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Preuve d’un acte anormal de gestion

Preuve d’un acte anormal de gestion

Par un arrêt en date du 17 juillet 2019, le Conseil d’État a décidé que la facturation de services entre sociétés liées par une communauté d’intérêts, à un niveau ne permettant pas au prestataire de couvrir ses charges d’exploitation, ne constitue pas, à elle seule, un avantage par nature, qualifiant un acte anormal de gestion.

Cet arrêt récent du Conseil d’Etat confirme l’existence d’une nécessaire preuve par comparaison d’un avantage anormal en cas de facturation d’un prix, même faible, entre sociétés liées, qu’il s’agisse de transactions franco-françaises ou de transactions internationales.

La preuve d’un acte anormal de gestion

Traditionnellement, la charge de la preuve d’un acte anormal de gestion repose sur l’administration fiscale, qui doit prouver que l’opération contestée est dénuée d’intérêt pour la société (CE, 14-4-1986, n°92997, SA Intertrans).

La caractérisation d’un acte anormal de gestion nécessite la preuve par l’administration de deux éléments distincts :

Un élément intentionnel, qui est présumé lorsque l’avantage est accordé à une société avec laquelle le prestataire est en relation d’intérêts (CE 5-1-2005 n° 254556, min c/ Sté Raffypack, RJF 3/05 n° 213) ;

Un appauvrissement de la société à des fins étrangères à son intérêt, dont la preuve ne peut être apportée par une remise en question par l’administration de l’opportunité des choix de gestion opérés par la société (ainsi jugé 23-1-2015 n° 369214, SAS Rottapharm, RJF 4/15 n° 300 ; rappelé par une décision de Plénière fiscale 21-12-2018 n° 402006, Sté Croë Suisse, publié au Recueil et à la RJF 3/19 n° 246).

Toutefois, en fonction de la qualification de l’avantage litigieux, la charge de la preuve de l’existence ou de l’absence d’un acte anormal de gestion ne repose pas sur la même partie :

Il existe en effet une présomption d’anormalité au bénéfice de l’administration si l’avantage litigieux est qualifié d’avantage par nature. La notion d’avantage par nature a fait l’objet d’une jurisprudence abondante, qui nous permet de dresser une liste non-exhaustive des opérations qualifiées d’avantage par nature. Ont ainsi été reconnus comme constituant des avantages par nature : les prêts consentis sans intérêts (CE 28 mars 2008 n° 277522, SA Clément) ; le renoncement à obtenir toute contrepartie financière à une concession de licence de marque (CE 10-2-2016 n° 371258, SA Hôtels et casinos de Deauville) ; la renonciation à recettes (CE 26-9-2011 n° 328762 : RJF 12/11 n° 1275, min. c/ SARL Holding Financière Séguy) ; les abandons de créances ou encore la prise en charge d’une dette d’un tiers. Il appartient alors au contribuable de démontrer que l’opération n’est pas constitutive d’un acte anormal de gestion, en prouvant que l’opération s’est faite dans son intérêt ou en démontrant l’existence d’une contrepartie (CE 4-11-1985 n° 46112, min. c/ SA Entreprise Brugeaud : RJF 1/86 n° 14).

Dans les cas où l’avantage par nature n’est pas caractérisé, l’avantage consenti est qualifié d’avantage par comparaison. C’est par exemple le cas lorsque l’entreprise facture un prix, même faible (CE 23-1-2015 n° 369214, SAS Rottapharm) ; lorsqu’un créancier ne procède pas à une compensation légale (CE 22-2-2017 n° 387661, Sté Altran Technologies) ; lorsqu’une cession de biens s’effectue à prix minoré ou encore un achat de services à prix majoré. Dans ce cas, il appartient à l’administration de démontrer l’anormalité de l’opération en prouvant l’existence d’un écart entre le prix auquel la transaction a été effectuée et la norme. Cette preuve repose alors sur la comparaison entre le prix consenti pour la transaction litigieuse et le prix auquel contractent des sociétés non liées, pour des transactions similaires.

Par ailleurs, on rappellera qu’en matière de prix de transfert pour les transactions internationales entre sociétés liées, régies par l’article 57 du CGI, la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, depuis sa décision « Cap Gemini », pose l’exigence d’une comparaison pour établir l’anormalité d’un prix : l’administration « doit être regardée comme établissant l’existence d’un avantage qu’elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l’entreprise […] lorsqu’[elle] constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués entre des entreprises similaires exploitées normalement, c’est-à-dire dépourvues de liens de dépendance » (CE 7-11-2005 n° 266436 et 266438 « Cap Gemini » : RJF 1/06 n° 17).

Le recours à la preuve d’un avantage par comparaison dans le cadre de transactions intragroupe internationales, relevant du champ des prix de transfert et de l’article 57 du CGI, a depuis plusieurs fois été reconnu et appliqué par le Conseil d’Etat (CE 19-09-2018 n° 405779, min c/ Sté Philips France ; CAA Paris 25-6-2008 n° 06-2841 : RFJ 2/09 n° 114 ; CAA Versailles 5-12-2011 n° 10VE02491).

Une exigence confirmée et même étendue de la preuve par comparaison

Par une décision n° 425607 du 17 juillet 2019, la 8e chambre de la section du contentieux du Conseil d’Etat a fait droit aux prétentions de la société Voyag’Air. Suivant les conclusions de la Rapporteure Publique, Mme. Ciavaldini, le Conseil d’État a considéré que la cour administrative d’appel avait commis une erreur de droit en jugeant que la seule circonstance que les prix facturés ne suffisaient pas à couvrir les charges d’exploitation de la société constituait une renonciation à recettes permettant de caractériser un acte anormal de gestion par nature, sans rechercher si les prix que pratiquait la société prestataire différaient de ceux ayant cours entre des sociétés non liées entre elles par une communauté d’intérêts et engagées dans des transactions comparables.

Pour qualifier l’erreur de droit, la Rapporteure Publique et le Conseil d’Etat se fondent sur le caractère purement « interne » du raisonnement de l’administration, qui n’a pas cherché à comparer les prix pratiqués par la société avec les prix de marché pour une prestation comparable. La Rapporteure cite, à ce titre, le commissaire du Gouvernement Pierre COLLIN qui, dans l’affaire min c/ Sté de produits pharmaceutiques et d’hygiène (CE 3-12-2010 n° 310946), avait affirmé que « Seule compte la comparaison entre le prix payé pour la prestation dans le cadre de relations internes au groupe et le prix qui serait payé pour la même prestation obtenue d’une entreprise indépendante ».

Par ailleurs, en confirmant le recours à la preuve d’une anormalité fondée sur une comparaison au prix de marché, cette décision conforte la protection du principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises et la nécessité d’une analyse sérieuse de la situation qui prévaut sur le marché libre.

La nature de cette décision n’est pas sans rappeler la décision Rottapharm précitée (23-1-2015 n° 369214, SAS Rottapharm) puisque le Conseil d’Etat juge, une fois encore, que la facturation d’un prix entre des sociétés liées, même faible (puisque ne pouvant permettre en l’espèce à la société prestataire de couvrir ses charges d’exploitation), ne relève pas d’un avantage par nature mais justifie que l’administration apporte la preuve d’un avantage par comparaison à des prix pratiqués entre entreprises indépendantes, dans des circonstances comparables.

Cette décision vient étendre ce raisonnement, pour l’appliquer au cadre des transactions franco-françaises, entre sociétés liées entre elles par une communauté d’intérêts.

Cette décision est bienvenue, et rappelle fort à propos que, dès lors qu’une prestation fait l’objet d’une rémunération, les analyses trop lapidaires doivent être écartées au profit d’une analyse appropriée de la situation qui prévaut sur le marché libre.

L’on notera cependant que si, dans sa décision, le Conseil d’Etat a utilisé les critères ci-dessus pour caractériser l’existence d’un acte anormal de gestion, il n’a pas explicitement repris l’argumentation de la Rapporteure Publique portant sur la liberté de gestion des entreprises et la non-immixtion de l’administration dans celle-ci.

Article paru dans le magazine Option Finance le 12 novembre 2019

Auteur

Mohamed Haj Taieb, fiscaliste économiste senior en fiscalité internationale

Hugo Larpin, avocat en fiscalité internationale

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