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Premières jurisprudences sur la répartition des responsabilités dans la mauvaise exécution des contrats informatiques fondés sur la méthode « Agile »

Premières jurisprudences sur la répartition des responsabilités dans la mauvaise exécution des contrats informatiques fondés sur la méthode « Agile »

La méthode « Agile » désigne un processus collaboratif d’élaboration de logiciels. Dans ce modèle de développement, le client formule son besoin auprès du prestataire informatique. Celui-ci le « traduit » dans un cahier des charges technique, qui est accepté par les deux parties. Un échéancier et un mode de rémunération sont alors convenus entre les parties.

Ensuite, la phase de développement est coopérative : le prestataire développe des modules, qu’il met à disposition de son client à termes réguliers ; celui-ci teste ces livrables, et demande, le cas échéant, la correction des bugs et des adaptations. Dans certains cas, le contrat, après livraison de la solution logicielle, se prolonge dans le temps, dans le cadre de la mise en place d’un processus d’amélioration continue.

Du fait de la forte implication des cocontractants dans l’exécution de ce type de contrat informatique, les responsabilités du client et du prestataire informatique, en cas de mauvaise exécution, présentent des spécificités, dont certaines ont été précisées récemment par la jurisprudence.

Il a ainsi été confirmé, que le contrat « Agile » est –le plus souvent- un contrat informatique comme un autre : le prestataire de services informatiques y est débiteur d’une obligation de conseil au profit de son client, laquelle s’exerce de manière continue pendant toute la période d’exécution du contrat. La cour d’appel de Paris a toutefois précisé, dans un arrêt récent, que le prestataire informatique ne peut « s’exonérer de son obligation de conseil, en se prévalant d’un co-pilotage du contrat en mode Agile, puisque cette obligation [de conseil] avait été contractuellement définie » (CA Paris, 3 juillet 2015, n°13/06963).

Tout particulièrement, le client aurait dû être informé au fur et à mesure des difficultés techniques rencontrées et des risques de dépassement de budget à envisager. Par une lecture a contrario, il semble ainsi possible, en l’absence de clause contractuelle le prévoyant, que le prestataire soit délié de tout ou partie de son obligation de conseil dans le cadre de la mise en œuvre de la méthode « Agile ». Il convient donc d’encadrer clairement cette obligation dans les contrats à conclure.

Par ailleurs, en cas de développement insatisfaisant, le client ne saurait relever, au terme de l’exécution du contrat, l’inadéquation du logiciel à son besoin s’il n’a pas notifié les difficultés et inquiétudes rencontrées à chaque étape de prise de connaissance des livrables du prestataire informatique. De même, si les livraisons intermédiaires sont de trop mauvaise qualité pour permettre au client d’effectuer les tests indispensables pour pouvoir faire un retour à son prestataire et, le cas échéant, orienter son travail, cet état de fait doit être notifié expressément à chaque échéance (CA Paris, 3 juillet 2015, précité).

A l’inverse, si le prestataire informatique rencontre des difficultés liées à un défaut de collaboration de son client qui n’effectue pas en temps utile les tests prévus, il doit également le faire savoir de manière expresse. En effet, dans le cadre de son devoir de conseil, le prestataire informatique doit porter à la connaissance de son cocontractant tout fait ou événement de nature à entraîner un retard dans le développement du logiciel. En l’absence d’une telle notification au cours de l’exécution du contrat, l’inertie du client ne saurait être soutenue, après la résiliation, par le prestataire informatique (CA Paris, 1er octobre 2015, n°14/07440). Ainsi, s’agissant d’un contrat collaboratif, les difficultés rencontrées par chacune des parties doivent toujours être notifiées, sans attendre, par tout moyen permettant d’en conserver la preuve.

Enfin, les termes du contrat conclu sont particulièrement importants. S’agissant d’un processus participatif, dans lequel les aléas sont nombreux, il ne saurait être reproché au prestataire informatique un retard de livraison dès lors que la convention prévoyait un délai d’exécution « renouvelable », dans des conditions indéfinies (CA Paris, 3 juillet 2015, précité). Il en est de même du délai qui serait mentionné dans un contrat comme « prévisionnel » (CA Paris, 1er octobre 2015, précité). En revanche, la notion de date-butoir peut tout à fait être utilisée dans ce type de contrat : la survenue de la date préalablement convenue met alors un coup d’arrêt au contrat, à moins qu’un avenant de prolongation ne soit conclu entre les parties.

De même, dans le cas d’un contrat conclu en régie, c’est-à-dire facturable sur la base du temps passé à développer le logiciel, l’insertion d’une clause prévoyant une possibilité de révision du prix à la baisse insuffisamment précise est privée de tout effet juridique. Ainsi, les prestations effectuées doivent être strictement facturées au temps passé, sans qu’aucun « bonus » de livraison anticipée ne soit dû (CA Paris, 3 juillet 2015, précité). Si, à l’inverse, un dépassement des sommes facturées est constaté par rapport au montant initialement convenu, le client ne peut pas refuser de les payer au prétexte qu’il ne dispose pas, à la réception de la facture, d’un produit fini, ce mode de fonctionnement étant inhérent à la méthode « Agile ». Il n’en ira autrement que s’il parvient à prouver que le travail produit « était vain ou défectueux » (CA Paris, 1er octobre 2015, précité), et cela, par le biais d’une expertise contradictoire. L’intervention d’un nouveau prestataire et l’audit produit par lui ne sauraient, à cet égard, être suffisants.

Au vu de ces deux décisions de la cour d’appel de Paris, dont l’orientation devra être confirmée par les autres juridictions civiles, il conviendra, lorsque vous vous engagez dans le développement d’un logiciel sur le fondement de la méthode « Agile », de bien comprendre que ce choix ne souffre pas l’imprécision, ni l’inertie de l’une ou l’autre des parties. A chacun ensuite d’en tirer le meilleur profit.

 

Auteur

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Hélène Chalmeton, juriste au sein du Département droit des affaires, en charge du knowledge management.

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