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Preuve de la normalité d’un taux d’intérêt et référentiel obligataire: bientôt du nouveau!

Preuve de la normalité d’un taux d’intérêt et référentiel obligataire: bientôt du nouveau!

Le Conseil d’Etat est saisi d’une demande d’avis sur la possibilité de recourir aux référentiels obligataires pour justifier de la normalité de taux d’intérêt intragroupe.

En 2005, le législateur avait entendu offrir aux entreprises qui empruntaient auprès d’une société liée la possibilité de dépasser le taux maximum fiscalement déductible prévu à l’article 39-1-3° du CGI. Pour ce faire, l’entreprise doit prouver que le taux correspond à celui qu’elle aurait pu « obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues1« .

Quatorze ans plus tard, on constate que l’administration fiscale, suivie en cela par un certain nombre de juridictions, jusqu’au Conseil d’Etat2, se montre particulièrement peu sensible aux éléments de preuve apportés par les contribuables ; et l’on en vient parfois à se demander s’il est même réellement possible, en pratique, pour un contribuable de se prévaloir de l’article 212-1-a) du CGI et d’appliquer un taux supérieur au taux prévu à l’article 39-1-3° du CGI.

Dans ce contexte peu favorable, les obligations sont regardées avec une particulière suspicion, et ce, à deux égards. D’une part, si le contribuable a eu le malheur d’émettre des obligations, on lui reprochera qu’il s’agit de produits destinés à des investisseurs, par principe en dehors du mécanisme de la preuve contraire qui consisterait à déterminer à quel taux un établissement de crédit lui aurait prêté. D’autre part, si le contribuable, qu’il ait souscrit un prêt ou émis des obligations, a choisi de démontrer le caractère de marché du taux d’intérêt en produisant une étude fondée sur des comparables obligataires, on lui rétorque que par principe l’étude doit être rejetée puisque le texte ne permettrait qu’une comparaison du taux servi avec celui que des établissements de crédit indépendants auraient consenti3.

Cette lecture qui se veut littérale de l’article 212 I-a) du CGI prive de fait de tout effet utile le mécanisme de preuve contraire instauré par l’article 212 I-a) du CGI pour de mauvaises raisons. D’une part, la définition restrictive des « établissements financiers » ne repose en réalité que sur la doctrine administrative (1) et, d’autre part, le sort qui est réservé aux obligations apparaît assez peu compatible avec l’intention du législateur (2). Espérons que le Conseil d’Etat, qui devrait prochainement se prononcer sur la question, revienne à l’esprit du dispositif (3).

1. L’origine du mal : la doctrine administrative

Reprenons l’article 212-I-a) du CGI. Il ne vise que les « établissements ou organismes financiers indépendants ». On cherchera en vain une quelconque référence à la notion d’« établissement de crédit » au sens de la réglementation bancaire.

En présence d’un texte clair, on pourrait s’arrêter là. Mais poursuivons avec les travaux parlementaires : ils ne font aucune référence aux établissements de crédit au sens de la réglementation bancaire. Il est simplement indiqué que « s’agissant des emprunts, le principe est de fixer le taux d’intérêt intersociétés en fonction du taux comparable pratiqué dans le cadre d’opérations de prêt sur le marché libre (ce qui est visé par l’expression « établissements ou […] organismes financiers indépendants) […]4« .

La position soutenue par l’administration, et validée par certaines juridictions, ne repose en réalité que sur sa propre doctrine. La référence aux établissements de crédit y est dépourvue d’ambiguïté : « l’appréciation du caractère analogue s’effectue en tenant compte du taux que l’entreprise bénéficiaire des sommes aurait obtenu en se finançant de façon autonome auprès d’établissements de crédit (…). Ce taux servant de comparable doit être celui qu’aurait accordé un établissement de crédit indépendant5« .

La déductibilité ou non d’intérêts serait donc subordonnée à une question de sémantique. Pour autant, si un « établissement de crédit » est sans nul doute un « établissement ou organisme financier », peut-on soutenir qu’il n’existe pas d’organismes financiers en dehors des établissements de crédit ? Assurément non. Récemment d’ailleurs, ont été créés les organismes de financement spécialisés, qui peuvent consentir des prêts, sans pour autant être des établissements de crédit. On pourrait sans doute multiplier les exemples, mais on voit assez rapidement que le renvoi aux établissements de crédit est tout à fait artificiel.

2. Et s’y on s’intéressait au référentiel de l’article 39-1-3° du CGI ?

Lorsque le contribuable ne démontre pas que le taux pratiqué au titre d’un prêt intragroupe est un taux de marché, la déductibilité des intérêts est plafonnée au taux prévu par l’article 39-1-3° du CGI. Dans le contexte de suspicion envers les obligations, il est intéressant de revenir à ce référentiel.

Le taux prévu à l’article 39-1-3° du CGI est, aujourd’hui, défini comme étant égal à « la moyenne annuelle des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans ». Cette référence a été insérée par la loi de finances rectificative pour 1998. Ce taux est calculé par la direction générale du Trésor6, dans une opacité certaine. Antérieurement, le taux maximum fiscalement déductible était égal à la moyenne annuelle des taux de rendement brut à l’émission des obligations des sociétés privées, dit « TMO » privé. Cette moyenne annuelle était déterminée à partir des moyennes semestrielles des taux de rendement brut à l’émission des obligations des sociétés privées établies par la Caisse des dépôts et consignations.

Pourquoi a-t-on changé le référentiel ? Est-ce parce que les obligations sont des produits d’investisseurs à la recherche d’une rentabilité élevée ? Les rapports parlementaires font état d’une toute autre raison : « Depuis plusieurs années, la référence au TMO pour rémunérer les sommes déposées sur un compte courant d’associé s’avère rigide et obsolète. Obsolète parce que certains mois, faute d’émissions suffisantes, le TMO ne peut être calculé et est remplacé par un taux de substitution, le PVLT (privé long terme). En outre, depuis 1987, plus aucune émission obligataire n’est indexée sur le TMO. Rigide parce que le principe d’une norme générale applicable quelle que soit la taille de l’entreprise ou la devise certifiée, peut être très contraignant pour les contribuables. S’agissant des PME qui ne peuvent pas accéder au marché obligataire, il est irréaliste de limiter l’intérêt versé aux associés au niveau d’un taux correspondant à la rémunération obtenue auprès des meilleurs signataires du marché, sauf à les priver des financements dont elles ont besoin7« .

C’est donc principalement un souci pratique (faire référence à un taux qui puisse être plus facilement déterminé) mais également, un souci de comparabilité, qui ont poussé le législateur à procéder au changement de référentiel.

Sur la base de cet historique, le législateur n’a donc pas condamné, par principe, les référentiels obligataires. Dans une démarche pragmatique (le nombres des émissions obligataires étant alors insuffisant) et d’équité (le taux d’intérêt des obligations de l’époque n’étant pas assez élevé !), il a recherché ce qui était le plus favorable aux entreprises, eu égard aux conditions existant en 1998.

3. Une saisine pour avis du Conseil d’Etat sur la question des référentiels obligataires

Le tribunal administratif de Versailles a récemment eu à connaître d’un cas classique de justification d’un taux d’intérêt sur un prêt intragroupe. Le contribuable produisait notamment une étude de taux réalisée classiquement en deux temps : définition d’une note de crédit pour l’emprunteur, puis étude de comparables tirés des émissions obligataires réalisées sur la même période par des émetteurs ayant une note de crédit comparable.

Alors que son rapporteur public avait conclu au rejet de la requête, et sans que cela lui ait été demandé par le contribuable, le tribunal administratif de Versailles a sursis à statuer et a posé la question suivante au Conseil d’Etat : « pour l’application des dispositions du a du I de l’article 212 du code général des impôts, qui donne la possibilité à une entreprise de déroger à la limite prévue par les dispositions du 3° du 1 de l’article 39 du même code, un contribuable est-il fondé à soutenir qu’il peut apporter la preuve que le taux d’intérêt consenti par une société liée n’est pas supérieur à celui qu’il aurait pu obtenir d’établissements ou d’organismes financiers indépendants dans des conditions analogues, en se référant aux taux pratiqués par des sociétés tierces pour des emprunts obligataires?8« .

La question de la pertinence des référentiels obligataires est donc clairement posée : l’histoire des textes et la démarche prix de transfert mise en avant par les rapports parlementaires militent fortement pour qu’une réponse positive soit apportée à cette question.

Notes

1 Article 212-I-a) du CGI.
2 Conseil d’Etat, 18 mars 2019, n°411189, SNC Siblu.
3 CAA de Paris, 31 décembre 2018, n°17PA03018, SAS WB Ambassador.
4 Assemblée Nationale, rapport de la Commission des finances, n°2568, en date du 12 octobre 2005, p. 460.
5 BOI-IS-BASE-35-20-10-20140415, n°100.
6 BOI-BIC-CHG-50-50-30-20180905, n°20.
7 Sénat, Commission des finances, rapport n°116 afférent à la loi de finances rectificative pour 1998.
8 TA de Versailles, 4 avril 2019, n°1607393 et 1806803, SAS Wheelabrator Group.

 

Auteurs

Benoît Foucher, avocat counsel en fiscalité internationale

Anne Cadet, fiscalsite en matière de fiscalité internationale

 

Preuve de la normalité d’un taux d’intérêt et référentiel obligataire : bientôt du nouveau ! – Article paru dans le magazine Option Finance le 15 avril 2019

 

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