEREGA) l’a ensuite été dans le modèle de séparation patrimoniale, à l’occasion de la sortie de TOTAL de son capital.
Comme GRTgaz et TIGF avant elle, RTE a saisi la Commission de régulation de l’énergie (CRE) en 2017 d’une nouvelle demande de certification. En effet, EDF a, par le biais de la création d’un holding, cédé un peu moins de la moitié du capital de RTE à la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La Commission européenne avait autorisé cette opération de concentration de dimension européenne en tant qu’autorité de concurrence ; elle a notamment considéré que RTE passait sous contrôle conjoint d’EDF et de la CDC.
La CRE a confirmé, par sa délibération n°2018-005 du 11 janvier 2018, la certification du gestionnaire du réseau public de transport d’électricité français. Elle a déroulé tout le raisonnement sur l’indépendance du gestionnaire de réseau : organisation interne et règles de gouvernance, garanties en matière d’autonomie de fonctionnement et mise en place d’un responsable de la conformité. On se bornera à souligner trois aspects.
En premier lieu, cette décision a étendu le périmètre de « l’entreprise verticalement intégrée à laquelle appartient RTE » (ou « EVI RTE »). Le régulateur a en effet considéré que, « parmi les participations détenues par la CDC, certaines lui confèrent un contrôle sur des activités de production d’électricité, de sorte que la CDC fait partie de l’EVI à laquelle RTE appartient ». Toutes les contraintes liées à l’appartenance à une entreprise verticalement intégrée sont donc étendues à la fois à la CDC et à « l’ensemble des sociétés exerçant une activité de production ou de fourniture d’électricité placées sous le contrôle direct ou indirect de la CDC ». Soit de très nombreux acteurs du secteur des énergies renouvelables, depuis la Compagnie nationale du Rhône jusqu’à des exploitants de petites cogénérations, de centrales biomasse, de parcs éoliens de quelques mâts ou de fermes photovoltaïques.
En second lieu, sachant que tant EDF et RTE que la CDC doivent désigner deux commissaires aux comptes, la CRE a dû prendre acte de ce qu’« il n’existe sur le marché français que cinq cabinets qui disposent de la compétence suffisante, de la surface financière et du réseau international nécessaires pour certifier les comptes d’entreprises de la taille d’EDF, de RTE et de la CDC ».
Elle a alors construit le raisonnement suivant : dans la mesure où RTE est certifiée par deux commissaires aux comptes, le risque de conflit d’intérêts ne peut se matérialiser que si les deux commissaires aux comptes de RTE certifient également les comptes d’une autre société de l’EVI RTE – ce qui n’est pas le cas.
La dernière observation concerne le contrôle des contrats liant RTE à la nouvelle « EVI RTE ». En vertu de l’article L.111-17 du Code de l’énergie, un GRT indépendant doit soumettre à l’approbation de la CRE tous les accords commerciaux et financiers qu’il conclut avec l’EVI dont il fait partie ou avec les autres sociétés contrôlées par celle-ci. Or, le périmètre de consolidation du groupe CDC recouvre 1291 sociétés actives, de sorte qu’il est apparu matériellement impossible d’effectuer un recensement complet des accords commerciaux et financiers conclus entre RTE et l’ensemble des sociétés contrôlées par la Caisse. La CRE a donc considéré, eu égard à la « nature » de la CDC, « groupe public au service de l’intérêt général » que ces accords ne sont pas de nature à soulever un risque de conflit d’intérêts, tant qu’ils ne sont pas conclus avec des entreprises de production ou de fourniture d’électricité.
Mais cette délibération a suscité une autre difficulté, caractéristique de ce régime préventif excessivement rigoureux.
En vertu de l’article 20 de la directive 2009/72 et des articles L.111-25 à L.111-29 du Code de l’énergie, l’« organe de surveillance » du GRT indépendant, qui permet aux actionnaires d’exercer leurs droits patrimoniaux sans pouvoir intervenir aucunement ni dans les activités courantes, ni dans la gestion du réseau, ni dans le plan décennal de développement de celui-ci, est divisé entre une minorité qui doit être indépendante des actionnaires et une majorité qui peut au contraire être nommée par eux. Au sein de RTE, c’est la fonction du conseil de surveillance.
M. Didier Mathus, ancien député, en avait été nommé membre par l’Etat et désigné comme membre de la minorité. En août 2015, il est devenu président du conseil de surveillance.
Or, si la délibération du 11 janvier 2018 a confirmé la certification de RTE, elle a également demandé à EDF de proposer à l’assemblée générale des actionnaires de RTE, dans les deux mois, la nomination d’un représentant d’EDF au sein du conseil de surveillance en remplacement de M. Didier Mathus. Le régulateur a en effet considéré que la nomination de l’intéressé et sa participation en tant que représentant d’EDF au conseil de surveillance auraient été de nature à affecter le respect des obligations d’indépendance définies par l’article L.111-27 du Code de l’énergie.
M. Mathus a contesté cette décision en tant qu’elle affecte sa situation personnelle et demandé au juge des référés du Conseil d’Etat d’en prononcer la suspension. Sa demande a été rejetée par ordonnance (CE ord., 6 mars 2018, n°418125).
Cette ordonnance suscite deux commentaires. D’une part, la CRE dispose – de fait – d’un droit de veto sur toute nomination au sein de l’organe de surveillance d’un GRT indépendant. D’autre part, le point de droit était donc celui de savoir si le passage de la minorité dans la majorité peut être assimilé à une nomination, à la reconduction d’un mandat ou à une cessation de mandat : le juge des référés a considéré « qu’un membre du conseil de surveillance ne saurait continuer à y siéger sans que son mandat soit renouvelé lorsqu’il quitte ou rejoint la minorité ».
La vérité est que, si le passage de la minorité indépendante dans la majorité qui ne l’est pas pourrait créer une suspicion, rétroactivement, sur les conditions d’exercice des fonctions précédentes, il manque dans les textes une interdiction. En absence de celle-ci, la Commission de régulation de l’énergie a eu recours à l’article L.111-27 du Code de l’énergie, dont ce n’est pas l’objet. Le Conseil d’Etat tranchera.
Auteur
Christophe Barthélemy, avocat associé, droit de l’énergie et droit public
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