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Les humains rêvent-ils de conseils électroniques1 ?

Les humains rêvent-ils de conseils électroniques1 ?

L’ activité de conseil en investissement tend depuis plusieurs mois à évoluer sous l’ effet de l’émergence d’ applications automatisées, dites robo-advisors. Convaincus que l’interaction entre une machine et un client n’est pas encore équivalente à celle opérée entre deux humains, les régulateurs cherchent donc à encadrer strictement cette pratique.

On peut définir les robo-advisors comme des applications automatisées procurant des conseils en investissements ou assumant des services de gestion de portefeuille sur instruments financiers. Ces plateformes de services financiers relèvent à la fois de l’éco-système des fintechs et de celui des acteurs financiers classiques. Ainsi, les robo-advisors constituent moins de nouveaux acteurs ou une nouvelle forme de services qu’un nouveau mode d’exercice d’activités faisant l’objet d’une réglementation dense et précise, celle de la fourniture de services d’investissement.

A cet égard, et au-delà des études qu’ils ont réalisées, tant le régulateur européen (ESMA) que l’Autorité des marchés financiers(l’AMF) ont identifié les risques spécifiques liés à ce mode de fourniture de services d’investissement et formulé des points d’attention, notamment dans la perspective de l’entrée en vigueur de la directive 2014/65/UE sur les marchés d’instruments financiers (MIF 2).

Un champ d’ activité connu

Pour rappel, MIF 2 définit le conseil en investissement comme « la fourniture de recommandations personnalisées à un client, soit à sa demande, soit à l’initiative de l’entreprise d’investissement, en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers » (article 4.1.4), ce conseil pouvant être d’acheter, de vendre ou même de maintenir une position à l’égard d’un instrument financier. Ce service se caractérise donc par la personnalisation du conseil émis. A ce titre, il importe peu que le prestataire ait eu l’intention de fournir une prestation de conseil en investissement à un client ou prospect. Les régulateurs relèvent ainsi qu’une présentation peut être assimilée à du conseil explicite ou implicite, dès lors que le client peut légitimement considérer qu’une recommandation personnalisée lui a été délivrée, ou qu’il est clairement influencé à souscrire tel produit.

En conséquence, l’aspect de personnalisation de la recommandation est déterminant pour la qualification du conseil, avec pour corollaire la nécessaire adéquation (suitability) entre le produit financier proposé et la situation particulière du client (ses connaissances et expérience en matière d’investissements financiers, sa situation financière, y compris sa capacité à subir des pertes, et ses objectifs d’investissements, y compris sa tolérance au risque).

Ainsi, la collecte d’informations sur la situation du client en vue de formuler une recommandation adéquate est un aspect essentiel de la prestation de conseil. A cet égard, le renforcement des obligations de vérification en matière d’adéquation constitue une des évolutions notables de MIF 2.

De ce fait, si l’absence d’intervention humaine et l’automatisation des processus lors de la collecte d’informations et la formulation de recommandations confèrent aux robo-advisors un avantage significatif en termes de traitement des données et de rapidité par rapport aux modes d’intervention plus classiques, elles en constituent également le point de fragilité pointé par les régulateurs.

Plusieurs points de vigilance

Dès lors que la qualité du conseil (sa pertinence) dépend de l’adéquation entre la situation du client et les produits recommandés, les régulateurs ont identifié deux points d’attention sur lesquels les prestataires de services d’investissements ou les conseillers en investissements financiers utilisant ce type de plateforme doivent être vigilants :

  • la capacité de la plateforme à identifier les incohérences dans les informations communiquées par le client ;
  • comme en matière de négociation à haute fréquence, la fiabilité de l’algorithme d’allocation.

Ainsi, dans sa consultation de juillet 2017 sur l’adéquation dans le cadre de MIF 2, l’ESMA envisage l’application de règles, ou à tout le moins l’adoption d’une approche spécifique, concernant les robo-advisors supposant une information spécifique du client sur (í) les modalités de fourniture du service Oe fait que le prestataire s’appuie sur une plateforme de conseils automatisés) et (ii) le niveau d’interaction envisagé avec des humains.

La communication et la collecte d’informations

L’identification et la prévention des incohérences passent par une collecte efficace des informations du client. A défaut de contact humain ou en cas de contacts humains limités avec le client, la réalisation du test d’adéquation présente deux enjeux spécifiques pour les plateformes automatisées: (í) le questionnaire client est susceptible de constituer le seul outil permettant au robo-advisor de dresser le profil client servant de base à la recommandation et (ii) le client doit être en mesure de comprendre la nature du service fourni et les implications du questionnaire.

L’ESMA met donc en garde contre le risque d’inefficacité des questionnaires qui ne prennent pas en compte les biais comportement aux des clients (cognitive and behavioural biases). En effet, la formulation des questions doit être claire et ne doit pas influencer la réponse du client, au risque de fausser le résultat du test et ainsi compromettre la pertinence du conseil formulé. En conséquence, et particulièrement lorsqu’elle est réalisée de manière automatisée, la collecte d’informations doit s’appuyer sur des questionnaires complets visant à « objectìvíser » les réponses des clients. A cet égard, il est attendu des robo-advisors des questionnaires de grande qualité dès lors qu’un humain ne sera pas nécessairement en mesure de pointer les incohérences des réponses des clients. Notamment, la plateforme doit pouvoir détecter les incohérences dans les réponses communiquées par le client dans le questionnaire client en ligne, ou proposer au client une aide dans le remplissage dudit questionnaire.

La réduction ou l’absence des interactions humaines entre le conseiller et son client est une caractéristique du fonctionnement de ces plateformes qui n’est pas homogène. En effet, certains robo-advisors offrent au client la possibilité de contacter les salariés de la plateforme ; d’autres sont complètement automatisées et n’offrent qu’une assistance technique au client sans autre contact humain lors de la fourniture du service. Enfin, sur certaines plateformes, la possibilité d’avoir ou non un contact humain avec le conseiller dépend de la valeur du portefeuille du client. En conséquence, préalablement à la fourniture du service, l’ESMA recommande aux robo-advisors d’expliquer au client la nature du service de conseil proposé ainsi que les spécificités de leur modèle automatisé, en lui précisant clairement le degré d’interaction humaine disponible et, le cas échéant, les modalités de communication avec les humains. A cet effet, la plateforme devra mettre en place les moyens techniques et humains nécessaires afin d’assurer au client qu’il reçoit une information complète et compréhensible.

Le contrôle des algorithmes

L’algorithme soutenant la formulation d’une recommandation automatisée est également un point de vulnérabilité souligné par les régulateurs. Comme pour d’autres activités s’appuyant sur des modèles automatisés (le high frequency trading par exemple qui fait l’objet d’une réglementation spécifique sous MIF 2), la résilience et la pertinence de l’algorithme affectant un portefeuille cible à un client doivent être testées.

Ainsi, les prestataires s’appuyant sur des robo-advisors doivent prévenir et être en mesure de gérer les potentielles défaillances de l’algorithme qu’ils utilisent.

Les régulateurs pointent à ce titre les risques que l’algorithme (i) soit erroné, repose sur des hypothèses peu réalistes ou soit trop complexe, (ii) génère des situations de conflits d’intérêts en étant programmé pour orienter l’investisseur vers des investissements reversant davantage d’incitations au prestataire, ou (iii) conduise à l’interruption des transactions ou à adopter des positions défensives en cas de période de tension sur les marchés. Au-delà de la vérification en amont, l’ESMA recommande que le client reçoive une information complète sur le fonctionnement de l’algorithme. il devrait notamment être informé du fait que c’est l’algorithme qui procède à la formulation des recommandations, ainsi que des risques liés à l’utilisation de l’algorithme.

Enfin, il est attendu, ce qui selon nous devrait s’appliquer quel que soit le mode de fourniture du conseil, que le client soit également mis en mesure de comprendre les raisons ayant amené l’algorithme à conseiller une allocation plutôt qu’une autre.

Comme pour le conseil classique réalisé en face-à-face, le conseil fourni par un robo-advisor doit être qualifié : le client doit comprendre pourquoi la recommandation qui lui est donnée est jugée adaptée à sa situation par le robo-advisor. Ainsi, si la fourniture de recommandations par le biais d’un robo-advisor est soumise à des obligations particulières liées à la spécificité de ce mode de prestation de conseil, elle reste pleinement et intégralement soumise au dispositif de MIF 2.

Note

1 Voir P.K. Dick: les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?

 

Auteurs

Jérôme Sutour, avocat associé, responsable Services financiers

Léa Hadjadj, avocat, Services financiers

 

Les humains rêvent-ils de conseils électroniques1 ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 18 décembre 2017
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