Procédures collectives : les pouvoirs de l’inspecteur du travail limités
5 juillet 2016
Le risque généré par l’éventuel refus de l’inspecteur du travail d’autoriser le licenciement d’un salarié protégé au cours de la période d’observation d’une procédure collective, ou consécutivement à l’adoption d’un plan de cession, vient d’être fortement limité par la Cour de cassation.
La limitation des pouvoirs de l’inspecteur du travail en cas de licenciement autorisé par le juge durant la période d’observation
- Revirement jurisprudentiel
Pendant la période d’observation, lorsque des licenciements économiques présentent un caractère urgent, inévitable et indispensable, l’administrateur judiciaire peut être autorisé par le juge à y procéder. Lorsque ces derniers concernent des salariés protégés, l’inspecteur du travail doit, conformément au droit commun, également autoriser (ou non) ces licenciements.
Selon la jurisprudence antérieure, l’inspecteur du travail pour autoriser le licenciement devait examiner notamment la validité de la procédure de licenciement, de la décision du juge-commissaire, le bien-fondé économique du licenciement ainsi que les efforts de reclassement. En application du principe de séparation des pouvoirs, le conseil de prud’hommes éventuellement saisi par le salarié ne pouvait plus remettre en cause le caractère réel et sérieux du licenciement. Ainsi, la décision de l’inspecteur du travail purgeait les vices de la procédure antérieure, y compris ceux pouvant affecter l’ordonnance du juge-commissaire, et le conseil de prud’hommes ne pouvait se prononcer ni sur le caractère réel et sérieux du licenciement, ni sur la régularité de l’ordonnance du juge-commissaire (Cass. soc., 14 février 2007, n°05-40.213).
Par un arrêt du 23 mars 2016 (n°14-22950 et autres), la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence quant à l’étendue du contrôle opéré par l’inspecteur du travail en cas de licenciements de salariés protégés autorisés par le juge-commissaire pendant la période d’observation. Elle considère désormais que la régularité de l’ordonnance du juge-commissaire ainsi que la motivation économique ne relèvent plus du contrôle de l’Administration. Ces éléments peuvent donc à l’avenir être discutés devant le conseil de prud’hommes.
- Les incidences pratiques du revirement
Le revirement opéré par la Cour de cassation limite les possibilités de refus d’autorisation de licenciements de salariés protégés de l’inspecteur du travail. En effet, à l’avenir, ce dernier sera uniquement amené à vérifier que la procédure relative aux salariés protégés en matière de droit du travail a été respectée et ne pourra plus prendre en compte le bien-fondé économique du licenciement.
À l’inverse, désormais, le conseil de prud’hommes pourra se prononcer sur le caractère réel et sérieux du licenciement. Dès lors, il pourra octroyer des dommages et intérêts au salarié protégé s’il estime que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse, notamment lorsque la motivation économique n’est pas satisfaisante.
Transposition de la solution aux licenciements intervenus en cas de plan de cession d’une entreprise
- La situation passée
Lorsqu’une entreprise se trouve en procédure collective, un plan de cession totale ou partielle de l’activité au profit d’un tiers peut être mis en place. A cet effet, un candidat repreneur peut faire une offre de reprise dans laquelle il pourra notamment indiquer le nombre de salariés et les postes qu’il souhaite reprendre.
Le tribunal de commerce est ensuite amené à se prononcer sur l’offre de reprise et, le cas échéant, s’il retient l’offre présentée, à ordonner le licenciement des salariés occupant les postes non-repris par le cessionnaire.
Si des salariés protégés font partie des salariés à licencier, l’administrateur judiciaire doit ensuite se tourner vers l’inspecteur du travail pour que ce dernier autorise [ou non] leurs licenciements.
Si l’inspecteur du travail ne validait pas le licenciement des salariés protégés, ces derniers étaient maintenus dans leurs fonctions et leurs contrats de travail automatiquement transférés au cessionnaire. Le cessionnaire était alors contraint de reprendre un nombre supérieur de salariés et se retrouvait en pratique avec des engagements plus lourds que ceux acceptés dans son offre de reprise.
- La situation à l’avenir
La question se pose de la transposition de la solution retenue par la Cour de cassation dans l’arrêt du 23 mars 2016 ci-dessus aux licenciements intervenant à la suite de l’arrêté d’un plan de cession.
En effet, les situations sont similaires. Dans les deux cas, une autorisation des organes juridictionnels de la procédure (juge-commissaire ou tribunal de commerce) est requise pour procéder aux licenciements ainsi qu’une autorisation de l’inspecteur du travail pour procéder aux licenciements des salariés protégés.
L’extension de cette solution devrait conduire en pratique à réduire le nombre de refus de licenciements de l’inspecteur du travail et donc à réduire le nombre de transferts non prévus par le repreneur. Ce revirement permet également au salarié protégé de contester devant le conseil de prud’hommes les conditions de mise en œuvre de son licenciement et d’obtenir l’éventuelle condamnation de la société en procédure collective à des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En tout état de cause, seul le cédant pourra être condamné et non le cessionnaire, le contrat ne lui ayant pas été transféré. De plus, l’inspecteur du travail se prononçant sur le respect de la procédure spécifique de licenciement, le conseil de prud’hommes ne pourra pas constater une éventuelle nullité du licenciement pour violation du statut protecteur. Dès lors, le repreneur devrait rester indemne de charges supplémentaires.
Cette jurisprudence devrait permettre à l’acquéreur d’un fonds de commerce d’une société en procédure collective d’avoir moins de risques de se voir imposer la reprise de salariés supplémentaires non prévus par le plan de cession. Demeure néanmoins la problématique de la priorité de réembauchage dont bénéficient les salariés licenciés dans le cadre de la procédure collective.
Auteurs
Alain Herrmann, avocat associé en droit social.
Alexandre Bastos, avocat associé, responsable de l’activité Restructuring-Insolvency.
Procédures collectives : les pouvoirs de l’inspecteur du travail limités – Article paru dans Les Echos du 4 juillet 2016A lire également
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