L’extension du passeport talent aux joueurs professionnels de jeux vidéo et à leurs entraineurs
5 octobre 2023
Par une instruction interministérielle en date du 15 mai 2023 (1), le Gouvernement a étendu l’ouverture du droit au passeport talent «renommée internationale» aux joueurs et entraineurs eportifs étrangers.
Dans un contexte où la France accueillera, dans la foulée des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, l’Olympic Esports Week en France fin 2024, cette extension attendue pourrait favoriser la compétitivité et l’attractivité de l’esport français.
Présentation du passeport talent
Le passeport talent est un titre de séjour pluriannuel pour motif professionnel prévu par les articles L.421-7 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Il permet à certains étrangers non-européens de travailler en France pendant plusieurs années et notamment à des salariés qualifiés, des salariés en mission, des chercheurs ou encore des étrangers de renommée internationale.
L’article L.421-21 du CESEDA prévoit ainsi que l’étranger, dont la renommée nationale ou internationale est établie ou susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, à l’aménagement du territoire ou au rayonnement de la France et qui vient y exercer une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, artisanal, intellectuel, éducatif ou sportif peut se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant la mention «passeport talent» d’une durée maximale de quatre ans.
Présentation du passeport talent destiné aux étrangers de renommée internationale
Tel que rédigé, l’article L.421-21 du CESEDA ne permet pas à des esportifs de bénéficier du passeport talent.
Or, depuis de nombreuses années, le souhait de les intégrer dans le champ de ce texte a été sans cesse renouvelé (2).
Ce vœu sera finalement exaucé en 2023.
En effet, après avoir annoncé des actions majeures pour l’esport le 16 janvier 2023, le Gouvernement a demandé aux services consulaires et préfectoraux, au moyen d’une instruction interministérielle du 15 mai 2023, de considérer que l’article L.421-21 du CESEDA doit être interprété comme ouvrant droit au passeport talent «renommée internationale» à un joueur ou à un entraîneur esportif étranger.
Cette instruction vise l’esportif dont la renommée nationale ou internationale est établie ou qui est susceptible de participer de façon significative et durable au développement économique, à l’aménagement du territoire ou au rayonnement de la France, au même titre que l’exercice d’une activité dans un domaine intellectuel et sportif (3).
Au-delà de la démarche de reconnaissance de l’esport, cette nouveauté a vocation à accélérer la compétitivité des équipes situées sur le territoire français, en simplifiant le recrutement de joueurs étrangers au continent européen (4) tout en facilitant l’organisation de compétitions en France.
De potentielles difficultés liées à la renommée de la pratique esportive
Aux termes de l’article L.421-21 précité, deux conditions cumulatives doivent être remplies par l’étranger souhaitant se prévaloir de ce texte :
♦ il doit exercer en France une activité dans un domaine scientifique, littéraire, artistique, artisanal, intellectuel, éducatif ou sportif ;
♦ il doit prouver qu’il dispose d’une renommée nationale ou internationale établie ou qu’il est susceptible de participer, de façon significative et durable, au développement économique, à l’aménagement du territoire ou au rayonnement de la France.
Grâce à l’instruction précitée, la première condition pourrait être aisément remplie pour l’esportif ou l’entraîneur dès lors qu’il est en mesure de fournir le contrat le liant à la structure au sein de laquelle il s’est engagé (5) pour une longue période.
En ce qui concerne la seconde condition, celle-ci devrait être plus difficilement démontrable en pratique.
Afin de la prouver, l’étranger devra fournir de nombreux documents auprès de l’Administration.
Pour ce faire, pourraient être communiqués des éléments permettant de prouver sa reconnaissance par ses pairs, sa participation à des salons, festivals et/ou compétitions ou encore l’obtention de prix majeurs. Il pourrait également se prévaloir de sa notoriété sur des plateformes de streaming spécialisées (6).
Au regard de ces éléments, l’autorité administrative devra déterminer si l’esportif est reconnu dans le jeu vidéo qu’il pratique de manière professionnelle.
Or, à l’image du sport traditionnel où certaines pratiques sont mondialement connues (comme le football ou le rugby) alors que d’autres sont très confidentielles (à l’instar du chessboxing ou du footgolf), certains jeux vidéo sont plus célèbres que d’autres.
Ainsi, si un esportif jouant sur League of Legends, Counter-Strike ou encore Rocket League pourrait rencontrer moins de difficultés pour justifier de sa renommée s’il a fait partie d’une équipe à succès ou s’il a participé et remporté des compétitions importantes, la difficulté devrait être bien plus grande pour celui pratiquant un jeu méconnu auprès du grand public européen.
Dans un monde vidéoludique où le nombre de jeux vidéo créés chaque année se compte par centaines et où les compétitions esportives se démultiplient, l’Administration risque de rencontrer quelques difficultés pour apprécier ce dernier critère.
AUTEURS
Matthieu Beaumont, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
Paul Letartre, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats
(1) Publiée au Bulletin officiel de l’administration centrale du 23 juin 2023
(2) A titre d’exemple, dans leur «Rapport concernant la pratique compétitive du jeu vidéo» de 2016, le député Rudy Salles et le sénateur Jérôme Durain ont évoqué la possibilité de délivrer le passeport talent aux esportifs les plus renommés souhaitant exercer leur pratique depuis la France. Néanmoins, la loi du 7 octobre 2016 pour une République numérique, qui a permis une reconnaissance législative de l’esport, n’a pas tenu compte cette proposition. Depuis, l’esport n’a eu de cesse de se développer. Le Gouvernement a notamment mis en place en 2019 une stratégie pour le secteur dénommée «Stratégie nationale esport 2020-2025».
(3) Caractère protéiforme de la pratique relevé par Monsieur Nicolas Besombes dans la revue Jurisport d’avril 2018 (Jurisport 185, Avril 2018, «Sport et Esport : Une comparaison récurrente à déconstruire»)
(4) Les équipes devront alors s’interroger sur l’opportunité d’utiliser ce dispositif en fonction de leurs pratiques et de leurs contraintes (entraînements et compétitions en présentiel ou en ligne).
(5) Une attention toute particulière devra être apportée à sa rédaction. Le contrat devrait notamment traiter de la nature, de l’objet ou encore de la durée du projet en France.
(6) Twitch, Kick ou encore Youtube, permettant de justifier du nombre de spectateurs, du nombre d’abonnés et du nombre d’heures visionnées.
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