L’évaluation des salariés : un pouvoir patronal reposant sur des méthodes objectives

22 octobre 2025
Le pouvoir d’évaluer les salariés est un pouvoir essentiel de l’employeur qu’il exerce dans des contextes variés : au cours de la relation de travail dans une optique de promotion ou de définition des besoins de formation ; sous l’angle de la poursuite du contrat de travail ou de son éventuelle rupture lorsque l’évaluation conduit à rompre la période d’essai ou à décider d’un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Régulièrement rappelé par la chambre sociale de la Cour de cassation, ce pouvoir patronal l’est à nouveau par un arrêt rendu le 15 octobre 2025 qui énonce que « l’employeur tient de son pouvoir de direction né du contrat de travail le droit d’évaluer le travail de ses salariés ».
Ce rappel a généralement pour objet de préciser corrélativement les conditions de son exercice : « la méthode d’évaluation des salariés [que l’employeur] retient doit reposer sur des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie » (Cass. soc., 15 octobre 2025, n°22-20.716, P).
Il n’y a là rien de nouveau. C’est une constante du droit du travail de canaliser l’exercice des pouvoirs de l’employeur par une exigence d’objectité afin de prévenir un risque d’arbitraire, voire une simple subjectivité qui fragilise l’autorité de la décision et l’expose à être, le cas échéant, contestée. L’objectivité de l’évaluation est, dans ces conditions, aussi bien une garantie de sûreté de la décision prise par l’employeur sur cette base qu’une attente légitime des salariés.
Mais que sont, de ce point de vue, des critères précis, objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie ? Si l’on perçoit intuitivement le sens de cette exigence, sa concrétisation est plus tangible en considérant ce que ne sont pas des critères précis, objectifs et pertinents.
L’arrêt du 15 octobre 2025 apporte, à ce sujet, des indications utiles en se penchant sur les critères d’une procédure d’évaluation, dite d’« entretien de développement individuel », qui comportait une partie principale portant sur le travail et les objectifs des salariés et une autre sur leurs compétences comportementales. Dans ce second volet, l’employeur appréciait les facultés d’adaptation des salariés, leur aptitude à s’intégrer dans une équipe ou à l’animer ainsi que leur potentiel d’évolution vers d’autres emplois dans l’entreprise et sondait à cet effet des aspects de la personnalité comme l’« optimisme », l’« honnêteté » et le « bon sens ».
Il ne surprendra pas que les juges n’ont pas admis que de telles qualités puissent être prises en compte dans une évaluation professionnelle dont la finalité première est de mesurer les aptitudes professionnelles des salariés. Leur impéritie pour juger de compétences comportementales ne manque pas de raisons qui ont été mises en avant. Les juges ont estimé que les qualités examinées ont une connotation moralisatrice qui rejaillit sur la sphère personnelle des salariés, qu’elles sont trop vagues et imprécises pour établir un lien direct et nécessaire avec l’activité des salariés en vue d’apprécier leurs compétences au travail et, enfin, qu’elles prêtent à une approche subjective de la part de l’évaluateur, qui manque en outre de transparence.
Si l’on peut discuter l’une ou l’autre de ces observations, on doit reconnaître qu’elles sont globalement justes pour faire ressortir que des critères tirés de l’« optimisme », de l’« honnêteté » et du « bon sens » des salariés ne sont pas des critères objectifs et pertinents au regard de la finalité poursuivie, qui était en l’occurrence de déceler des compétences comportementales en groupe.
Peu importe que cette appréciation ne concerne qu’une partie de la procédure d’évaluation mise en place par l’entreprise. C’est un autre enseignement de l’arrêt. Dès lors que la partie du dispositif qui ne repose pas sur des critères pertinents ne peut être considérée comme secondaire ou accessoire, c’est l’ensemble du processus d’évaluation qui est contaminé et doit être déclaré illicite.
Il pourrait du coup être admis, à l’inverse, que, lorsque le segment du processus d’évaluation faisant appel à des critères laissés à l’appréciation subjective de l’employeur est mineur et n’a pas réellement d’incidence sur l’évaluation globale des salariés et que celle-ci permet bien de mesurer, objectivement, leurs aptitudes professionnelles, seule la partie du dispositif faisant intervenir des critères non pertinents est illicite et doit cesser d’être appliquée par l’employeur.
Seulement, l’arrêt met en garde contre une approche qui serait strictement quantitative lorsque, en présence de nombreux critères et de sous-critères, il n’est pas possible de connaître la proportion exacte dans laquelle les uns et les autres entrent en ligne de compte, ni de savoir s’il existe un certain équilibre entre les critères comportementaux et les critères d’appréciation purement techniques. En pareil cas, l’incertitude quant à la garantie d’un système suffisamment objectif et impartial affecte la fiabilité du dispositif dans son ensemble et justifie que son emploi soit interdit à l’employeur.
L’objectivité requise ne souffre pas, autrement dit, l’approximation ou le doute.
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