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Conventions de trésorerie et taux négatifs : Quels enjeux en matière de prix de transfert ?

Conventions de trésorerie et taux négatifs : Quels enjeux en matière de prix de transfert ?

Les grandes multinationales disposent d’une gestion performante de leurs liquidités à travers les structures dédiées que sont les centrales de trésorerie. La mutualisation des moyens financiers implique toutefois la création de nombreux flux intragroupe, suscitant notamment des enjeux fiscaux internationaux. Avec l’émergence de taux négatifs sur les marchés financiers, de nouvelles problématiques sont soulevées.

1. Préambule

Aujourd’hui, 25% des dettes souveraines dans le monde ont un taux d’intérêt inférieur à zéro, y compris sur des maturités assez longues1. Au vu des dernières annonces de la BCE et la prolongation de mesures d’assouplissement quantitatif, la crainte de voir perdurer cette situation atypique, devenue courante depuis 2014, paraît justifiée. La plupart des grands groupes ayant instauré des conventions de trésorerie afin de centraliser la gestion de leurs moyens financiers à travers leurs centrales de trésorerie («cash pooling»), quelles seraient les conséquences au plan fiscal d’opérations à taux négatifs ?

2. Le fonctionnement d’une centrale de trésorerie

Les centrales de trésorerie gèrent les positions de trésorerie d’un même groupe, dans une perspective de mutualisation des moyens financiers, afin de faire baisser le coût de financement global au niveau du groupe. Les opérations qu’elles mènent sont régies par une convention intragroupe, dont le modèle peut être de deux ordres :

  • Dans le premier cas, la centrale de trésorerie assume des fonctions limitées : en tant qu’interface entre les sociétés du groupe, elle effectue une forme de consolidation des positions de trésorerie, permettant aux entités en position débitrice d’obtenir des liquidités et à celles en position créditrice de rémunérer leurs dépôts. Les opérations que la centrale de trésorerie réalise sont en général à court terme, et sa rémunération est destinée à couvrir a minima ses propres coûts. La centrale joue également un rôle d’intermédiaire entre le groupe et le marché, à des fins de placement si elle est excédentaire, et d’emprunt lorsqu’elle est déficitaire.
  • Dans le second cas, la centrale joue un rôle de banque de groupe, disposant de fonctions plus étoffées inspirées du mécanisme de transformation bancaire. Une contribution à la politique financière et aux décisions d’investissement du groupe peut lui incomber. Elle prête indifféremment à court et à long terme, en établissant une notation de crédit («rating») de ses emprunteurs, comme un prêteur tiers.

Les centrales de trésorerie fonctionnent couramment selon le premier modèle, c’est-à-dire celui d’une intermédiation limitée, et c’est celui-ci qui fonde la discussion qui suit.

3. Enjeux fiscaux de la centralisation de trésorerie en matière de prix de transfert

Sur le plan juridique, les opérations de financement intragroupe ne soulèvent pas de difficultés majeures en droit français au regard du monopole bancaire2. En revanche, d’un point de vue fiscal, on observe que la déductibilité des intérêts intragroupe pose certaines contraintes, bien que la loi exclut expressément du dispositif de lutte contre la sous-capitalisation3 les intérêts dus au titre d’opérations de gestion centralisées4.

Cette limite à la déductibilité découle en particulier, pour des opérations transfrontalières, des risques relatifs à un transfert de bénéfices hors de France au sens de l’article 57 du CGI. Afin de justifier que les transactions intragroupe réalisées dans le cadre du cash pooling sont admissibles, il convient d’établir leur conformité au principe de pleine concurrence, énoncé par l’article 9-1 du modèle de convention fiscale de l’OCDE.

Pour cela, l’approche varie selon les caractéristiques de la centrale que nous avons énoncées et dépendra de l’analyse fonctionnelle à mener :

  • Lorsque la centrale de trésorerie exerce des fonctions limitées (premier cas), sa profitabilité équivaut à celle d’un intermédiaire financier routinier, qui peut être déterminée sur la base d’un benchmark. La marge de pleine concurrence appliquée à la base de coûts de la centrale est ensuite convertie en points de base («bps») pour former le spread. La méthode de prix de transfert suivie est donc ici celle du coût majoré («Cost Plus»).
  • Au contraire, si la centrale agit comme un établissement financier (second scénario), ses objectifs sont alors semblables à ceux d’une structure dotée de fonctions et de risques plus conséquents et ayant des objectifs en termes de rentabilité financière («Return on Equity»). Ainsi, elle réalise à chaque fois une étude de crédit individuelle similaire à celle que pratiquerait un prêteur tiers. Ce «rating» passe par l’analyse des données quantitatives et qualitatives de l’emprunteur ainsi que la prise en compte de son environnement. En l’espèce, des offres de prêt ou de placement entre parties indépendantes, répondant à des caractéristiques de risque comparables à celles observées dans le cadre des opérations intragroupe justifieront du taux pratiqué : la méthode appliquée est celle du prix comparable sur le marché libre («Comparable Uncontrolled Price» ou «CUP»).

Enfin, nous précisons que la question des retenues à la source sur des flux d’intérêts intragroupe nécessite une étude détaillée, qui dépasse le champ de cet article.

4. Circonstances dans lesquelles les taux intragroupe peuvent être négatifs

Un taux est la composante de deux éléments : un indice de référence et un spread. Pour qu’un taux soit négatif, il faut que la somme de l’indice et du spread soit inférieure à zéro. Sur le plan économique, il est plus aisé de justifier un taux négatif si la cause est dans l’indice de référence (par exemple si celui-ci est négatif et que l’ajout du spread ne permet pas d’obtenir un taux net positif), car il est le reflet d’une situation de marché. A l’inverse, un taux négatif en application d’un spread négatif est davantage du ressort du choix du groupe et peut de ce fait plus aisément être contesté par les administrations fiscales.

Plusieurs cas peuvent se présenter dans le cadre d’une centrale de trésorerie et se traduire par des taux négatifs :

  • Si la centrale est en position nette emprunteuse, le taux auquel elle prête aux entreprises liées (i.e. : le prix de transfert) est égal au taux auquel elle emprunte sur le marché, plus une marge de pleine concurrence. Si la centrale a une excellente notation financière, elle peut emprunter sur le marché à taux négatif. Dans ce cas, elle pourrait en faire bénéficier les entités qui se refinancent auprès d’elle, en majorant toutefois ce taux de sa propre marge. Si le spread qu’elle applique est inférieur à la valeur absolue du taux négatif auquel elle a emprunté, les entités liées emprunteront aussi à taux négatif auprès de leur centrale.
  • Si la centrale est en position nette prêteuse, le taux auquel elle rémunère les excédents des sociétés liées est égal au taux auquel elle place sur le marché, moins une marge de pleine concurrence :

o Dans le cas où les taux de placement sont négatifs, la centrale aurait intérêt à placer ses liquidités sur un compte non rémunéré.

o Si ces taux sont positifs, le prix de transfert pourrait être négatif lorsque la marge de pleine concurrence est supérieure au taux auquel la centrale de trésorerie place ses excédents sur le marché. Ainsi, la centrale rémunère à un taux négatif les excédents de ses filiales. La question d’un acte anormal de gestion, de même que l’existence d’un transfert de bénéfice, peut alors être soulevée, à la nuance près que les entités parties à la convention profitent des effets de mutualisation induits par la centrale, et qu’elles peuvent se retrouver alternativement en situation de prêter ou d’emprunter (en fonction de circonstances qui ne dépendent pas exclusivement de leur volonté). Ainsi, il nous semble que l’économie de la convention contribuerait à protéger les opérations financières intragroupe de ces incriminations.

Par prudence, nous préconisons d’introduire dans les conventions un plancher de rémunération, sous réserve que la convention ne crée pas une asymétrie avec les conditions du marché. Ces observations valent pour l’activité d’une centrale de trésorerie «routinière», dans la mesure où une approche CUP ne soulève pas ces questions pour une banque de groupe.

5. Impact des derniers développements du projet BEPS sur les centrales de trésorerie

Parmi les avancées récentes5 du projet BEPS de l’OCDE, certaines s’appliquent aux problématiques fiscales rencontrées par les centrales de trésorerie. Ainsi, les termes de la convention devraient refléter la substance économique des transactions réalisées6 : à défaut, l’administration pourra faire prévaloir celle-ci pour restituer aux transactions leur caractère véritable (approche de «délimitation»). Pour une activité de centrale de trésorerie, les conventions peuvent par exemple ne pas exprimer l’étendue des services rendus au sein du groupe. De plus, il faut montrer que les transactions sont utiles à la société (économies réalisées, capacité financière supplémentaire, etc.), au risque d’être écartées7. Ensuite, il ne faut pas perdre de vue que les synergies retirées de cette gestion centralisée doivent revenir à chacun des participants à proportion de leur contribution8. S’agissant d’effets de mutualisation d’obtention de financements externes, la jurisprudence récente montre que la solidarité financière entre sociétés d’un même groupe ne se présume pas9. Autant d’éléments qui obligent à documenter finement les activités de ces centrales.

Si pour l’instant ces principes ne sont pas repris par le législateur français, l’influence de la doctrine de l’OCDE incite à en tenir compte dès à présent, en intégrant les contraintes posées par la situation actuelle du marché monétaire.

Notes

1 A fin avril 2016, les taux de l’Allemagne sont négatifs jusqu’à 8 ans, ceux de la France jusqu’à 6 ans, ceux de la Suisse jusqu’à 15 ans. En dehors de l’Europe, les taux japonais sont négatifs sur la maturité à 10 ans.
2 Article L511-7-I-3° du Code monétaire et financier.
3 Article 212-II-2-1° du Code général des impôts.
4 La jurisprudence écarte notamment la limitation de déduction des intérêts prévue par l’article 39-1-3° du CGI lorsqu’ils résultent d’agissements d’une société mère du fait d’un mandat donné par sa filiale (CE, 27 février 1989, n°61397, 9e et 7e s.-s., Serimmo).
5 Rapports finaux BEPS publiés le 5 octobre 2015.
6 OCDE, Actions 8-10, §1.42-1.50.
7 OCDE, Actions 8-10, §1.122-1.125.
8 OCDE, Actions 8-10, §1.162.
9 CAA Bordeaux, 2 septembre 2014, n°12BX01182, 3ème ch., min. c/ Sté Stryker Spine SAS.

 

Auteurs

Mohamed Haj Taieb, fiscaliste économiste senior en fiscalité internationale

Quentin Thouéry des Hivernals, fiscaliste économiste en fiscalité internationale

 

Conventions de trésorerie et taux négatifs : Quels enjeux en matière de prix de transfert ? – Article paru dans le magazine Option Finance le 2 mai 2016