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Les recours au fond devant le juge administratif

Une entreprise évincée lors de la conclusion d’un marché public, qui n’a pas exercé de recours en référé devant le juge administratif ou a vu son recours rejeté peut, après la signature du contrat, saisir ce même juge d’un recours au fond. Il s’agira, généralement, d’un recours en contestation de validité du contrat (recours dit « Tropic »). Les tiers autres que ceux ayant la qualité de candidat évincé ont, quant à eux, la possibilité d’exercer un recours pour excès de pouvoir (REP) contre les actes administratifs détachables du contrat. L’entreprise évincée a aussi la possibilité d’introduire un recours indemnitaire, simultanément ou non avec le recours en contestation de validité, ou même si aucun recours de ce type n’a été déposé. Dans tous les cas, les délais de jugement sont beaucoup plus longs qu’en référé.

Le recours « Tropic »
Qui peut exercer un recours « Tropic » ?

Le recours « Tropic » est réservé aux candidats évincés de la conclusion d’un contrat administratif. La qualité de « concurrent évincé » est reconnue à tout requérant qui aurait eu intérêt à conclure le contrat, alors même qu’il n’aurait pas présenté sa candidature, qu’il n’aurait pas été admis à présenter une offre ou qu’il aurait présenté une offre inappropriée, irrégulière ou inacceptable.

Quel est le délai pour exercer un recours « Tropic » ?

Ce recours s’exerce dans un délai de deux mois à compter de la réalisation des « mesures de publicité appropriées », lesquelles doivent, selon le Conseil d’État, notamment consister en « un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi ». Pour les marchés passés après procédure formalisée, l’avis d’attribution du contrat, dûment complété à cet effet et publié au bulletin officiel d’annonces des marchés publics (BOAMP) et/ou au journal officiel de l’Union européenne (JOUE), est le support le plus fréquemment utilisé. Pour les marchés à procédure adaptée (MAPA), l’organisme adjudicateur n’est pas tenu de publier un avis d’attribution pour déclencher le délai du recours « Tropic » mais doit assurer une publicité « suffisante et accessible », laquelle s’évalue à l’aune de la pertinence du support utilisé par rapport aux opérateurs économiques concernés, son audience et son accessibilité.

Quels sont les moyens susceptibles d’être invoqués ?

Tous les arguments juridiques susceptibles de remettre en cause la validité du contrat ou certaines de ses clauses peuvent être invoqués devant le juge du contrat : manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence, exception d’illégalité d’actes détachables du contrat et vices affectant le contrat lui-même.

Quels sont les pouvoirs du juge du contrat ?

Le recours « Tropic » est un recours de pleine juridiction dirigé contre le contrat. Le juge dispose dès lors d’une large palette de pouvoirs : résiliation du contrat, modification de certaines clauses, poursuite de l’exécution, octroi d’indemnisations en réparation des droits lésés ou, après avoir vérifié que l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, annulation, totale ou partielle du contrat, le cas échéant avec un effet différé.

Le juge, lorsqu’il constate l’existence de vices entachant la validité du contrat, doit en apprécier les conséquences, sans avoir à rechercher si les manquements invoqués par le concurrent évincé sont susceptibles de l’avoir lésé. Il doit cependant prendre en considération l’importance et les conséquences de l’illégalité commise de telle sorte que seules les irrégularités suffisamment graves seront sanctionnées. Par exemple, le manquement aux règles relatives à la communication des motifs du rejet d’une offre ne peut entraîner à lui seul l’annulation du contrat litigieux.

Le REP contre les actes administratifs détachables du contrat administratif
Quels sont les actes détachables susceptibles de faire l’objet d’un REP ?

Le recours pour excès de pouvoir est dirigé contre les actes détachables antérieurs à la conclusion du contrat. Il peut par exemple s’agir de la décision autorisant l’exécutif à signer le contrat (la délibération), des décisions d’écarter une offre ou de la décision de signer le contrat, détachable « intellectuellement » du contrat.

Qui a intérêt à exercer un REP ?

Pour les concurrents évincés, la recevabilité du REP contre des actes détachables est, depuis la création du recours « Tropic », subordonnée à l’absence de conclusion du contrat, c’est-à-dire au fait qu’il n’ait pas été signé. De même, toujours pour lesdits concurrents évincés, un recours pour excès de pouvoir introduit avant la conclusion du contrat devrait faire l’objet d’un non-lieu à statuer au cas où la signature du contrat interviendrait en cours d’instance. Pour ces derniers, un tel recours apparaît donc dépourvu d’intérêt, à la différence des autres tiers (contribuable local, membre de l’organe délibérant de la collectivité, syndicat professionnel, usager du service public…, sauf le Préfet), pour lesquels il s’agit, à ce jour, de la seule voie contentieuse ouverte.

Quels sont les délais pour exercer un tel recours ?

Le recours doit être introduit dans un délai de deux mois à compter de la publication ou de la notification de l’acte détachable. Concernant les modalités de publication, il s’agit des supports généralement prévus par les textes pour les délibérations. Plusieurs décisions de juge d’appel ont reconnu que la publication de l’avis d’attribution du contrat suffisait à faire courir les délais de recours des tiers, non seulement contre la décision d’attribuer, mais également contre la décision de signer.

Quelles sont les conséquences possibles d’un REP ?

Le juge du REP ne dispose, en tant que tel, que de pouvoirs limités : il peut rejeter la requête ou annuler l’acte détachable. Toutefois, sur le fondement de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative, le juge de l’excès de pouvoir ayant annulé un acte détachable peut enjoindre la personne publique, à la demande du requérant, si l’illégalité le justifie et après avoir vérifié qu’une annulation ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général, de procéder à la résolution amiable du contrat ou, à défaut, de saisir le juge du contrat pour qu’il en prononce la nullité. L’annulation de l’acte détachable ne conduit pas nécessairement à celle du contrat puisque le juge ne doit prononcer une telle mesure qu’en cas d’illégalité d’une particulière gravité.

Les recours indemnitaires
Une entreprise évincée peut-elle demander réparation du préjudice subi du fait de son éviction irrégulière ?

Une entreprise évincée ou qui n’a pu faire acte de candidature ou déposer d’offre par suite d’une décision illégale peut demander la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière devant le juge administratif sauf, peut-on penser, si le contrat, bien qu’administratif, a été conclu dans le cadre d’un service public à caractère industriel et commercial. En pareille hypothèse, la compétence serait alors celle du juge judiciaire. Lorsque le requérant sollicite en même temps que la demande indemnitaire l’annulation ou la résiliation du contrat litigieux, cette demande s’insère dans le cadre d’un recours « Tropic ». Mais un recours indemnitaire peut être introduit indépendamment de ce type de recours.

Quelles sont les conditions pour engager la responsabilité de l’organisme adjudicateur ?

Lorsqu’un candidat évincé assortit son recours « Tropic » de demandes indemnitaires, la recevabilité des conclusions indemnitaires n’est pas soumise au délai de deux mois mais celles-ci doivent être motivées, chiffrées et faire l’objet d’une demande préalable auprès de l’administration. Que le recours indemnitaire soit présenté seul ou dans le cadre d’un recours « Tropic », il est nécessaire qu’un lien de cause à effet soit établi entre l’irrégularité et l’éviction : la responsabilité de l’organisme adjudicateur ne pourra être engagée que si l’illégalité a été de nature à disqualifier l’offre du requérant (cas d’une erreur manifeste d’appréciation dans l’analyse de l’offre, de critères de choix illégaux…). Dans tous les cas également, l’existence d’un préjudice doit être établie avec une certitude suffisante. Le juge administratif examine si l’entreprise évincée avait une chance ou non de remporter le contrat.

Quelles sont les indemnités auxquelles peut prétendre une entreprise évincée ?

La jurisprudence administrative fait dépendre l’étendue du préjudice indemnisable de son degré de certitude. Ainsi, une entreprise évincée qui n’aurait, de toutes les façons, pas été retenue, n’a droit à aucune indemnité. L’entreprise qui n’aurait pas été dépourvue de toute chance de remporter le contrat peut, en principe, espérer le remboursement des frais qu’elle a engagés pour présenter son offre. Enfin, dans le cas où elle avait des chances sérieuses, l’entreprise évincée a droit à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner calculé sur la base de la marge nette que l’entreprise aurait réalisée.

Ce qu’il faut retenir :

  • Le Conseil d’État a ouvert la possibilité pour les candidats évincés de la conclusion d’un contrat administratif soumis à une procédure de mise en concurrence d’en contester la validité devant le juge administratif, et le cas échéant, de solliciter l’indemnisation du préjudice qui en est résulté. Ce recours dit « Tropic » rend de peu d’intérêt le traditionnel recours contre les actes détachables. En revanche, le recours contre les actes détachables reste la seule voie contentieuse ouverte aux tiers autres que ceux ayant la qualité de candidat évincé.
  • Le recours « Tropic » s’exerce dans un délai de deux mois à compter de la réalisation des mesures de publicité appropriées. Doté de prérogatives importantes, le juge du contrat peut décider de résilier le contrat, modifier certaines clauses, poursuivre de l’exécution, octroyer une indemnisation en réparation des droits lésés ou, après avoir vérifié que l’annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l’intérêt général ou aux droits des cocontractants, annuler, totalement ou partiellement le contrat, le cas échéant avec un effet différé.
  • Une entreprise évincée peut exercer un recours indemnitaire – seul ou dans le cadre d’un recours « Tropic » – en vue d’obtenir réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de son éviction irrégulière. L’entreprise peut prétendre au remboursement des frais engagés ou, dans le cas où elle avait des chances sérieuses d’emporter le contrat, à l’indemnisation de l’intégralité du manque à gagner qu’elle a subi.

« Textes et jurisprudence de références » :

CE, Ass., 16 juillet 2007, Société Tropic Travaux Signalisation, n° 291145.
CE, avis, 11 avril 2012, Société Gouelle, n° 355456.
Fiche de la Direction des affaires juridiques du Ministère de l’Économie du 23 septembre 2011 sur les avis d’attribution.
TA Lyon, 4 octobre 2012, SIC Etanchéité, n° 1002733.
CE, avis, 11 mai 2011, Sté Rebillon Schmit Prevot, n° 347002.
CAA Lyon 15 novembre 2007, Mitrofanoff, n° 03LY00424.
CAA Bordeaux, 30 décembre 2008, Collectivité territoriale de Saint-Barthélémy, n° 07BX01983.
CE, 21 février 2011, Société Ophrys, n° 337349.
CE, 10 décembre 2012, Société Lyonnaise des eaux, n° 355127.
CE, 18 juin 2003, ETPO Guadeloupe, n° 249630.
CE, 8 février 2010, Commune de La Rochelle, n° 314075.

 

A propos des auteurs

François Tenailleau, avocat associé. Il intervient en droit public des affaires et notamment en matière de marchés publics et délégations de service public, de partenariats public-privé, de domanialité publique, d’aménagement, d’aides publiques et d’institutions publiques.

Thomas Carenzi, avocat. Il intervient en droit public des affaires et notamment en matière de de marchés publics et délégations de service public, de partenariats public-privé, de domanialité publique, d’aménagement, d’aides publiques et d’institutions publiques.

 

Fiche pratique 3/4 parue dans la revue Le Moniteur des Travaux Publics du 25 Janvier 2013

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