L’impact des crédits d’impôt sur la réserve spéciale de participation : la fin de la controverse ?
18 novembre 2015
Par un avis du 14 septembre 2015, la Cour de cassation a précisé que les différents crédits d’impôt dont bénéficie l’entreprise n’ont pas à être pris en compte pour calculer le bénéfice net servant à déterminer le montant de la réserve spéciale de participation.
La Cour de cassation met ainsi un terme à une longue controverse qui aura mobilisé les plus hautes juridictions françaises dont le Conseil d’état et le Conseil constitutionnel.
A l’origine de la controverse : le crédit d’impôt recherche
En application de l’article L 3324-1 du Code du travail, les entreprises soumises au régime de la participation des salariés sont tenues de constituer une réserve spéciale de participation dont le montant est calculé à partir du bénéfice net entendu comme le bénéfice «tel qu’il est retenu pour être imposé à l’impôt sur le revenu ou aux taux de l’impôt sur les sociétés (…) diminué de l’impôt correspondant».
C’est la notion «d’impôt correspondant» qui est à l’origine de la controverse. Plus précisément la question posée était de savoir si la notion d’impôt correspondant visait l’impôt théorique avant déduction du crédit d’impôt recherche ou au contraire l’impôt effectif après déduction du crédit d’impôt recherche.
L’enjeu était loin d’être théorique car retrancher le crédit d’impôt recherche du montant de l’impôt revenait de facto à augmenter le bénéfice net et donc le montant de la réserve spéciale de participation.
Or, l’objectif du crédit d’impôt recherche est d’inciter les entreprises à investir massivement dans la recherche afin d’améliorer leur compétitivité et non d’augmenter artificiellement la participation.
La doctrine administrative fiscale ne partageait pas cette analyse.
C’est ainsi que la doctrine de base précisait historiquement que «l’impôt sur les sociétés retenu pour le calcul de la réserve s’entend, en outre, après imputation de tous crédits ou avoirs fiscaux afférents aux revenus inclus dans le bénéfice imposable au taux de droit commun» (4 N-1121 n°43 à jour au 30 août 1997).
S’agissant du crédit d’impôt recherche, elle ajoutait que «doit être également déduit de l’impôt retenu pour le calcul de la réserve le crédit d’impôt assis sur l’accroissement annuel des dépenses de recherche effectuées par les entreprises industrielles et commerciales (CGI, art. 244 quater B)».
A l’occasion d’un rescrit 2010/23 du 13 avril 2010, l’Administration confirmait cette analyse en considérant que les sociétés en situation bénéficiaire ayant obtenu à l’issue de l’exercice clos en 2008 ou en 2009 le remboursement de la fraction du crédit d’impôt recherche excédant l’impôt sur les sociétés de l’exercice, non seulement n’ont aucun impôt à retrancher de leur résultat fiscal pour le calcul de la participation, mais doivent ajouter à ce résultat fiscal la partie du crédit d’impôt qui leur est remboursée, formant pour elles un «impôt négatif».
C’est dans ces circonstances que le Conseil d’état a été saisi d’une requête visant à l’annulation de la doctrine administrative.
La décision du Conseil d’état du 20 mars 2013
Par une décision en date du 20 mars 2013, le Conseil d’état jugeait que pour l’application des dispositions de l’article L 3324-1 du Code du travail «l’impôt correspondant au bénéfice que l’entreprise a réalisé au cours d’un exercice déterminé, qui doit être retranché de ce bénéfice, ne peut s’entendre que de l’impôt sur les sociétés, au taux de droit commun, résultant des règles d’assiette et de liquidation qui régissent ordinairement l’imposition des bénéfices ; que dans le cas où une entreprise bénéficie de crédits d’impôt imputables sur le montant de cet impôt, il n’y a pas lieu, par suite, de tenir compte du montant de ces crédits». (CE 20-3-2013 n°347633, Sté Etudes et Productions Schlumberger).
L’Administration a alors tenté de riposter à la décision du Conseil d’état au travers de la loi de finances rectificative pour 2013 qui consacrait le principe de la déduction du montant des différents crédits d’impôt (à l’exception du CICE) de l’impôt retenu pour le calcul de la participation. L’article 39 de la loi de finances rectificative pour 2013 a néanmoins été censuré par le Conseil constitutionnel sur ce point (Cons, const. du 29 décembre 2013).
L’administration fiscale s’est donc finalement ralliée à la position du Conseil d’Etat et, a, à ce titre, modifié sa doctrine le 5 septembre 2014 (BOI-BIC-PTP-10-10-20-10- 20140905).
La position de la Cour de Cassation
Avant la décision du Conseil d’état du 20 mars 2013, plusieurs juridictions civiles avaient été saisies de litiges relatifs à la prise en compte du Crédit d’impôt recherche dans le calcul de la participation à l’initiative de comités d’entreprise ou d’organisations syndicales.
C’était le cas du TGI de Bourgoin-Jallieu qui a décidé de solliciter l’avis de la Cour de cassation concernant les modalités de fixation du bénéfice net et notamment l’imputation ou non du crédit d’impôt recherche sur le montant de l’impôt des sociétés.
Dans son avis, la Cour de cassation a choisi de se rallier à la position du Conseil d’état en affirmant que «l’impôt qui doit être retranché ne peut s’entendre que de l’impôt sur les sociétés, au taux de droit commun, résultant des règles d’assiette et de liquidation qui régissent ordinairement l’imposition des bénéfices ; que, dans le cas où une entreprise bénéficie de crédits d’impôt imputables sur le montant de cet impôt, il n’y a pas lieu, par suite, de tenir compte du montant de ces crédits.»
L’utilisation du pluriel («ces crédits») et la formulation générale de l’avis traduisent la volonté de la Cour de couvrir les différents crédits d’impôt. Cela est d’autant plus logique au regard des fondements invoqués par la Cour dans la note explicative jointe à l’avis.
Ainsi, cette note souligne que la solution de la Cour de cassation s’appuie sur trois fondements distincts. Elle précise tout d’abord que la solution est justifiée au regard de l’article L.3324-1 du Code du travail qui fait référence à l’impôt correspondant à un bénéfice imposable, renvoyant à un impôt calculé aux taux usuels et non à un crédit d’impôt sans lien avec le bénéfice.
De même, elle rappelle qu’en application des règles fiscales, le crédit d’impôt n’est pas considéré comme une modalité de diminution mais plutôt comme une modalité de paiement de l’impôt.
Enfin, elle souligne la divergence d’objectifs et de finalité existant entre la réserve spéciale de participation et le crédit d’impôt.
Elle reprend ainsi à son compte un argument développé par le rapporteur public à l’occasion de la décision du Conseil d’état du 20 mars 2013 qui rappelait que le crédit d’impôt recherche vise à inciter les entreprises à développer leur effort de recherche et développement en leur attribuant une créance fiscale égale à une partie des sommes qu’elle leur consacre. Il n’a pas vocation à bénéficier aux salariés au travers d’une hausse de la base de calcul de la participation.
Auteur
Thierry Romand, avocat associé en droit social.
L’impact des crédits d’impôt sur la réserve spéciale de participation : la fin de la controverse ? – Article paru dans Les Echos Business le 16 novembre 2015
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