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Usufruitier de titres de participation : actionnaire ou pas ?

L’insoutenable légèreté de l’être de l’usufruitier de parts sociales. Le démembrement de propriété, en tant que technique d’optimisation de la gestion et de la transmission du capital, ce capital pouvant notamment être constitué de valeurs mobilières, connaît un succès non démenti depuis les années 90.

De nombreuses dispositions subordonnent l’application d’avantages fiscaux à des seuils de détention au capital d’entreprises. En cas de démembrement de propriété portant sur les titres en question, une telle condition de détention peut-elle être considérée comme remplie par le nu-propriétaire ou l’usufruitier ? Bien que le nu-propriétaire de titres semble a priori le mieux placé au plan fiscal pour être considéré comme l’actionnaire, on constate que ce statut est loin d’être harmonisé et varie dans différents domaines.

1. Ce que l’on sait : le nu-propriétaire a en principe le statut d’un actionnaire
La Cour de cassation a pris son parti depuis longtemps. Dès 1973, la 3e Chambre civile a jugé (5 juin 1973, n° 72-12634, Bull. Cass. p.291) qu’un nu-propriétaire de parts sociales a bien la qualité de « membre » de la société. Plus nettement encore, dans son arrêt De Gaste du 4 janvier 1994 (n°91-20256, Bull. Cass. IV n° 10 p.8), la Chambre commerciale jugeait, en dépit de statuts réservant à l’usufruitier le droit de participer et de voter à toutes les assemblées générales, que selon l’article 1844 du Code civil « aucune dérogation n’est prévue concernant le droit des associés et donc du nu-propriétaire de participer aux décisions collectives tel qu’il est prévu à l’alinéa 1er dudit article ». Elle a ensuite précisé que les statuts peuvent aménager la répartition légale du droit de vote entre usufruitier et nu-propriétaire, tant qu’il n’est pas dérogé au droit de celui-ci de participer aux décisions collectives (Cass. com. 22 février 2005 n° 03-17.421 (n° 261 F-D), Gérard c/ Gérard, RJDA 5/05, n° 555).

La Cour de cassation ne s’est cependant pas prononcée sur le statut de l’usufruitier. Le Conseil d’Etat l’a fait dans le cadre du régime des sociétés mères, par son arrêt Participasanh du 20 février 2012 (n° 321224, RJF 5/12 n° 454). L’article 145 du CGI permet aux sociétés mères de retrancher du bénéfice net les dividendes reçus de leurs filiales lorsqu’elles « détiennent des participations » satisfaisant notamment à la condition de représenter au moins 5 % du capital de la filiale. Or le Conseil d’Etat a considéré que le législateur avait entendu exclure du bénéfice de ce régime les sociétés ne détenant que l’usufruit des titres dont elles perçoivent des dividendes, au motif que « si la qualité d’usufruitier permet une participation aux éventuels bénéfices, elle ne confère pas à son titulaire des droits équivalents, notamment vis-à-vis du capital et de l’exercice du droit de vote, à ceux d’un propriétaire détenteur du titre ». A la différence de la Cour de cassation, le Conseil d’Etat s’est donc prononcé directement sur le statut de l’usufruitier, qui ne peut selon lui être assimilé à une personne détenant une participation. Et tandis que le Conseil d’Etat ne disait rien du statut du nu-propriétaire, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé qu’en cas de démembrement de titres, seul le nu-propriétaire peut se voir reconnaître la qualité d’associé au sens de la directive européenne dite « mère-fille » (CJUE, 22 décembre 2008, aff. C-48/07).

2. Ce que l’on sait moins : l’appréciation des seuils de détention lorsque les titres sont détenus en usufruit
Au vu des décisions précitées, on pourrait penser la question nettement tranchée : si l’usufruitier de droits sociaux n’est tout simplement pas considéré comme détenant une participation, il devrait logiquement en résulter que, pour l’application de l’ensemble des régimes de faveur subordonnés à la détention d’un seuil minimal ou maximal de participation au capital d’une société, le seuil ou la limite s’apprécient en considération des seuls droits du nu-propriétaire.

Mais, comme on va le voir, les choses ne sont pas si simples. Les parts et actions de sociétés sont considérées comme des biens professionnels, qui n’entrent pas dans l’assiette de l’ISF, lorsque leur « propriétaire » remplit certaines conditions exigeant notamment qu’il possède, avec son groupe familial, au moins 25 % des droits de vote attachés aux titres (article 885 O bis du CGI). Le terme de propriétaire laisserait penser qu’une personne qui ne détiendrait que l’usufruit de titres ne serait pas considérée comme répondant à cette condition de détention. Mais selon la loi, lorsqu’un redevable transmet la nue-propriété des titres en en conservant l’usufruit, il peut retenir la qualification professionnelle pour ces titres à hauteur de la valeur de la nue-propriété, aux conditions fixées par l’article 885 O quinquies du CGI. Conformément à ces conditions, c’est le nu-propriétaire qui exerce les fonctions de dirigeant au sein de la société, mais l’usufruitier qui est considéré comme ayant dans son patrimoine les biens professionnels que sont ces titres. On peut donc dire que dans ce cas c’est bien l’usufruitier qui peut être considéré comme l’actionnaire de la société émettrice.

En outre, dans le cas où les titres de la société dans laquelle l’associé exerce son activité sont détenus par une société intermédiaire, la valeur de la participation dans la holding peut être exonérée même s’il s’agit d’une participation en usufruit (BOI-PAT-ISF-30-40-30 n° 80).

L’administration ajoute même qu’« ont la qualité d’associé d’une S.A.R.L. les personnes qui possèdent des parts sociales de cette société, que ce soit en pleine propriété, en usufruit ou en indivision, pourvu dans ce dernier cas, qu’il y ait accord entre les indivisaires sur la désignation de celui d’entre eux qui est habilité à exercer les droits attachés aux titres » (BOI-PAT-ISF-30-30-30-10, n° 60). Or dans ce commentaire le nu-propriétaire n’est pas visé parmi les associés potentiels…

La réduction d’impôt sur le revenu accordée aux personnes qui souscrivent au capital de PME dans les conditions prévues à l’article 199 terdecies-0 A du CGI amène également à s’interroger sur le sort des titres qui feraient l’objet d’un démembrement de propriété. Ces dispositions prévoient notamment que « les souscriptions au capital de la société confèrent aux souscripteurs les seuls droits résultant de la qualité d’actionnaire et d’associé, à l’exclusion de toute autre contrepartie ». C’est donc l’actionnaire qui bénéficie de l’avantage fiscal, mais cette situation de principe est susceptible d’aménagements. Ainsi le législateur a prévu que les réductions précédemment obtenues ne sont pas remises en cause pour le souscripteur s’il fait donation des titres avant la fin du délai de conservation de cinq ans, à condition que le donataire reprenne l’obligation de conservation des titres. Et l’administration a ajouté qu’il en allait de même en cas de démembrement de propriété, que le souscripteur donne l’usufruit ou la nue-propriété des titres, à condition que donateur et donataire poursuivent tous deux l’engagement de conservation (BOI-IR-RICI-90-30, n°110). Dans ce cas particulier on ne peut déterminer si la qualité d’associé reste attachée au nu-propriétaire ou à l’usufruitier, mais c’est en tout cas au donateur que l’avantage fiscal continue de bénéficier, que celui-ci se soit constitué usufruitier des titres, ou qu’il ait au contraire transmis l’usufruit pour ne conserver que la nue-propriété.

La Cour administrative d’appel de Paris (n°11PA01053) a récemment rendu une décision qui, bien qu’elle concerne le régime d’avoir fiscal attaché aux dividendes perçus par les fondations et associations sans but lucratif qui a été abrogé à compter du 1er janvier 2005, apporte un éclairage intéressant sur le statut de l’usufruitier. La fondation requérante avait l’usufruit de titres de participation représentant 30 % du capital d’une SA. L’article 209 bis du CGI prévoyait à l’époque que la part de l’avoir fiscal excédant l’impôt dû était restituée à condition que l’organisme détienne moins de 10 % du capital de la société émettrice. La fondation faisait valoir, sur le fondement de la jurisprudence précitée relative au régime des sociétés mères, que l’usufruitier de titres n’est pas un actionnaire et ne peut donc être considéré comme détenant une participation capitalistique. Mais la Cour a considéré que la fondation détenait bien 30 % du capital de la société émettrice, en retenant que « la notion de « détention » des titres utilisée par le législateur, laquelle n’implique pas la qualité d’associé, ne désigne pas uniquement la pleine propriété des titres ». La Cour marque donc implicitement mais clairement qu’elle n’entendait pas assimiler l’usufruitier à un actionnaire.

La frontière est donc mince entre le propriétaire de titres de participation, qui est un actionnaire social, et l’usufruitier de titres, dont on peut dire qu’il n’est pas un associé et n’est pas propriétaire de ces titres, mais qui les « détient » tout de même. Une telle détention peut dans certains cas avoir les mêmes effets qu’une participation en pleine propriété, effets qui ne sont pas nécessairement défavorables à l’intéressé mais qui mériteraient d’être un peu plus prévisibles.

 

A propos de l’auteur

Eloïse Turot, avocat dans le service de la doctrine fiscale

 

Article paru dans la revue Option Finance du 2 avril 2013

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