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Mauvaise année pour les instruments hybrides !

Sans attendre la mise en place au niveau international des mesures envisagées par l’OCDE, le législateur français et la Commission européenne ont adopté des textes visant à éliminer certaines situations de « double non-imposition » rendues possibles par la juxtaposition de systèmes juridiques nationaux différents

Le nouveau dispositif « anti-hybrides » de la loi française

Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2014, le législateur français a adopté une mesure de « lutte contre l’optimisation fiscale au titre des produits hybrides et de l’endettement artificiel ». Selon la définition de l’OCDE, les produits financiers hybrides sont des « instruments dont le régime fiscal est différent dans les pays concernés, étant le plus souvent considéré comme des titres de dette dans un pays et comme titres de participation dans un autre ». Cette différence de qualification peut entraîner une « double non-imposition », les intérêts, déductibles dans l’Etat de l’emprunteur, pouvant être exonérés en tant que « dividendes » dans l’Etat du prêteur. L’article 22 de la loi de finances pour 2014 neutralise ce cas de double non-imposition dans l’hypothèse où l’emprunteur est établi en France.

La loi va toutefois au-delà de cet objectif puisque désormais, aux termes de l’article 212 I du CGI, pour les exercices clos à compter du 25 septembre 2013, les intérêts sont déductibles « sous réserve que l’entreprise débitrice démontre, à la demande de l’administration, que l’entreprise qui a mis les sommes à sa disposition est, au titre de l’exercice en cours, assujettie à raison de ces mêmes intérêts à un impôt sur le revenu ou sur les bénéfices dont le montant est au moins égal au quart de l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun ». Les « conditions de droit commun » doivent s’entendre d’un taux d’IS de 33,33%, ce qui conduit à interdire toute déduction lorsque le taux d’imposition des intérêts entre les mains du prêteur est inférieur à 8,33%.

Le texte n’est pas conçu pour s’appliquer seulement dans des situations transfrontalières. Il peut aussi jouer lorsque les sociétés emprunteuse et prêteuse sont toutes deux établies en France, par exemple si la société prêteuse bénéficie d’un régime fiscal particulier. Dans l’hypothèse la plus courante où l’entreprise prêteuse est domiciliée ou établie à l’étranger, la loi précise que « l’impôt sur les bénéfices déterminé dans les conditions de droit commun s’entend de celui dont elle aurait été redevable en France sur les intérêts perçus si elle y avait été domiciliée ou établie ».

Ce nouveau dispositif ne va pas manquer de soulever de nombreuses questions. La principale concerne la définition de l’impôt auquel est assujettie l’entreprise prêteuse « à raison de ces mêmes intérêts ». Sur la base d’une interprétation stricte du texte, et au regard de l’objectif initial de la loi, la comparaison ne devrait pas porter sur le niveau global d’imposition de l’entreprise prêteuse, mais sur le niveau d’imposition supportée par cette dernière sur le seul flux d’intérêts concerné.

La logique du texte paraît ainsi différer d’une autre disposition anti-abus en matière d’intérêts (article 238 A du CGI) qui limite la déduction des intérêts versés par une société française à un prêteur étranger soumis à un régime fiscal privilégié. Un tel régime s’applique si la société étrangère n’est pas imposable dans l’autre Etat ou si elle y est assujettie à des impôts sur les bénéfices dont le montant est inférieur de plus de la moitié à celui de l’impôt dont elle aurait été redevable dans les conditions de droit commun en France. Le régime fiscal privilégié est ainsi défini par référence à l’impôt frappant l’ensemble des bénéfices de la société étrangère, alors que le nouveau dispositif semble retenir une approche « chirurgicale » fondée sur le calcul de l’impôt grevant l’intérêt reçu et lui seul.

Même dans ce cadre restreint, la question se posera de l’assiette des revenus à comparer : faut-il retenir l’intérêt brut ou procéder à une comparaison plus « fine » pour déterminer l’impôt effectivement supporté par les intérêts après affectation d’autres charges du prêteur ? La question se pose notamment lorsque la société prêteuse a elle-même recouru à l’emprunt pour financer le prêt. Les travaux préparatoires de la loi ne livrent pas de réponse explicite à cette question. L’objectif du texte paraît toutefois suggérer la prise en compte du niveau d’imposition du seul intérêt brut. Toute autre interprétation serait en outre très difficile à mettre en œuvre, en raison de la difficulté à allouer à l’intérêt brut des frais généraux de l’entité étrangère.

Cette analyse, qui restera à confirmer, conduirait par exemple à distinguer entre les intérêts versés à une société étrangère bénéficiant d’un régime d’« interest box » (exonération totale ou quasi-totale des intérêts) qui devraient être considérés comme dans le champ du nouvel article 212 et les intérêts versés à une société belge bénéficiant de la déduction de charges « notionnelles » de son résultat global, qui ne seraient pas a priori dans le champ.

Les sociétés de personnes et organismes de placement collectif font l’objet de dispositions particulières. Etant souvent considérées comme transparentes par les systèmes fiscaux étrangers, et aucune imposition n’intervenant en toute hypothèse à leur niveau (même en France), le législateur a souhaité éviter qu’elles ne soient systématiquement considérées comme assujetties à un impôt nul, ce qui aurait eu pour effet d’empêcher mécaniquement la déduction des intérêts qui leur sont versés. Dans cette hypothèse, l’impôt sur les intérêts est apprécié au niveau des détenteurs de parts.

Outre les incertitudes mentionnées ci-dessus, le texte soulève de nombreuses questions relatives à ses modalités d’application. La loi est par exemple muette sur les éléments de preuve à apporter en cas de demande de l’administration. Sur la base d’une lecture du texte conforme à son objet, il devrait pouvoir être possible de simplement démontrer que le droit étranger ne contient pas de dispositions particulières concernant le taux de l’impôt sur les sociétés et d’éventuelles règles d’assiette spécifiques aux intérêts. Mais on attendra avec intérêt les commentaires de l’administration sur ce point.

Enfin, le choc de simplification n’étant pas au goût du jour en matière fiscale, ce nouveau dispositif se cumule avec les différentes règles ayant déjà pour objet de limiter la déduction des charges financières.

La proposition de la Commission européenne modifiant la directive « mères-filiales »
En parallèle aux travaux du législateur français, la Commission européenne a publié le 25 novembre 2013 un projet de directive(1) destiné notamment « à éviter les situations de double non-imposition découlant de l’asymétrie du traitement fiscal appliqué aux distributions de bénéfices entre États membres ».

Dans le cadre de la directive mères-filiales modifiée, les bénéfices distribués par une filiale ne pourraient faire l’objet d’une exonération dans l’Etat de la société mère que « dans la mesure où ces derniers ne sont pas déductibles par la filiale de la société mère ». L’objet est ainsi très clairement d’éviter des situations « hybrides » au sein de l’UE. La mise en place de ce dispositif serait particulièrement rapide, les États membres devant mettre en œuvre les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la cette directive au plus tard le 31 décembre 2014. La cohabitation avec le nouveau système français et la nécessité d’éviter des situations « circulaires » seront intéressantes de ce point de vue.

Toujours dans une optique de lutte contre l’optimisation fiscale, la directive modifiée intégrerait également une clause anti-abus élargie permettant de refuser l’application de la directive en cas de montages artificiels ou en cas « d’ensemble artificiel de montages » mis en place « essentiellement » dans le but d’obtenir indument le bénéfice de la directive. Une situation est présumée abusive lorsque les engagements juridiques ne correspondent pas à la réalité économique. Le projet de directive décrit ainsi cinq situations artificielles, par exemple lorsque un « montage donne lieu à un avantage fiscal considérable qui ne se reflète pas dans les risques commerciaux pris par le contribuable ni dans les flux de trésorerie de ce dernier ».

On peut ajouter à ces développements nationaux et communautaires les projets de l’OCDE, formalisés dans un « Plan d’action concernant l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices » et dont l’un des chantiers est de neutraliser les effets des montages hybrides. Dans ce cadre, en septembre 2014, l’OCDE devrait prendre diverses initiatives, et notamment proposer une révision du Modèle de Convention fiscale de l’OCDE pour faire en sorte que les instruments et entités hybrides ne soient pas utilisés pour obtenir indûment les avantages procurés par les conventions.

Sachant que l’administration remet de plus en souvent en cause les financements hybrides dans les contrôles, l’année 2014 s’annonce donc riche en la matière.


1. Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/96/UE concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents.

 

A propos des auteurs

François Rontani, avocat associé. Il intervient plus particulièrement sur des opérations de planification fiscale internationale des multinationales françaises et des aspects de certaines opérations de restructuration touchant des groupes étrangers. Il conseille également les entreprises lors de la mise en place de schémas de financements structurés et de schémas financiers à dominante fiscale et participe à l’analyse et au développement des structures transfrontalières d’acquisition et/ou de financement.

Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale. Ce département a pour fonctions principales d’analyser les évolutions de la réglementation fiscale et de contribuer à l’élaboration des positions du cabinet sur les questions techniques les plus complexes. Il est en relation permanente avec l’administration fiscale, les autres autorités publiques françaises et européennes, les instances représentatives des entreprises et le milieu universitaire.

 

Article paru dans la revue Option Finance du 13 janvier 2014