L’impossibilité de reclasser le salarié licencié pour motif économique
23 mars 2015
La preuve de l’impossibilité de reclasser le salarié est allégée : l’employeur peut se suffire de l’absence de poste disponible avérée par le registre du personnel.
Il résulte des dispositions de l’article L. 1233-4 du Code du travail que «le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi de catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l’entreprise, étant entendu que les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises».
Cette obligation de reclassement individuel à l’égard de chaque salarié s’impose à l’employeur quel que soit le nombre de licenciements envisagés et les effectifs de l’entreprise.
Les possibilités de reclassement doivent s’apprécier à la date où les licenciements sont envisagés, le reclassement devant intervenir avant la notification du licenciement.
Un manquement à l’obligation préalable de reclassement qui pèse sur l’employeur prive le licenciement économique ensuite prononcé de cause réelle et sérieuse.
L’obligation de reclassement interne est une obligation de moyen qui doit être exécutée loyalement par l’employeur. Ce dernier doit donc tout mettre en œuvre pour tenter de reclasser le salarié, mais il ne saurait lui être reproché de ne pas avoir réussi à le reclasser lorsque cela s’avère impossible.
La preuve de l’impossibilité de reclasser est difficile à établir, dès lors que le juge ne se satisfait pas du simple constat de l’absence de poste disponible, mais attend de l’employeur qu’il démontre avoir tout tenté (par exemple démarche de reclassement auprès de la branche professionnelle, des sous-traitants, des partenaires commerciaux, du pôle emploi, etc.) pour reclasser le salarié.
Ainsi, et dans les petites et moyennes entreprises, nombreux sont les employeurs qui bien que connaissant d’importantes difficultés économiques, sont sanctionnés sur le terrain de l’obligation de reclassement, le juge relevant des défaillances en matière de reclassement alors même que l’employeur démontre que tous les emplois au sein de la société étaient occupées à l’époque du licenciement (et donc indisponibles au reclassement).
Par une jurisprudence du 2 juillet 2014, la Cour de cassation pose le principe selon lequel «il n’y a pas de manquement à l’obligation de reclassement si l’employeur justifie de l’absence de poste disponible, à l’époque du licenciement, dans l’entreprise, ou s’il y a lieu dans le groupe auquel elle appartient» (Soc., 2 juillet 2014 n°13-12.048).
Ce principe modifie le rôle du juge du fond dans l’appréciation de l’impossibilité de reclasser le salarié licencié pour motif économique : le juge doit se suffire de la vérification la réalité de l’absence de poste disponible à l’époque du licenciement. Un examen du registre des entrées et des sorties du personnel dans la période concomitante au licenciement devrait donc suffire sans que le juge ait à apprécier le caractère suffisant ou insuffisant des recherches de reclassement effectuées par l’employeur.
A la lecture du registre du personnel, si le juge constate que tous les postes (susceptibles d’être proposés au reclassement) sont occupés à l’époque du licenciement, il doit considérer que l’employeur se trouve alors dans une situation d’impossibilité objective de reclasser le salarié licencié pour motif économique.
Ce principe a été confirmé par la suite (Soc., 19 novembre 2014 n°13-18.336), un arrêt récent de la Cour de cassation étant même plus explicite en reprochant au juge du fond de ne pas avoir constaté cette impossibilité objective de reclasser au regard du contenu du registre du personnel versé aux débats par l’employeur (Soc., 28 janvier 2015 n°13.21444).
Il est intéressant de relever qu’à chaque fois, la chambre sociale a rendu une décision venant casser un arrêt d’appel dans lequel le juge du fond – bien que relevant que l’employeur ne disposait d’aucun poste disponible – caractérisait des insuffisances dans la recherche du reclassement pour sanctionner l’employeur et octroyer une indemnisation au salarié.
C’est dire qu’il faut s’attendre à la résistance des juges du fond… et que l’on trouvera encore des conseils de prud’hommes et des juridictions d’appel pour condamner des entreprises qui auront pourtant communiqué des registres du personnel établissant l’absence de poste disponible !
Auteurs
Jean-Claude Anisten, avocat associé en droit social
Julien Hamon, avocat en droit social
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