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Maroc : l’enjeu fiscal des prix de transfert, ce qu’il faut savoir et ce qui change

Maroc : l’enjeu fiscal des prix de transfert, ce qu’il faut savoir et ce qui change

Comme dans de nombreux pays, au Maroc la fixation des prix de transfert par les sociétés internationales est l’objet de fréquentes divergences d’interprétation avec l’administration fiscale. Et donc de redressements, parfois lourds.

En exclusivité pour L’Usine Nouvelle Maroc, les experts de CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc font le point sur l’état du droit et les règles à suivre pour limiter ce risque. Et sur les nouveautés en la matière de la Loi de finance 2015, notamment la notion « d’accord préalable« .

Les prix de transfert peuvent être définis d’une manière générale, comme les prix associés aux transferts de biens, de services ou d’incorporels entre sociétés d’un même groupe, situées dans des pays différents. Ils peuvent être utilisés comme un levier permettant d’affecter à telle ou telle entité du groupe une part plus ou moins grande du résultat fiscal d’ensemble et par conséquent de soumettre ces résultats à des taux d’imposition différents.

Au Maroc, les prix de transfert font quasi-systématiquement l’objet d’un redressement lors des contrôles fiscaux de sociétés ou succursales membres de groupes multinationaux. De fait, on observe que l’administration fiscale a tendance à rehausser les bases taxables des contribuables pour des montants significatifs. Le paiement de «management fees», le versement de redevances ou encore le niveau des prix d’achat de marchandises sont ainsi fréquemment remis en cause par l’administration fiscale dans le cadre des procédures de vérification de comptabilité.

Cadre légal et règlementaire

Les règles applicables au Maroc en matière de prix de transfert sont contenues dans le Code Général des Impôts (CGI). L’article 213 II du CGI prévoit ainsi que lorsqu’une entreprise a directement ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées au Maroc ou hors du Maroc, les bénéfices indirectement transférés, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d’achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont rapportés au résultat fiscal et/ou au chiffre d’affaires déclarés.

En vue de cette rectification, les bénéfices indirectement transférés sont déterminés par comparaison avec ceux des entreprises similaires ou par voie d’appréciation directe sur la base d’informations dont dispose l’Administration.

Le dispositif «prix de transfert» au Maroc présente donc des particularités en comparaison d’autres législations ou réglementations comparables, en ce sens qu’il vise tout autant les transactions réalisées entre entreprises marocaines dépendantes que les transactions réalisées entre entreprises étrangères et marocaines dépendantes.

L’article 214 III du CGI dispose quant à lui que l’Administration peut demander à l’entreprise imposable au Maroc communication des informations et documents relatifs :

  • à la nature des relations liant l’entreprise imposable au Maroc à celle située hors du Maroc ;
  • à la nature des services rendus ou des produits commercialisés ;
  • à la méthode de détermination des prix des opérations réalisées entre lesdites entreprises et les éléments qui la justifient ;
  • aux régimes et aux taux d’imposition des entreprises situées hors du Maroc.

La Note Circulaire n°717 publiée le 24 mai 2011 par la Direction Générale des Impôts précise que les transferts indirects de bénéfices entre sociétés dépendantes peuvent résulter de pratiques variées, telles que :

  • la majoration des prix d’achat de biens et services importés ou acquis localement ;
  • la minoration des prix de vente des biens et services exportés ou vendus localement ;
  • la pratique de taux d’intérêts réduits ou majorés ;
  • la pratique des prix excessifs pour les redevances et autres rémunérations ;
  • la prise en charge des frais de gestion excessifs ou fictifs.

Loi de finances 2015 : introduction de la La procédure d’accord préalable

La notion de prix de transfert a à nouveau fait l’objet d’une attention particulière de la part du législateur à l’occasion de la dernière Loi de finances. En effet, l’article 6 de la Loi de finances pour 2015 a introduit la possibilité pour le contribuable d’engager avec l’administration des impôts une «Procédure d’accord préalable sur les prix de transfert». En d’autres termes, il est désormais possible de solliciter de manière officielle un rescrit sur cette question de la part des autorités fiscales marocaines.

L’accord préalable (APP) peut être défini comme un accord conclu entre le contribuable et la ou les autorité(s) fiscale(s) compétente(s), permettant à une entreprise multinationale, par la détermination concertée d’une méthode de prix de transfert, de s’assurer que les prix pratiqués dans ses relations industrielles, commerciales et financières intragroupe sont conformes au principe de pleine concurrence.

En théorie, un APP peut porter soit sur l’ensemble des transactions entre les entreprises liées, soit, à la demande du contribuable, ne concerner qu’un segment d’activité, une fonction, voire un seul produit ou type de transaction.

Au cas particulier, le texte de loi dispose que :

«les entreprises ayant directement ou indirectement des liens de dépendance avec des entreprises situées hors du Maroc, peuvent demander à l’administration fiscale de conclure un accord préalable sur la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214–III ci-dessus pour une durée ne dépassant pas quatre exercices».

Il s’agit donc là d’une procédure unilatérale, par opposition aux procédures bilatérales, qui impliquent l’accord des autorités fiscales de l’Etat où est établie l’entreprise située hors du Maroc.

Cette nouvelle opportunité semble répondre à un double objectif. En approuvant la politique de prix de transfert appliquée par les filiales marocaines des grands groupes multinationaux, l’Etat espère s’assurer un revenu taxable, et ce pour quatre exercices.

Par ailleurs, le dispositif s’inscrit dans la continuité des avancées relatives au besoin de sécurité juridique et fiscale tant réclamé par les contribuables. En effet, le projet de Loi de finances précise que «L’Administration ne peut remettre en cause la méthode de détermination des prix des opérations mentionnées à l’article 214–III ci-dessus ayant fait l’objet d’un accord préalable avec une entreprise conformément aux dispositions de l’article 234 bis ci-dessus»

Pour autant, la signature d’un APP avec l’administration des impôts ne saurait être vue comme une garantie absolue contre tout redressement fiscal. En effet, une remise en cause a posteriori peut être opérée en cas de non-respect des termes du contrat.

Ainsi, l’accord est considéré comme nul et de nul effet depuis sa date d’entrée en vigueur dans les cas suivants : «présentation erronée des faits, dissimulation d’informations, erreurs ou omissions imputables à l’entreprise, non-respect de la méthode convenue et des obligations contenues dans l’accord par l’entreprise ou usage de manœuvres frauduleuses

Les modalités de conclusion dudit accord seront fixées par voie réglementaire. Il est toutefois possible d’anticiper la forme que prendra la procédure en observant ce qui se fait dans d’autres pays.

En pratique, le processus comporte généralement plusieurs étapes :

  1. les demandes d’APP sont introduites à l’initiative du contribuable auprès de l’autorité fiscale compétente, quelques mois avant l’ouverture de l’exercice au titre duquel ces APP ont vocation à s’appliquer pour la première fois ;
  2. une réunion préliminaire peut se tenir pour s’accorder sur l’opportunité de la demande et les conditions dans lesquelles l’accord peut être demandé et instruit (« discussion paper »);
  3. l’Administration prend ensuite position sur la méthode de détermination des prix de transfert par le contribuable, et l’en informe par écrit ;
  4. une fois l’APP conclu, il est de rigueur que le contribuable se voit demander de produire un rapport annuel afin de vérifier la conformité des méthodes pratiquées aux termes de l’accord.

Les imites à l’accord préalable

Dans sa forme actuelle, le texte comporte néanmoins quelques limites. Par exemple, le dispositif n’est envisagé que de manière unilatérale, c’est-à-dire sans concertation aucune avec les autres administrations fiscales concernées (et ce, malgré les récentes avancées en matière de procédures de coopération). Autrement dit, rien ne garantit que l’administration fiscale dont dépend l’entreprise située hors du Maroc suive la position retenue dans l’APP marocain. Le risque de rehaussement de la base taxable n’est donc pas éliminé au niveau du groupe.

Enfin, n’oublions pas que la contrepartie de la sécurité juridique que confère l’APP est constituée par un engagement de transparence totale du contribuable qui doit dévoiler sa politique de prix de transfert à l’administration fiscale. Cette transparence n’est pas sans risque en cas de désaccord d’interprétation, dans la mesure où il ne peut alors être exclu que l’administration fiscale marocaine procède pour le passé à des redressements, qui pourraient être assortis de pénalités pour mauvaise foi.

Dans ces conditions, un audit approfondi de la politique de prix de transfert appliquée par l’entité marocaine semble constituer un préalable indispensable pour tout contribuable désireux de se lancer dans un programme APP.

 

Auteurs

Marc Veuillot,, avocat, responsable CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc

Cédric Mahéo, fiscaliste, équipe Afrique, CMS Bureau Francis Lefebvre Maroc

 

*Maroc : l’enjeu fiscal des prix de transfert, ce qu’il faut savoir et ce qui change* – Article paru dans L’Usine Nouvelle Maroc paru le 5 mars 2015

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