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L’expert du CSE ne dispose pas d’un droit d’audition des salariés

L’expert du CSE ne dispose pas d’un droit d’audition des salariés

Depuis plusieurs mois, la Cour de cassation encadre progressivement les prérogatives de l’expert-comptable du comité social et économique (CSE).

 

Après avoir décidé que sa mission, à l’occasion de la consultation du CSE sur la situation économique et financière de l’entreprise, demeure circonscrite à l’année qui fait l’objet de la consultation et aux deux années qui la précèdent (1), la Haute juridiction limite à nouveau les prérogatives de cet expert, cette fois-ci lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise.

 

Ainsi, par un arrêt en date du 28 juin 2023, elle juge pour la première fois que l’expert ne dispose d’aucun pouvoir d’audition ou d’interrogation des salariés : s’il souhaite organiser des entretiens avec ceux-ci, il doit préalablement recueillir l’accord exprès de l’employeur et des salariés concernés (2).

 

Recours par le CSE à un expert financé par l’employeur

 

A l’occasion de ses consultations récurrentes (situation économique et financière, orientations stratégiques de l’entreprise et politique sociale), le CSE peut recourir à l’assistance d’un expert-comptable (3).

 

Les frais d’expertise sont alors pris en charge par l’employeur (4).

 

Il est très fréquent que l’expert considère que sa mission implique l’audition d’une multitude de salariés au cours d’entretiens parfois chronophages. La tenue de ces derniers augmente alors très sensiblement le coût de l’expertise.

 

Tel était le cas dans la situation examinée par la Cour de cassation. Dans cette affaire, l’expert missionné par le CSE dans le cadre de sa consultation sur la politique sociale de l’entreprise entendait s’entretenir avec 25 salariés au cours d’entretiens d’une durée d’une heure et demie chacun, représentant globalement cinq à six jours d’entretiens…

 

Dans l’espoir de limiter le coût de l’expertise, l’employeur a contesté judiciairement la possibilité pour l’expert de lui imposer ces entretiens.

 

Impossibilité pour l’expert d’imposer la tenue d’entretiens à l’employeur et aux salariés

 

Dans sa décision du 28 juin 2023, la Cour de cassation a tout d’abord rappelé qu’en vertu des textes applicables, l’expert peut librement circuler dans l’entreprise et que l’employeur doit lui fournir les informations nécessaires à sa mission (5).

 

En revanche, aucun texte ne prévoit la possibilité pour l’expert d’auditionner les salariés de l’entreprise.

 

Aussi, la Cour de cassation précise-t-elle que si l’expert-comptable considère que l’audition de certains collaborateurs de l’entreprise est utile à l’accomplissement de sa mission, il ne peut y procéder qu’à la condition d’obtenir l’accord exprès de l’employeur et des intéressés.

 

Par suite, en l’absence d’un tel accord, et plus encore en cas d’opposition de l’employeur, l’expert-comptable ne peut procéder aux auditions. L’honoraire prévisionnel présenté par celui-ci doit en conséquence être réduit de la durée prévue pour ces entretiens. Ce retraitement conduira en pratique à une réduction significative du coût de l’expertise.

 

Une réduction potentielle du coût des expertises menées par l’expert-comptable du CSE…

 

Au-delà des consultations récurrentes, le Code du travail organise également dans différentes hypothèses (6) l’assistance du CSE par un expert dont les frais sont, au moins pour partie, pris en charge par l’employeur.

 

Les pouvoirs d’investigation de l’expert sont alors, quel que soit le motif de sa désignation, définis par les deux mêmes textes : l’article L.2315-82 du Code du travail dispose que «les experts ont libre accès dans l’entreprise pour les besoins de leur mission», quand l’article L.2315-83 oblige «l’employeur [à fournir] à l’expert les informations nécessaires à l’exercice de sa mission».

 

Or, selon la Cour de cassation, ces textes n’autorisent pas l’expert à auditionner, sans l’accord de l’employeur, des salariés de l’entreprise.

 

Cette solution devrait ainsi pouvoir être étendue à l’ensemble des expertises «légales» sollicitées par le CSE et ce, peu important que l’expert les réalisant soit un expert-comptable ou un expert «habilité» (ancien expert CHSCT).

 

Dès lors, la pratique des auditions de salariés de l’entreprise devrait être prohibée pour les trois consultations récurrentes prévues par le Code du travail (outre celle sur la politique sociale, les consultations sur la situation économique et sur les orientations stratégiques) mais également pour les autres missions pouvant être confiées par le CSE à un expert-comptable (en cas de plan de sauvegarde de l’emploi, d’opération de concentration, etc.).

 

… qui devrait s’étendre aux missions confiées aux experts habilités

 

Cette interdiction devrait en toute rigueur être étendue aux interventions de l’expert habilité désigné sur le fondement de l’article L.2315-94 du Code du travail (en cas de risque grave dans l’établissement ou de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail).

 

C’est précisément pour ce dernier type d’expertise que l’arrêt ici commenté peut engager les conséquences les plus significatives.

 

Ces dernières années ont vu se généraliser des pratiques consistant pour les experts habilités à exiger, quel que soit le sujet de leur expertise, le concours de très nombreux collaborateurs de l’entreprise au moyen d’entretiens individuels ou collectifs, voire de sondages (justifiant la facturation de très nombreuses journées ou dizaines de journées de mission).

 

De telles démarches sont à proscrire désormais et, sous réserve de la confirmation de cette solution par la Cour de cassation, les employeurs pourront utilement les contester afin de réduire les coûts parfois faramineux qu’elles génèrent.

 

On ne peut dans ces conditions qu’inviter les employeurs à étudier avec la plus grande attention les lettres de mission qui leur seront adressées à l’avenir par les experts du CSE, que ce soit dans le cadre des consultations récurrentes ou de projets ponctuels.

 

Ils pourront alors réclamer la déduction des honoraires prévisionnels présentés du temps passé à tout entretien avec des collaborateurs qui n’aurait pas été accepté par l’employeur.

 

Une réduction du coût des expertises menées dans le cadre des trois consultations annuelles peut même être espérée si des entretiens étaient par le passé facturés par l’expert.

 

Il sera rappelé à cet égard que lorsqu’il entend contester le coût prévisionnel, l’étendue ou la durée de l’expertise, l’employeur doit saisir le tribunal judiciaire dans un délai de 10 jours à compter de la notification qui lui en a été faite par l’expert.

 

AUTEURS

Damien Decolasse, Avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats

Matthieu Beaumont, Avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

 

 (1) Cass. soc., 1er juin 2023, n°21-23.393 ; Etendue de la mission de l’expert-comptable du CSE lors de la consultation sur la situation économique et financière de l’entreprise (Damien Decolasse et Matthieu Beaumont)

(2) Cass. soc., 28 juin 2023, n° 22-10.293 ; Consultation sur la politique sociale de l’entreprise : précisions sur les prérogatives de l’expert-comptable

(3) Le droit à expertise du comité social et économique (Damien Decolasse et Matthieu Beaumont)

(4) Prise en charge intégrale pour les consultations sur la situation économique et financière et la politique sociale. Prise en charge à 80 % pour la consultation sur les orientations stratégiques de l’entreprise, le solde étant à la charge du CSE.

(5) C. trav., art. L.2315-82 et L.2315-83

(6) Voir ci-après

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