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Proposition de loi sur la sécurisation des investissements publics et privés en matière de réseaux à très haut débit

Proposition de loi sur la sécurisation des investissements publics et privés en matière de réseaux à très haut débit

Le 10 novembre 2017, le sénateur Patrick Chaize a déposé au Sénat une proposition de loi destinée à sécuriser le cadre juridique du déploiement des réseaux de communications électroniques à très haut débit (« THD » ou « FttH »).

Plus précisément, ce texte poursuit plusieurs objectifs :

  • sécuriser les investissements des acteurs publics et privés dans les projets d’aménagement numérique ;
  • donner les moyens juridiques aux autorités concernées (Etat, Autorité de régulation des communications électroniques et des postes -ARCEP-, collectivités locales) d’écarter tout risque de superposition entre un réseau FttH, déployé ou en voie de déploiement, et un autre réseau ;
  • rendre contraignants les engagements de déploiement pris par les opérateurs ;
  • encourager et faciliter l’investissement dans les réseaux de communications électroniques.

Cette initiative répond aux retards de déploiement en zone privée (ou « zone AMII » pour « appel à manifestation d’intention d’investir ») et à la volonté de SFR de déployer sur fonds propres une infrastructure couvrant tout le territoire, y compris en zone d’initiative publique, lorsque des projets de réseaux ont déjà été attribués.

Les orientations de la proposition de loi tiennent compte de la directive 2002/21 du 7 mars 2002, qui promeut la mutualisation des infrastructures, ainsi que du projet de Code européen des télécommunications, qui permet d’appliquer des sanctions financières en cas de non-respect des engagements de déploiement pris dans le cadre d’une consultation préalable.

La proposition de loi tend à imposer aux opérateurs, dans le cadre de l’établissement de leurs réseaux, de tenir compte des réseaux de fibres optiques existants ou à venir, sur la base d’une liste publiée par le ministre chargé des communications électroniques (articles 1er et 2 de la proposition de loi, portant modification des articles L.33-1 et L.33-13 du Code des postes et des communications électroniques – CPCE).

Cette liste arrêterait en effet les engagements des opérateurs pris sur la base de consultations publiques formelles (tel l’appel à manifestation d’intention d’investir lancé par l’Etat en 2011), ainsi que les opérateurs et les collectivités ayant déposé un projet de réseau dans le cadre du plan « France très haut débit », et préciserait le calendrier de déploiement des lignes en fibre optique sur le territoire de chaque commune ou établissement public de coopération intercommunale (EPCI).

Plusieurs conséquences résulteraient de l’établissement de cette liste :

  • le fait, pour un opérateur, de déployer un réseau sur le territoire d’un EPCI dont il n’a pas la charge serait assimilé à un manquement à ses obligations légales ;
  • l’ARCEP contrôlerait le respect des engagements de déploiement fixés par cette liste, ainsi que la répartition entre opérateurs et collectivités qui en résulte, et pourrait être saisie des manquements constatés ;
  • le non-respect des engagements de déploiement figurant sur cette liste ferait l’objet d’une sanction spécifique, proportionnée à la gravité du manquement et appréciée notamment au regard du nombre de locaux non raccordables ou de zones arrières de points de mutualisation sans complétude de déploiement, sans pouvoir excéder un plafond fixé à 1 500 € par local non raccordable et à 450 000 € par zone arrière de points de mutualisation sans complétude de déploiement (articles 2 et 5).

Par ailleurs, afin de renforcer la mutualisation des réseaux et d’éviter leur duplication, la proposition de loi offre la possibilité aux gestionnaires de la voirie de subordonner la délivrance d’une permission de voirie à une demande raisonnable d’accès aux infrastructures existantes, dans les conditions prévues à l’article L.34-8-2-1 du CPCE. En outre, lorsqu’il apparaîtrait que l’occupation du domaine public routier autorisée par une permission de voirie fait techniquement obstacle à l’accueil d’un nouvel opérateur, le titre d’occupation ne pourrait être délivré sur la zone concernée qu’après que l’ARCEP a constaté que le bénéficiaire de la permission de voirie ne s’est pas conformé à une mise en demeure portant sur le respect d’une obligation de déploiement résultant d’un engagement mentionné à l’article L.33-13 du CPCE (article 6 de la proposition de loi).

Enfin, afin d’inciter les opérateurs à réaliser des investissements dans des réseaux en fibre optique, le texte prévoit que, dans les dix ans suivant la promulgation de la loi, le gestionnaire d’un réseau de lignes téléphoniques en cuivre pourrait, sur un secteur ayant obtenu le statut de « zone fibrée », demander à la collectivité territoriale sur le territoire de laquelle sont implantées les infrastructures d’accueil dédiées à ce réseau et dont elle a la propriété, racheter celles de ces infrastructures susceptibles de donner lieu à des activités de génie civil (article 8 du texte). La collectivité pourrait refuser de faire droit à cette demande, mais elle ne pourrait se fonder pour cela sur le prix demandé, sauf le cas où celui-ci apparaîtrait déraisonnable au regard notamment de l’état des infrastructures concernées et de l’utilité que celles-ci pourraient présenter pour elle.

Dernière mesure d’incitation au déploiement : l’article 9 de la proposition de loi plafonne le montant total acquitté sur l’ensemble du territoire par un même opérateur au titre de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER), afin d’inciter celui-ci, au-delà d’un certain nombre de stations électriques (fixé à 20 000), à en installer de nouvelles pour améliorer la couverture du réseau.

Observations :

Alors que les contrats de délégation de service public des projets de réseaux d’initiative publique (RIP) comportent toujours des mesures coercitives, on ne peut que se féliciter de ce que la proposition de loi rende enfin contraignants les engagements de déploiement des opérateurs en zone AMII (principalement Orange et SFR). En effet, la rédaction actuelle de l’article L.33-13 du CPCE ne permet pas de sanctionner de tels retards.

Par ailleurs, l’introduction d’un principe de cohérence des réseaux à très haut débit (publics ou privés), dont la méconnaissance pourrait donner lieu à des sanctions prononcées par l’ARCEP, permettrait une rationalisation des investissements sur l’ensemble du territoire. La prise en compte de cette nouvelle obligation empêcherait donc, a priori, l’extension de la zone AMII d’Orange ou encore l’intervention de SFR sur le territoire de certaines communes situées en zone d’initiative publique.

Il faut toutefois relativiser la portée de ce principe. En effet :

  • à la différence du retard de déploiement des opérateurs, il n’existe pas de sanction spécifique pour l’intervention illégale d’un opérateur sur le territoire d’un EPCI où une infrastructure en fibre optique existe ou doit être déployée par un opérateur tiers. On peut donc espérer qu’en cas de saisine sur le fondement de l’article L.36-11 du CPCE, l’ARCEP appliquerait une sanction dissuasive pour donner toute sa portée à cette obligation ;
  • la rédaction de l’article 2 de la proposition de loi ne permet pas d’avoir la certitude que la liste des engagements dressée par le ministre tiendra compte de la « phase 2 » et des tranches conditionnelles des projets déposés au titre du Plan France THD. Faute de précision sur ce point, on peut craindre que la proposition de loi n’autorise, au cas par cas, des déploiements concurrents et ne fragilise l’équilibre financier des contrats conclus par les collectivités.

Autre interrogation : l’article 6 de la proposition de loi, portant modification de l’article L.47 du CPCE, protège-t-il réellement les investissements (publics ou privés) et permet-il d’éviter une duplication des réseaux sur un même territoire ?

On rappellera qu’à ce jour, l’article L.47, al. 5, du CPCE prévoit déjà que, « lorsqu’il est constaté que le droit de passage de l’opérateur peut être assuré, dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’une occupation autorisée, par l’utilisation des installations existantes d’un autre occupant du domaine public et que cette utilisation ne compromettrait pas la mission propre de service public de cet occupant, l’autorité mentionnée au premier alinéa peut inviter les deux parties à se rapprocher pour convenir des conditions techniques et financières d’une utilisation partagée des installations en cause. […]. En cas de litige entre opérateurs, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes peut être saisie, dans les conditions fixées à l’article L.36-8 ».

Ainsi, en permettant aux gestionnaires de voirie d’imposer aux opérateurs qui sollicitent un droit de passage sur ou sous leur domaine public d’adresser une demande raisonnable d’accès aux gestionnaires d’infrastructures existantes, la proposition de loi incite une fois de plus à la mutualisation des réseaux, sans innover réellement sur la manière de réguler efficacement les demandes abusives d’occupation domaniale. Or, on aurait pu imaginer que l’auteur de la proposition tire complétement les conséquences de l’avis de l’ARCEP du 27 octobre 2017 (cf. infra), en prévoyant la possibilité, pour le gestionnaire de la voirie publique, de ne pas donner suite une demande d’occupation domaniale en cas de refus, par l’opérateur qui en fait la demande, d’utiliser les infrastructures existantes (sous réserve naturellement d’une offre raisonnable d’accès par les gestionnaires d’infrastructures concernées), ou encore en cas de contradiction entre la demande et le principe de cohérence des réseaux prévu à l’article 3 de la proposition de loi.

On peut donc craindre que, s’il devait être voté en l’état, le texte ne comprenne un certain nombre de failles susceptibles de faire échec, du moins en partie, à la réalisation des objectifs poursuivis par son auteur.

 

Auteur

Audrey Maurel, avocat, droit des communications électroniques

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